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ciennes classes dirigeantes à exploiter la foule de ceux qui ne possédaient point. C’est au nom de la liberté, de l’égalité, de la fraternité que se firent désormais toutes les scélératesses. C’est pour émanciper le monde que Napoléon traînait derrière lui un million d’égorgeurs, c’est pour faire le bonheur de leurs chères patries respectives que les capitalistes constituent ces vastes propriétés, bâtissent les grandes usines, établissent ces puissants monopoles qui recréent sous une forme nouvelle l’esclavage d’autrefois.


Ainsi toutes les révolutions ont été doubles : on peut dire que l’histoire offre en toutes choses son revers et son endroit, et nous qui ne voulons pas nous payer de mots, nous devons étudier avec une implacable critique, tous les faits qui se sont accomplis, percer à jour les hommes qui prétendent s’être dévoués pour notre cause. Il ne suffit pas de crier : Révolution, Révolution ! pour que nous marchions aussitôt derrière celui qui veut nous entraîner. Sans doute, quand on ignore la vérité, il est naturel qu’on suive son instinct. On comprend très bien que le taureau affolé se précipite sur un chiffon rouge et que le peuple toujours opprimé se rue avec fureur contre le premier venu qu’on lui désigne. Une révolution quelconque, si minime qu’elle soit en réalité, a toujours cela de bon qu’elle est un témoignage de force, mais le temps est venu que ce témoignage ne soit pas celui d’une force aveugle et que les évolutionnaires, arrivant enfin à la pleine conscience de ce qu’ils veulent réaliser dans la révolution prochaine, ne se précipitent pas au hasard donnant de la corne à droite et à gauche comme des animaux insensés.