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sont écrasés sous ces pesantes archives dont les pages silencieuses racontent en chiffres l’œuvre impitoyable. Si le capital doit l’emporter, il sera temps de pleurer notre âge d’or, nous pourrons alors regarder derrière nous et voir comme uni : lumière qui s’éteint tout ce que la terre eut de doux et de bon, l’amour, la gaieté, l’espérance. L’Humanité aura cessé de vivre.

Il y a quelques années l’habitude s’était répandue dans le monde officiel et courtisan d’Europe de répéter que le socialisme, l’élément du renouveau dans la société, était mort, définitivement enterré. Un homme fort habile dans les petites choses, mais impuissant dans les grandes, un parvenu, un vaniteux qui haïssait le peuple parce qu’il en était issu, s’était vanté d’avoir « saigné la gueuse ». Il croyait l’avoir exterminée dans Paris, l’avoir enfouie dans les fosses du Père-Lachaise. C’est à la Nouvelle-Calédonie, aux antipodes, pensait-il, que des échantillons malingres de ceux qui furent autrefois des socialistes pourraient être trouvés. Après M. Thiers, ses bons amis d’Europe s’empressèrent de répéter ses paroles, et de toutes parts ce fut un chant de triomphe. Quant aux socialistes allemands, n’avions-nous pas là, pour les surveiller, le maître des maîtres, celui dont un froncement de sourcils faisait trembler l’Europe ? Et les nihilistes de Russie ? Qu’étaient ces misérables ? Des monstres bizarres, des sauvages issus de Huns et de Bachkirs, dont les hommes du monde policé d’occident n’avaient à s’occuper que comme d’échantillons d’histoire naturelle.

Néanmoins, la joie causée par la disparition du socialisme n’a pas duré. De mauvais rêves troublaient les bourreaux, il leur semblait que les vic-