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COURONNEMENT DE CHARLES COMME EMPEREUR

moyens et de toutes ses forces à rétablir l’ancien renom de Rome et à assurer par sa générosité à l’église de saint Pierre, outre la sécurité et une protection, des ornements et une fortune qui la missent au-dessus de toutes les autres églises. Et cependant, malgré le cas qu’il en faisait, il n’y alla que quatre fois[1] au cours des quarante-sept années de son règne pour accomplir des vœux et faire ses dévotions.

[28.] Le dernier voyage qu’il y fit eut encore d’autres causes[2]. Les Romains ayant accablé de violences le pontife Léon — lui crevant les yeux et lui coupant la langue — l’avaient contraint à implorer le secours du roi. Venant donc à Rome pour rétablir la situation de l’Église, fort compromise par ces incidents, il y passa tout l’hiver. C’est alors qu’il reçut le titre d’empereur et « auguste ». Et il s’en montra d’abord si mécontent qu’il aurait renoncé, affirmait-il, à entrer dans l’église ce jour-là, bien que ce fût jour de grande fête, s’il avait pu connaître d’avance le dessein du pontife[3]. Il n’en supporta pas moins avec une grande patience la jalousie des empereurs romains[4], qui s’indignaient du titre qu’il avait pris et, grâce à sa magnanimité, qui l’élevait si fort au-dessus d’eux, il parvint, en leur envoyant de nombreuses ambassades et en leur donnant le nom de « frères » dans ses lettres[5], à vaincre finalement leur résistance.

[29.] Quand il eut pris le titre impérial, observant qu’il y

  1. En 774, 781, 787 et 800, comme Éginhard pouvait l’apprendre à la simple lecture des Annales royales.
  2. Le passage qui suit est inspiré des Annales royales, ann. 799, 800 et 801, 2e rédaction. L’annaliste rapporte, en termes qu’Éginhard s’est souvent borné à reproduire, les violences subies par le pontife le 25 avril 799 (« Erutis oculis… lingua quoque amputata, nudus ac semivivus in platea relictus est », éd. Kurze, p. 107), sa fuite jusqu’en Saxe, au camp de Charlemagne, l’arrivée de ce dernier à Rome (24 novembre 800), où il passe plusieurs semaines à remettre en ordre les affaires de l’Église, enfin son couronnement comme empereur le 25 décembre suivant (« … omisso patricii nomine imperator et augustus appellatus est », p. 113).
  3. Nous avons discuté cette version du couronnement impérial dans notre étude sur le Couronnement impérial de l’an 800 (Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 219-238).
  4. Jamais les empereurs orientaux n’avaient cessé de porter ce titre et de se considérer comme les héritiers — les seuls héritiers depuis qu’il n’y avait plus d’empereur en Occident — des premiers empereurs romains.
  5. Voir, en effet, les lettres de Charlemagne à Nicéphore Ier (811) et à Michel Ier (813) dans les Monumenta Germaniae, Epistolae karolini aevi, t. II, p. 546 et 556. — Éginhard déforme ici audacieusement les faits, qu’au surplus il n’a peut-être pas bien compris.