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celade réunissait à jeter un fragment de montagne dans un cratère, l’éruption ne se ferait point par le gouffre obstrué soudain, mais la montagne se fendrait ailleurs et c’est par la nouvelle ouverture que s’élancerait le fleuve de lave. C’est ainsi qu’après l’explosion de la Révolution française, Napoléon crut être le Titan qui refermait le cratère des révolutions, et la tourbe des flatteurs, la multitude infinie des ignorants le crut avec lui ; cependant, les soldats même qu’il promenait à sa suite à travers l’Europe contribuaient à répandre des idées et des mœurs nouvelles, tout en accomplissant leur œuvre de destruction : tel futur « décabriste » ou « nihiliste » russe prit sa première leçon de révolte d’un prisonnier de guerre sauvé des glaçons de la Bérézina. La conquête temporaire de l’Espagne suffit pour délivrer de l’intolérable régime colonial toutes les immenses provinces du Nouveau-Monde.

L’Europe semblait s’arrêter, mais par contrecoup l’Amérique se mettait en marche. Napoléon n’avait été qu’une ombre passagère.

La forme extérieure de la société doit changer en proportion de la poussée intérieure, nul fait d’histoire n’est mieux constaté. C’est la sève qui fait l’arbre et qui lui donne ses feuilles et ses fleurs ; c’est le sang qui fait l’homme ; ce sont les idées qui font la société. Or, il n’est pas un conservateur qui ne se lamente de ce que les idées, les mœurs, tout ce qui fait la vie profonde de l’Humanité, se soit modifié depuis le « bon vieux temps ». Les formes sociales ne doivent-elles pas changer aussi ? La Révolution se rapproche en raison même du travail intérieur des esprits.

Que chacun fasse appel à ses souvenirs pour