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ment en ma présence et il ne les a pas loués depuis devant personne. Je l’excuse : je n’en demande pas davantage à un auteur ; je le plains même d’avoir écouté de belles choses qu’il n’a point faites. »

Ceci est l’amour-propre, l’amour de soi, la jalousie, empêchant de lire ou de jouir en lisant. Ces sentiments sont tout naturels de la part d’un auteur, et il est, en effet, bien « excusable ». Cet écrivain — c’est je crois, un Anglais ; mais j’ai oublié son nom — disait : « Quand je veux lire un bon livre, je le fais ». C’est excellent comme estime de soi ; ce n’est même pas, peut-être, de l’orgueil proprement dit. Il est très vrai que, quand on est auteur et bon auteur, on doit nécessairement et sans vanité n’être satisfait que de ce que l’on fait soi-même, puisqu’on a une façon de penser toute particulière qui ne peut guère s’accommoder que d’elle-même.

Comment voulez-vous que Corneille puisse trouver bon Racine, qui goûte les sujets que Corneille a toujours évités et les manières de traiter les sujets que Corneille très visiblement n’aime point, et qui se donne tout entier à la peinture de l’amour, sentiment que Corneille a toujours considéré comme trop chargé de faiblesse pour pouvoir soutenir une tragédie ? Il y a une sorte d’incompatibilité d’humeur. Corneille, direz-vous, au moment même de la plus grande vogue de Racine, a fait Psyché. Voulez-vous mon senti-