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Mais que de chemin parcouru depuis ! La République, comme forme de pouvoir s’est affermie, et c’est en proportion même de son affermissement qu’elle est devenue servante à tout faire. Comme par un mouvement d’horlogerie, aussi régulier que la marche de l’ombre sur un mur, tous ces fervents jeunes hommes qui faisaient des gestes de héros devant les sergents de ville sont devenus des gens prudents et timorés dans leurs demandes de réformes, puis des satisfaits, enfin des jouisseurs et des goinfres de privilèges. La magicienne Circé, autrement dit la luxure de la fortune et du pouvoir les a changés en pourceaux ! Et leur besogne tend de plus en plus à consolider les institutions qu’ils attaquaient autrefois. Ils s’accommodent parfaitement de tout ce qui les indignait. Eux qui tonnaient contre l’Église et ses empiétements, s’accommodent maintenant du Concordat et donnent du Monseigneur aux évêques. Ils parlaient avec éloquence de la fraternité universelle, et c’est les outrager aujourd’hui que de répéter simplement les paroles qu’ils prononçaient alors. Ils dénonçaient avec horreur l’impôt du sang, mais récemment ils enrégimentaient jusqu’aux moutards et se préparaient peut-être à faire des lycéennes autant de vivandières. « Insulter l’armée » — c’est-à-dire ne pas cacher les turpitudes de l’autoritarisme sans contrôle et de l’obéissance passive, — c’est pour eux le plus grand des crimes. Manquer de respect envers l’immonde agent des mœurs, ou l’abject policier ou la valetaille des légistes assis ou debout, c’est outrager la justice et la morale. Il n’est point d’institution vieillie qu’ils n’essaient de consolider ; grâce à eux l’Académie, si honnie jadis, a pris une espèce de popularité : ils se pa-