Page:À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 2.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de faire montre, devant un nouveau de l’importance de Forcheville, à la fois de son esprit et de son pouvoir tyrannique sur les fidèles.

— M. de Forcheville était en train de me dire du mal de toi, dit Mme  Cottard à son mari quand il rentra au salon.

Et lui, poursuivant l’idée de la noblesse de Forcheville qui l’occupait depuis le commencement du dîner, lui dit :

— Je soigne en ce moment une baronne, la baronne Putbus ; les Putbus étaient aux Croisades, n’est-ce pas ? Ils ont, en Poméranie, un lac qui est grand comme dix fois la place de la Concorde. Je la soigne pour de l’arthrite sèche, c’est une femme charmante. Elle connaît du reste Mme  Verdurin, je crois.

Ce qui permit à Forcheville, quand il se retrouva, un moment après, seul avec Mme  Cottard, de compléter le jugement favorable qu’il avait porté sur son mari :

— Et puis il est intéressant, on voit qu’il connaît du monde. Dame, ça sait tant de choses, les médecins !

— Je vais jouer la phrase de la Sonate pour M. Swann ? dit le pianiste.

— Ah ! bigre ! ce n’est pas au moins le « Serpent à Sonates » ? demanda M. de Forcheville pour faire de l’effet.

Mais le docteur Cottard, qui n’avait jamais entendu ce calembour, ne le comprit pas et crut à une erreur de M. de Forcheville. Il s’approcha vivement pour la rectifier :

— Mais non, ce n’est pas serpent à sonates qu’on dit, c’est serpent à sonnettes, dit-il d’un ton zélé, impatient et triomphal.

Forcheville lui expliqua le calembour. Le docteur rougit.

— Avouez qu’il est drôle, docteur ?