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RAPPORTS DE CHARLEMAGNE AVEC LES SIENS

Rotrude, la plus âgée de ses filles[1], qui avait été fiancée à l’empereur grec Constantin[2]. Pépin laissa un fils — Bernard — et cinq filles — Adélaïde, Atula, Gondrade, Berthaïde, Théodrade — auxquels le roi témoigna son affection en décidant que le fils succéderait au défunt[3] et que les filles seraient élevées avec les siennes propres. Il supporta la mort de ses fils et de sa fille avec moins de résignation qu’on n’eût attendu de son extraordinaire force d’âme[4] : son cœur était si bon qu’il ne put s’empêcher de fondre en larmes.

De même, quand on lui annonça le décès du pontife romain Hadrien[5], son ami de prédilection, il pleura comme s’il avait perdu un frère ou un fils chéri. Car, en amitié, il était parfaitement équilibré : se donnant facilement[6], d’une fidélité à toute épreuve, vouant à ceux avec qui il s’était lié l’affection la plus sacrée.

Il prit de l’éducation de ses fils et de ses filles un tel soin[7] que, chez lui, il ne soupait jamais sans eux et que, sans eux, il ne se mettait jamais en route. Ses fils chevauchaient à ses côtés ; ses filles suivaient avec le dernier escadron des gardes du corps spécialement chargés de veiller sur elles.

  1. Morte le 6 juin 810. Voir ibid., p. 131 : « Hruodtrud, filia imperatoris, quae natu major erat… obiit. »
  2. Elle avait été fiancée toute enfant à Constantin VI en 781, et Éginhard l’avait peut-être lu dans les Annales de Lorsch : « Et ibi desponsata est Hrothrud filia regis Constantino imperatori » (Monumenta Germaniae, Scriptores, t. I, p. 32, et t. XVI, p. 497).
  3. C’est ce que disent les Annales royales, ann. 813, éd. Kurze, p. 138 : « … Bemhardumque nepotem suum, filium Pippini filii sui, Italiae praefecit et regem appellari jussit. » Les mots en italiques ont été reproduits par Éginhard quelques lignes plus haut à propos de Pépin lui-même (quem regem Italiae praefecerat).
  4. Encore une réplique à Suétone, qui dit d’Auguste : « Aliquanto autem patientius mortem quam dedecora suorum tulit » (Vie d’Auguste, lxv, 2).
  5. Mort en 796. On ne sait où Éginhard a pris ce qu’il conte à ce propos et qu’il serait imprudent d’accepter les yeux fermés.
  6. Éginhard a cru naïvement élever ainsi Charlemagne au-dessus d’Auguste, en modifiant légèrement la phrase où Suétone (Vie d’Auguste, lxvi, 1) loue l’empereur romain du discernement qu’il apportait dans le choix des amitiés et de la sûreté de ses sentiments (« Amicitias neque facile admisit et constantissime retinuit »).
  7. Éginhard reporte, en le modifiant à peine, au compte de Charlemagne ce que Suétone dit d’Auguste : « … neque cenavit una nisi ut in imo lecto assiderent neque iter fecit nisi ut vehiculo anteirent aut circa adequitarent » (Vie d’Auguste, lxiv, 3). — Sur les impossibilités auxquelles se heurtent ces assertions appliquées à Charlemagne, voir nos Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 93.