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PRÉSAGES DE LA MORT DE CHARLEMAGNE

À cela vinrent s’ajouter de fréquentes secousses qui ébranlèrent le palais d’Aix et des craquements continuels dans les plafonds[1] des pièces où il se tenait. Puis la foudre tomba sur la basilique où il fut plus tard enseveli[2], arrachant la pomme d’or qui surmontait le toit et la projetant sur la maison voisine, qui servait de résidence à l’évêque. D’autre part, il y avait dans la basilique, sur le pourtour de la portion de mur comprise entre les arcades du bas et celles de l’étage supérieur, une inscription en lettres rouges donnant le nom du fondateur de l’église. Au dernier vers, on lisait les mots : « … Karolus princeps » (« le prince Charles »). Or quelques personnes remarquèrent que l’année même de sa mort, quelques mois avant, les lettres du mot Princeps étaient tellement effacées qu’on ne pouvait plus les déchiffrer[3].

Mais d’aucun de ces présages le roi ne tint compte ; il les traita par le mépris ou affecta de croire qu’ils ne le visaient en rien.

[33.] Il avait résolu de faire un testament[4] aux termes duquel il eût institué en partie pour héritiers ses filles et les fils qu’il avait eus de ses concubines ; mais il s’y prit trop tard et ne put le terminer. Du moins procéda-t-l, trois ans avant de mourir[5], au partage de ses trésors, de sa fortune, de ses vêtements et de ses meubles, en présence de ses amis et de ses officiers ; il leur recommanda de veiller, après sa

  1. Le mot laquearia dont se sert ici Éginhard semble désigner, au sens strict, des plafonds de bois à solives apparentes.
  2. Suétone avait parlé en termes analogues d’édifices atteints par la foudre avant la mort d’Auguste, de Caligula et de Claude : « Sub idem tempus ictu fulminis… » (Vie d’Auguste, xcvii, 2) ; « Capitolium Capuae… de caelo tactum est, item Romae cella Palatini atriensis » (Vie de Caligula, lvii, 2) ; « … tactumque de caelo monumentum Drusi patris… » (Vie de Claude, xlvi).
  3. Suétone raconte à propos d’Auguste une histoire analogue (Vie d’Auguste, xcvii, 2), dont Éginhard s’est évidemment inspiré : la foudre étant tombée sur une statue de l’empereur, la première lettre de son titre de Caesar, inscrit sur le socle, se trouva effacée (« Ictu fulminis ex inscriptione statuae ejus prima nominis littera effluxit ; responsum est centum solos dies posthac victurum, quem numerum C littera notaret futurumque ut inter deos referretur quod AESAR, id est reliqua pars e Caesaris nomine Etrusca lingua deus vocaretur »).
  4. Pour certains détails d’expression, Éginhard s’est souvenu du chapitre consacré par Suétone au testament d’Auguste : « Testamentumante annum et quattuor menses quam decederet factumHeredes instituit primos, etc. »
  5. L’acte semble du début de l’année 811. Voir Böhmer et Mühlbacher, Die Regesten des Kaiserreichs unter den Karolingern, 2e éd. (1908), t. I, no 458.