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dextérité, comme nous disions au régiment, où pourtant j’avais un camarade que justement monsieur me rappelait un peu. À propos de n’importe quoi, je ne sais que vous dire, sur ce verre, par exemple, il pouvait dégoiser pendant des heures ; non, pas à propos de ce verre, ce que je dis est stupide ; mais à propos de la bataille de Waterloo, de tout ce que vous voudrez et il nous envoyait chemin faisant des choses auxquelles vous n’auriez jamais pensé. Du reste Swann était dans le même régiment ; il a dû le connaître.

— Vous voyez souvent M. Swann ? demanda Mme Verdurin.

— Mais non, répondit M. de Forcheville et comme pour se rapprocher plus aisément d’Odette, il désirait être agréable à Swann, voulant saisir cette occasion, pour le flatter, de parler de ses belles relations, mais d’en parler en homme du monde sur un ton de critique cordiale et n’avoir pas l’air de l’en féliciter comme d’un succès inespéré : « N’est-ce pas, Swann ? je ne vous vois jamais. D’ailleurs, comment faire pour le voir ? Cet animal-là est tout le temps fourré chez les La Trémoïlle, chez les Laumes, chez tout ça !… » Imputation d’autant plus fausse d’ailleurs que depuis un an Swann n’allait plus guère que chez les Verdurin. Mais le seul nom de personnes qu’ils ne connaissaient pas était accueilli chez eux par un silence réprobateur. M. Verdurin, craignant la pénible impression que ces noms d’« ennuyeux », surtout lancés ainsi sans tact à la face de tous les fidèles, avaient dû produire sur sa femme, jeta sur elle à la dérobée un regard plein d’inquiète sollicitude. Il vit alors que dans sa résolution de ne pas prendre acte, de ne pas avoir été touchée par la nouvelle qui venait de lui être notifiée, de ne pas seulement rester muette, mais d’avoir été sourde comme nous l’af-