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pas d’envisager Montesquieu comme le théoricien matérialiste ou fataliste des législations. Que voyons-nous tout à côté ? Cette idée qu’il faut combattre le climat par les mœurs ; et les mœurs, telles qu’elles sont restées encore sous l’influence du climat, par les lois. Mais cela est-il possible ? À quoi croit-il donc ? Il est à supposer qu’il croit à deux choses : c’est à savoir à l’empire des choses sur nous et au pouvoir de nous sur les choses. Il croit sans doute, comme a dit Montaigne, que la fatalité nous mâche ; il croit sans doute aussi que l’esprit humain peut réagir contre la fatalité. Les climats font nos mœurs, nos mœurs font les lois ; oui, mais aussi nos lois font nos mœurs et nos mœurs peuvent combattre le climat.

Mais avec quoi ferons-nous des lois contre nos mœurs et ensuite des mœurs qui, pénétrées de nos lois, combattront le climat ? Avec, sans doute, la force de notre esprit même. Un fataliste spiritualiste et d’autant plus spiritualiste, car il le faut, qu’il est plus fataliste, tel est donc Montesquieu ? Il paraît bien. Du moins à le supposer tel, par comparaison que nous aurons faite de lui à lui, nous aurons pensé, nous aurons réfléchi sur ces différentes forces, extérieures que nous subissons, intérieures que nous saisissons ou croyons saisir ; extérieures que nous sentons, intérieures dont nous prenons conscience ; et nous aurons, en tout cas, élargi le cercle de notre esprit.