Page:Élisée Reclus - Évolution et révolution, 1891.djvu/38

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 35 —

Mais voici qu’on emploie un raisonnement d’une autre nature et qui a du moins le mérite de ne pas reposer sur un mensonge. On invoque contre les revendications sociales le droit du plus fort. La théorie dite de Darwin vient de faire son entrée dans la science et l’on croit pouvoir s’en servir contre nous. En effet, c’est bien le droit du plus fort qui triomphe pour l’accaparement des fortunes. Celui qui est le plus apte matériellement, le plus favorisé par sa naissance, par son instruction, par ses amis, celui qui est le mieux armé et qui trouve devant lui les ennemis les plus faibles, celui-là a le plus de chances de réussir ; mieux que d’autres il peut se bâtir une citadelle du haut de laquelle il tirera sur ses frères infortunés.

Ainsi en a décidé le grossier combat des égoïsmes en lutte. Jadis on n’osait trop avouer cette théorie de fer et de feu, elle eût paru trop violente et l’on préférait les paroles mielleuses. On l’enveloppait même sous de graves formules dont on espérait que le pauvre peuple ne comprendrait pas le sens : « Le travail est un frein » disait Guizot. Mais les découvertes de la science relatives au combat pour l’existence entre les espèces et à la survivance des plus vigoureuses, ont encouragé les théoriciens de la force à proclamer sans ambages leur insolente volonté : « Voyez, disent-ils, c’est la loi fatale ; c’est l’immuable destinée à laquelle mangeurs et mangés sont également soumis ».

Nous devons nous féliciter de ce que la question soit ainsi simplifiée dans sa brutalité, car elle est d’autant plus près de se résoudre. « La force règne ! » disent les soutiens de l’inégalité sociale. Oui, c’est la force qui règne ! s’écrie de plus en plus fort l’industrie moderne dans son perfection-