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plaît ou ça ne vous plaît pas. Ce n’est pas comme l’autre qui n’est jamais ni figue ni raisin. Du reste Odette a l’air de préférer joliment le Forcheville, et je lui donne raison. Et puis enfin, puisque Swann veut nous la faire à l’homme du monde, au champion des duchesses, au moins l’autre a son titre ; il est toujours comte de Forcheville, ajouta-t-il d’un air délicat, comme si, au courant de l’histoire de ce comté, il en soupesait minutieusement la valeur particulière.

— Je te dirai, dit Mme Verdurin, qu’il a cru devoir lancer contre Brichot quelques insinuations venimeuses et assez ridicules. Naturellement, comme il a vu que Brichot était aimé dans la maison, c’était une manière de nous atteindre, de bêcher notre dîner. On sent le bon petit camarade qui vous débinera en sortant.

— Mais je te l’ai dit, répondit M. Verdurin, c’est le raté, le petit individu envieux de tout ce qui est un peu grand.

En réalité il n’y avait pas un fidèle qui ne fût plus malveillant que Swann ; mais tous ils avaient la précaution d’assaisonner leurs médisances de plaisanteries connues, d’une petite pointe d’émotion et de cordialité ; tandis que la moindre réserve que se permettait Swann, dépouillée des formules de convention telles que : « Ce n’est pas du mal que nous disons » et auxquelles il dédaignait de s’abaisser, paraissait une perfidie. Il y a des auteurs originaux dont la moindre hardiesse révolte parce qu’ils n’ont pas d’abord flatté les goûts du public et ne lui ont pas servi les lieux communs auxquels il est habitué ; c’est de la même manière que Swann indignait M. Verdurin. Pour Swann comme pour eux, c’était la nouveauté de son langage qui faisait croire à la noirceur de ses intentions.