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peut-être même enviables, mais qui sont privés de grandes et saines jouissances.

Les études scolaires inspirent à jamais l’horreur du beau à ceux qu’elles ont ennuyés. À la vérité, il est évident qu’ils l’avaient déjà, mais ces études l’ont comme violemment développée. Figurez-vous un enfant qui, de naissance, n’aimerait pas la musique et que, par autorité paternelle, on aurait fait jouer du violon pendant dix ans : il ne pourrait plus passer devant un marchand d’instruments de musique.

Seulement, ceux que les études scolaires ont ennuyés se subdivisent en deux classes : ceux qui n’ont horreur que de la belle littérature et ceux qui ont horreur de toute littérature. Les premiers forment le contingent des lecteurs de mauvais écrivains, des lecteurs de romans niais, des lecteurs de poètes excentriques, etc.

Les seconds, de toute leur vie, ne liront que leur journal, en en choisissant un où l’on ne fera jamais de critique littéraire ; de quoi il ne faut pas les blâmer, car on est bien plus sot en contrariant sa nature qu’en la suivant.

Voilà les trois catégories. Or, il me semble qu’il ne faut être d’aucune des trois. Il est souhaitable qu’on ne soit pas de la troisième ; il est désirable qu’on ne soit pas de la seconde ; il n’est pas tout à fait sans danger d’être uniquement et strictement de la première.