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qu’il avait prises pour la leur cacher, la découverte progressive qu’ils faisaient de sa brillante situation mondaine, tout cela contribuait à leur irritation contre lui. Mais la raison profonde en était autre. C’est qu’ils avaient très vite senti en lui un espace réservé, impénétrable, où il continuait à professer silencieusement pour lui-même que la princesse de Sagan n’était pas grotesque et que les plaisanteries de Cottard n’étaient pas drôles, enfin et bien que jamais il ne se départît de son amabilité et ne se révoltât contre les dogmes, une impossibilité de les lui imposer, de l’y convertir entièrement, comme ils n’en avaient jamais rencontré une pareille chez personne. Ils lui auraient pardonné de fréquenter des ennuyeux (auxquels d’ailleurs, dans le fond de son cœur, il préférait mille fois les Verdurin et tout le petit noyau) s’il avait consenti, pour le bon exemple, à les renier en présence des fidèles. Mais c’est une abjuration qu’ils comprirent qu’on ne pourrait pas lui arracher.

Quelle différence avec un « nouveau » qu’Odette leur avait demandé d’inviter, quoiqu’elle ne l’eût rencontré que peu de fois, et sur lequel ils fondaient beaucoup d’espoir, le comte de Forcheville ! (Il se trouva qu’il était justement le beau-frère de Saniette, ce qui remplit d’étonnement les fidèles : le vieil archiviste avait des manières si humbles qu’ils l’avaient toujours cru d’un rang social inférieur au leur et ne s’attendaient pas à apprendre qu’il appartenait à un monde riche et relativement aristocratique.) Sans doute Forcheville était grossièrement snob, alors que Swann ne l’était pas ; sans doute il était bien loin de placer, comme lui, le milieu des Verdurin au-dessus de tous les autres. Mais il n’avait pas cette délicatesse de nature qui empêchait Swann de s’associer aux critiques trop manifestement fausses que dirigeait Mme  Verdurin