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LES OISEAUX S'ENVOLENT

Renvoyez aussi le portrait. Une mère le destinait à son fils.

Ne vous souciez pas de la valeur du boîtier d’or. Mme la Grande-Duchesse donnera vingt fois pour récompense ce qu’un marchand en pourrait payer.

J’écris ces lignes en cas qu’il m’arrive malheur.


C’était tout : pas de signature.

— Renfoyez les lettres… Pien ! dit Chus lentement… Renfoyez aussi le portrait… Quel portrait ?… Che ne fois pas te portrait !

Mais, en palpant le maroquin, le fripier y sentit sous ses gros doigts un objet dur et de forme ronde, dans un compartiment caché.

Il fouilla cette poche et en tira une boîte d’or, du diamètre à peu près d’une montre et plate comme un écu.

Elle s’ouvrait à ressort.

Il l’ouvrit.

La boîte montra aux regards le portrait d’une jeune femme.

Elle était brune, le teint mat, les yeux profonds et lumineux. Un joyau de pierreries fermait son corsage de cour, brodé d’aigles à deux têtes, sans nombre, et elle portait dans les cheveux un diadème de brillants, On voyait, gravée sur le boîtier d’or qui faisait face à la peinture, une couronne impériale. Au-dessous, se lisaient ces mots :

Maria-Pia
Grande-Duchesse de Russie
1844

— Encore une, reprit la cantinière, à qui les rentes n’ont rien coûté. Une belle femme, c’est certain !… Bah ! bah ! va ton chemin, la vieille ! Toutes ces princesses peuvent bien se faire tirer leur portrait avec des aigles et des diamants dessus, mais il leur est plus difficile d’être la nuit, dans les cimetières, en compagnie des gens qu’on fusille.

Elle s’interrompit, les yeux béants, puis clappa de la langue et poussa une exclamation.