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ALLIANCES CONCLUES CHARLEMAGNE

par le mystère de la Rédemption[1] et fit accompagner les envoyés francs sur le chemin du retour par une ambassade chargée pour leur souverain de présents considérables — tissus, aromates et autres richesses des pays d’Orient — qui venaient s’ajouter à celui dont il l’avait déjà gratifié quelques années plus tôt en lui expédiant, pour répondre à son désir, l’unique éléphant dont il disposât alors[2].

De même encore, Charles reçut de fréquentes ambassades[3] des empereurs de Constantinople, Nicéphore, Michel et Léon, qui spontanément sollicitaient son amitié et son alliance[4]. Mais comme, en prenant le titre d’empereur, il s’était rendu suspect à leurs yeux de vouloir leur arracher l’empire[5], il conclut avec eux un solide traité, afin de faire

  1. M. Louis Bréhier, dans un ingénieux mémoire, a essayé d’apporter des preuves à l’appui de l’affirmation d’Éginhard (L. Bréhier, Les origines des rapports entre la France et la Syrie. Le protectorat de Charlemagne, dans Chambre de commerce de Marseille. Congrès français de Syrie [1919]. Séances et travaux, fasc. 2, 1919, p. 15 à 38). Il reconnaît toutefois (p. 33) que les Annales royales, seul texte tout à fait contemporain, parlent exclusivement de l’envoi fait à Charlemagne par le patriarche de Jérusalem des clés du saint Sépulcre en témoignage de déférence (novembre 800), ce qui n’implique pas plus un abandon de suzeraineté que l’envoi des clés de Saint-Pierre par les papes Grégoire III et Léon III à Charles Martel et à Charlemagne lui-même. Il est à craindre qu’une fois encore Éginhard n’ait interprété d’une façon abusive le texte de l’annaliste.
  2. La plupart des détails donnés ici par Éginhard proviennent des Annales royales. On y lit : 1o sous l’année 799 (2e rédaction), que Charlemagne envoya cette année-là en Orient un ambassadeur porteur de présents pour le saint Sépulcre (« cui et donaria sua ad illa veneranda loca deferenda commisit », éd. Kurze, p. 111) ; 2o sous l’année suivante (2e rédaction), que l’ambassadeur de Charles rapporta à son retour — non pas, bien entendu, de la part d’Haroun al Rachid, mais de la part du patriarche de Jérusalem — les clés du saint Sépulcre et du Calvaire (« qui benedictionis gratia sepulchri dominici ac loci Calvariae cum vexillo detulerunt », p. 113) ; 3o sous l’année 801, que des ambassadeurs du « roi de Perse Aaron » (« legatos Aaron… regis Persarum ») débarquèrent à Pise, suivis de près par un certain Isaac, un Juif que Charlemagne avait envoyé quatre ans plus tôt en Perse et qui lui ramenait de la part d’Haroun un éléphant (p. 116), dont il est encore question sous l’année 802 (p. 117) ; 4o sous l’année 807 enfin, qu’une nouvelle ambassade du roi de Perse arriva à la cour de Charlemagne chargée de cadeaux, parmi lesquels figuraient de riches étoffes, des aromates (odores atque unguenta et balsamum), une horloge, des candélabres, une tente, etc. (p. 123-124). Éginhard a amalgamé très librement tous ces détails.
  3. L’indication des ambassades envoyées par Nicéphore Ier, Michel Ier et Léon V (pour répondre, au surplus, à des ambassades adressées de France) et celle du traité conclu avec les empereurs byzantins ont été fournies à Éginhard par les Annales royales, ann. 803, éd. Kurze, p. 118 ; ann. 810, p. 132 ; 811, p. 133 ; 812, p. 136 ; 813, p. 137 ; 814, p. 140.
  4. Cette phrase ne laisse pas de surprendre ceux qui se rappellent au prix de quelles longues et pénibles démarches et de quels sacrifices d’amour-propre Charlemagne finit par obtenir des princes byzantins la reconnaissance officielle de son titre impérial et un traité d’alliance. Éginhard a été sans doute incité à cette audacieuse déformation de la vérité par la lecture de Suétone, qui, dans le chapitre consacré aux alliances conclues par Auguste, écrit pareillement (Vie d’Auguste, xxi, 3) que les Indiens et les Scythes « sollicitèrent spontanément par des ambassadeurs son amitié et celle du peuple romain » (« Indos ac Scythas… pellexit ad amicitiam suam populique Romani ultro per legatos petendam »).
  5. Voir notre étude sur Le couronnement impérial de l’an 800 dans Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, spécialement p. 235 à 238.