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cialistes parmi les gens à l’affût du pouvoir ? Sans doute, et ce sont précisément ceux que nous redoutons le plus. C’est par décret qu’ils feront le bonheur du peuple, par la police qu’ils auront la prétention de se maintenir ! Le pouvoir n’est autre chose que l’emploi de la force : leur premier soin sera donc de se l’approprier, de consolider même toutes les institutions qui leur faciliteront le gouvernement de la société. Peut-être auront-ils l’audace de les renouveler par la science afin de leur donner une énergie nouvelle. C’est ainsi que dans l’armée on emploie des engins nouveaux, des poudres sans fumée ; et ces inventions ne servent qu’à tuer plus rapidement ; c’est ainsi que dans la police on a inventé l’anthropométrie, un moyen de changer la France entière en une grande prison. On commence par mesurer les criminels vrais ou prétendus, puis on mesure les suspects, et nous unirons par y passer tous. « La police et la science se sont entrebaisées », aurait dit le Psalmiste.

Ainsi rien, rien de bon ne peut nous venir de la République et des républicains arrivés, c’est-à-dire détenant le pouvoir. C’est une chimère en histoire, un contresens de l’espérer. La classe qui possède et qui gouverne est fatalement ennemie de tout progrès. Le véhicule de la pensée moderne, de l’évolution intellectuelle et morale est la partie de la société qui peine, qui travaille et que l’on opprime. C’est elle qui élabore l’idée, elle qui la réalise, elle qui, de secousse en secousse, remet constamment en marche ce char social, que les conservateurs essaient sans cesse de caler sur la route, d’empêtrer dans les ornières ou d’enliser dans les marais de droite ou de gauche.