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Les deux sociétés opposées existent dans l’Humanité : elles s’entremêlent, diversement rattachées çà et là par ceux qui veulent sans vouloir, qui s’avancent pour reculer ; mais si nous voyons les choses de haut, sans tenir compte des incertains et des indifférents que le destin fait mouvoir comme des flots, il est clair que le monde actuel se divise en deux camps, ceux qui veulent conserver l’inégalité et la pauvreté, c’est-à-dire l’obéissance et la misère pour les autres, les jouissances et le pouvoir pour eux-mêmes, et ceux qui revendiquent pour tous le bien-être et la libre initiative.

Entre ces deux camps, il semble d’abord que les forces soient bien inégales. Les souteneurs de la société actuelle ont les propriétés sans limites, les revenus qui se comptent par millions et par milliards, toute la puissance de l’État avec les armées des employés, des soldats, des gens de police, des magistrats, tout l’arsenal des lois et des ordonnances. Et les socialistes, les artisans de la société nouvelle, que peuvent-ils opposer à toutes ces forces organisées ? Rien, semble-t-il. Sans argent, sans armée, ils succomberaient, en effet, s’ils ne représentaient l’évolution des idées et des mœurs. Ils ne sont rien, mais ils ont pour eux le mouvement de la pensée humaine. La logique des événements leur donne raison et d’avance leur assure le triomphe en dépit des lois et des sbires.

Les efforts tentés pour endiguer la révolution peuvent aboutir en apparence, et les réactionnaires se félicitent alors à grand cri, mais leur joie est vaine, car refoulé sur un point, le mouvement se produit aussitôt sur un autre : si quoique En-