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— Oh ! je le connais depuis si longtemps, répondit Cottard.

Mais ils se turent ; sous l’agitation des trémolos de violon qui la protégeaient de leur tenue frémissante à deux octaves de là — et comme dans un pays de montagne, derrière l’immobilité apparente et vertigineuse d’une cascade, on aperçoit, deux cents pieds plus bas, la forme minuscule d’une promeneuse — la petite phrase venait d’apparaître, lointaine, gracieuse, protégée par le long déferlement du rideau transparent, incessant et sonore. Et Swann en son cœur, s’adressa à elle comme à une confidente de son amour, comme à une amie d’Odette qui devrait bien lui dire de ne pas faire attention à ce Forcheville.

— Ah ! vous arrivez tard, dit Mme Verdurin à un fidèle qu’elle n’avait invité qu’en « cure-dents », nous avons eu « un » Brichot incomparable, d’une éloquence ! Mais il est parti. N’est-ce pas, monsieur Swann ? Je crois que c’est la première fois que vous vous rencontriez avec lui, dit-elle pour lui faire remarquer que c’était à elle qu’il devait de le connaître. N’est-ce pas, il a été délicieux, notre Brichot ?

Swann s’inclina poliment.

— Non ? il ne vous a pas intéressé ? lui demanda sèchement Mme Verdurin.

— Mais si, madame, beaucoup, j’ai été ravi. Il est peut-être un peu péremptoire et un peu jovial pour mon goût. Je lui voudrais parfois un peu d’hésitations et de douceur, mais on sent qu’il sait tant de choses et il a l’air d’un bien brave homme.

Tout le monde se retira fort tard. Les premiers mots de Cottard à sa femme furent :

— J’ai rarement vu Mme Verdurin aussi en verve que ce soir.