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VIE
DE L’EMPEREUR CHARLEMAGNE


Ayant résolu d’écrire un livre sur la vie, les mœurs et les principaux faits du règne du seigneur qui m’a nourri[1], le très excellent roi Charles, si justement fameux, je l’ai fait avec le plus de sobriété que j’ai pu, m’attachant tout ensemble à ne rien omettre de ce qui est parvenu à ma connaissance et à ne pas fatiguer par la longueur de mon récit l’esprit de ceux à qui répugne tout ce qui est nouveau — si toutefois il est possible, vraiment, de proposer, sans lui déplaire, un livre nouveau à un public qu’ennuient même les œuvres des meilleurs et des plus doctes écrivains[2].

Plus d’un de ceux, je le sais, qui ont consacré leurs loisirs au culte des lettres estime que l’époque où nous vivons mérite de n’être pas considérée comme indigne de tout souvenir et vouée en bloc à l’oubli ; plus d’un même, jaloux de

  1. Un usage immémorial voulait que le souverain accueillît auprès de lui et fît « nourrir » à ses frais, comme on disait, des jeunes gens de bonne famille ou qui s’étaient distingués dans leurs études. Ces « nourris », qui arrivaient à la cour au sortir de l’école, c’est-à-dire en général vers douze ou treize ans, se formaient sous les yeux du roi à la carrière des armes et à la vie politique, constituant une pépinière où se recrutaient ensuite les hauts fonctionnaires de l’administration. Cf. Guilhiermoz, Essai sur l’origine de la noblesse en France au moyen âge (1902), p. 424-431.
  2. Le ton et le style de cette préface donnent à penser qu’Éginhard s’est inspiré d’un modèle classique — peut-être de la préface, aujourd’hui perdue, que Suétone avait écrite pour ses Vies des Césars, que le biographe de Charlemagne a par ailleurs si souvent démarquées.