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LES DERNIERS ROIS MÉROVINGIENS

tile, et les précaires moyens d’existence que lui accordait à sa guise le maire du palais, il ne possédait en propre qu’un unique domaine, de très faible rapport, avec une maison et quelques serviteurs, en petit nombre, à sa disposition pour lui fournir le nécessaire. Quand il avait à se déplacer, il montait dans une voiture attelée de bœufs, qu’un bouvier conduisait à la mode rustique : c’est dans cet équipage qu’il avait accoutumé d’aller au palais, de se rendre à l’assemblée publique de son peuple, réunie annuellement pour traiter des affaires du royaume, et de regagner ensuite sa demeure[1]. L’administration et toutes les décisions et mesures à prendre, tant à l’intérieur qu’au dehors, étaient du ressort exclusif du maire du palais.

[2.] Cette charge, à l’époque où Childéric fut déposé, était remplie par Pépin, père du roi Charles, en vertu d’un droit déjà presque héréditaire. Elle avait été en effet brillamment exercée avant lui par cet autre Charles dont il était le fils et qui se signala en abattant les tyrans, dont le pouvoir cherchait à s’implanter partout en France, et en forçant les Sarrasins par deux grandes victoires — l’une en Aquitaine, à Poitiers, l’autre près de Narbonne — à renoncer à l’occupation de la Gaule et à se replier en Espagne[2] ; et celui-ci l’avait lui-même

  1. Peut-être est-ce dans un opuscule de propagande, comme les Carolingiens surent en répandre à l’occasion, qu’Éginhard a recueilli les éléments de ce fameux portrait des rois fainéants, dont plusieurs de ses contemporains avaient déjà avant lui parlé en termes analogues. Voir la petite Chronique de Lorsch, III, 12, éd. Schnorr von Carolsfeld, dans le Neues Archiv der Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtskunde, t. XXXVI, 1911, p. 27-28 ; les Annales Mettenses priores, ann. 692, éd. B. von Simson, dans la collection des Scriptores rerum germanicarum in usum scholarum (1905), p. 20, et l’historien byzantin Théophane, dans sa Chronographia, éd. C. De Boor, t. I, p. 402 et suiv. — On a souvent souligné le caractère fantaisiste de cette page, qui a trop longtemps contribué à fausser l’histoire du viiie siècle.
  2. Éginhard a sans doute puisé ici sa science dans les Continuateurs de Frédégaire (édition Krusch, dans les Monumenta Germaniae, Scriptores rerum merovingicarum, t. II, p. 175, § 13, et p. 178, § 20). Il semble, en outre, avoir eu sous les yeux l’Histoire des évêques de Metz composée par Paul Diacre vers 784 (Liber de episcopis Mettensibus, dans les Monumenta Germaniae, Scriptores, t. II, p. 265) ; car, rappelant à grands traits le rôle des premiers Carolingiens, ce dernier auteur présente déjà souvent les faits d’une façon analogue et en termes presque identiques. Voir notamment la phrase : « Pippinus genuit Karolum… qui… ita praecipue Sarracenos detrivit ut » et l’épitaphe de Rothaïde :

    « Pippinus pater est, Karolo de principe cretus,
    Aggarenum stravit magna qui caede tyrannum. »