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GUERRE DE SAXE

délai les otages qu’on leur réclamait[1], combien d’ambassades ils reçurent, domptés à de certains moments et assez affaiblis pour se déclarer prêts à abandonner le culte des démons et à se soumettre à la religion chrétienne[2]. Mais s’ils se montraient parfois enclins à céder, ils étaient toujours prompts à renier leurs engagements, au point qu’on ne saurait dire lequel des deux ils faisaient avec le plus de facilité ; et de fait, à compter du début de la guerre, il ne se passa pour ainsi dire pas d’année sans pareille trahison de leur part.

Mais leur manque de foi ne put avoir raison de la grandeur d’âme du roi ni de sa constance dans la bonne comme dans la mauvaise fortune ; elle ne put le décider à lâcher prise ; et il ne laissa jamais passer aucun acte de ce genre sans se venger de leur perfidie et leur imposer un juste châtiment soit en marchant contre eux lui-même, soit en envoyant contre eux des troupes commandées par ses comtes[3]. Ayant ainsi fini par triompher des plus intraitables et par les réduire à merci, il déporta, avec leurs femmes et leurs enfants, dix mille de ceux qui habitaient sur les deux rives de l’Elbe et les dispersa par petits groupes à travers la Gaule et la Germanie[4]. Et l’on sait que la guerre, après tant d’années de luttes,

  1. Il en est constamment question dans les Annales royales. Voir la 2e rédaction, ann. 772, éd. Kurze, p. 35 : « a Saxonibus duodecim obsides accepit » ; ann. 775, p. 43 : « obsides quos rex imperaverat dedit et sacramentum fidelitatis juravit… ; juxta quod imperaverat obsides ac sacramenta dederunt » ; ann. 776, p. 47 : « obsidibus quoque quos imperaverat receptis » ; ann. 779, p. 55 : « obsides dederunt et sacramenta juraverunt », etc.
  2. C’est ce que disent, dans les mêmes termes, les Annales royales, 2e rédaction, ann. 775, éd. Kurze, p. 41 : « … dum aut victi christianae religioni subicerentur aut omnino tollerentur » ; ann. 776, p. 47 : « … qui se christianos fieri velle adfirmabant ».
  3. Éginhard se sert ici à peu près des mêmes expressions que l’annaliste, sous l’année 785 : « Inquietam satis hiemem… tam per se ipsum quam per duces quos miserat » (éd. Kurze, p. 69).
  4. Ceci d’après les Annales royales, ann. 804 : « Omnes qui trans Albiam et in Wihmuodi habitabant Saxones cum mulieribus et infantibus transtulit in Franciam » (éd. Kurze, p. 118). Le pays de Wihmode était au sud-ouest de l’Elbe inférieure (voir la carte de nos Études critiques sur l’histoire de Charlemagne) : Éginhard donne donc ici encore une preuve de sa connaissance, au moins sommaire, du pays saxon, quand il écrit : « sur les deux rives de l’Elbe ». Mais il est à craindre qu’il n’ait tiré de son imagination le total des déportés, que l’annaliste n’avait pas indiqué. Il simplifie, en outre, à l’excès, ne parlant ni des 4 500 rebelles exécutés de sang-froid à Verden en 782 ni des formidables déportations en masses antérieures à 804.