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de l’asservissement sans espoir des autres, mais de la bonne et franche égalité entre compagnons. Voilà ce que sait l’anarchiste sans avoir passé par les Universités ; de raisonnement aussi bien que d’instinct il sait que toute évolution doit se compléter par une révolution, et il se tient toujours prêt pour le changement.

Enfin il est une chose d’ordre capital que le peuple a bien apprise. C’est que la terre est dès maintenant riche et plus que riche pour subvenir abondamment à tous les besoins de l’Humanité. « Il y aura toujours des pauvres avec vous ! » aiment à répéter les ventrus, surtout les ventrus à barbe huileuse comme on en trouve tant dans le monde des jésuites protestants. Cette parole, disent-ils, est tombée de la bouche de leur dieu et ils la répètent en tournant les yeux et en parlant du fond de la gorge pour lui donner plus de solennité. Et c’est même parce que cette parole était censée divine que les pauvres aussi, dans le temps de leur pauvreté intellectuelle, comprenaient l’impuissance de tous leurs efforts pour arriver au bien-être : se sentant perdus dans ce monde, ils regardaient vers le monde de l’au-delà. « Peut-être, se disaient-ils, mourrons-nous de faim sur cette terre de larmes, mais à côté de Dieu, dans ce ciel glorieux, où nous aurons le nimbe du soleil autour de nos fronts, et où la voie lactée sera notre tapis, là-haut nous n’aurons plus besoin de nourriture comestible, et nous aurons la jouissance d’entendre les hurlements du mauvais riche à jamais rongé par la faim ». Maintenant quelques malheureux peut-être, se laissent encore mener par ces hallucinations, mais la plupart, devenus plus sages, ont maintenant les yeux tournés vers le pain de cette