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travailleurs, c’est-à-dire du plus grand nombre, cette évolution amènera forcément une révolution, car l’histoire nous enseigne que les défenseurs du privilège ne céderont point de bonne grâce à la poussée d’en bas.

Ils céderont, mais par crainte, car l’affection et la bonté ne peuvent naître dans une œuvre de haine. Ils feront volte-face, mais quand il y aura pour eux impossibilité absolue de continuer leur marche dans la voie suivie. Il est dans la nature même des choses que tout organisme fonctionne dans le sens de son mouvement normal ; il peut s’arrêter, se briser, mais non fonctionner à rebours. Toute autorité cherche à s’agrandir aux dépens d’un plus grand nombre de sujets : toute monarchie tend forcément à devenir monarchie universelle. Ni Alexandre, ni César, ni Attila, ni Charlemagne, ni Bonaparte n’auraient jamais pu être satisfaits dans leur ambition. Jamais financier ne s’est dit : « C’est assez ! je ne veux plus de millions ! » Et même s’il avait la sagesse de modérer ses vœux, le milieu même dans lequel il se trouve travaillerait pour lui : les capitaux continuent d’enfanter des revenus comme des mères Gigogne. Dès qu’un homme est nanti d’une autorité quelconque il veut en user et sans contrôle ; il n’est geôlier qui ne tourne sa clef dans la serrure avec un sentiment glorieux de sa toute-puissance, d’infinie garde champêtre qui ne surveille la propriété des maîtres avec une haine sans bornes contre le maraudeur ; misérable huissier qui n’éprouve un souverain mépris pour le pauvre diable auquel il fait sommation.

Et si les individus isolés sont déjà énamourés de la « part de royauté » qu’on a eu l’imprudence de