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PROLOGUE DE WALAHFRID STRABON

tout à leur aise, ce qui lui permit d’assurer à nouveau le rayonnement de la science entière, en partie inconnue jusqu’alors de ce monde barbare, et de faire ainsi de toute l’étendue du royaume, qu’il avait reçu de Dieu encore enveloppé de brumes et, pour ainsi dire, presque aveugle, un pays lumineux, aux yeux pénétrés de clarté divine. Mais aujourd’hui les études déclinant derechef, la lumière de sapience, moins prisée, tend à perdre de son éclat.

Or donc ce petit homme, que sa faible taille rendait peu respectable[1], s’acquit par son esprit et sa droiture à la cour de Charles, ami de la science, un tel renom que, parmi tous les serviteurs de sa Majesté, il n’en était presque aucun à qui ce roi, le plus puissant et le plus sage de son temps, confiât plus de secrets de son intimité. Et c’était justice : car non seulement sous Charles lui-même, mais encore — ce qui est plus étonnant — sous l’empereur Louis, quand l’État franc était emporté dans la tourmente et menaçait ruine, il sut, par une faculté d’équilibre remarquable et d’inspiration vraiment divine, se garder, grâce à Dieu, si bien lui-même qu’il parvint tout à la fois à conserver intacte jusqu’au bout sa brillante réputation, qui n’était cependant pas sans l’exposer à l’envie et au danger, et à éviter par surcroît d’irrémédiables périls[2].

Cela soit dit pour que nul n’élève de doute touchant la valeur de ses assertions, faute de savoir quelles exceptionnelles louanges il devait à la chère mémoire de son protec-

  1. À cause de sa petite taille, il avait commencé par être la risée des familiers de la cour carolingienne, qui l’avaient surnommé Nardillon. Voir nos Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 70.
  2. Nous avons dit dans notre Introduction qu’Éginhard sut en effet très habilement tirer son épingle du jeu quand éclata la lutte entre Louis le Pieux et ses fils.