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particulière et en fait, comme pour une mortelle un prénom différent, une divinité nouvelle.

Un de ces jours de soleil qui n’avait pas réalisé mes espérances, je n’eus pas le courage de cacher ma déception à Gilberte.

— J’avais justement beaucoup de choses à vous demander, lui dis-je. Je croyais que ce jour compterait beaucoup dans notre amitié. Et aussitôt arrivée, vous allez partir ! Tâchez de venir demain de bonne heure, que je puisse enfin vous parler.

Sa figure resplendit et ce fut en sautant de joie qu’elle me répondit :

— Demain, comptez-y, mon bel ami, mais je ne viendrai pas ! j’ai un grand goûter ; après-demain non plus, je vais chez une amie pour voir de ses fenêtres l’arrivée du roi Théodose, ce sera superbe, et le lendemain encore à Michel Strogoff et puis après, cela va être bientôt Noël et les vacances du jour de l’An. Peut-être on va m’emmener dans le midi. Ce que ce serait chic ! quoique cela me fera manquer un arbre de Noël ; en tous cas si je reste à Paris, je ne viendrai pas ici car j’irai faire des visites avec maman. Adieu, voilà papa qui m’appelle.

Je revins avec Françoise par les rues qui étaient encore pavoisées de soleil, comme au soir d’une fête qui est finie. Je ne pouvais pas traîner mes jambes.

— Ça n’est pas étonnant, dit Françoise, ce n’est pas un temps de saison, il fait trop chaud. Hélas ! mon Dieu, de partout il doit y avoir bien des pauvres malades, c’est à croire que là-haut aussi tout se détraque.

Je me redisais en étouffant mes sanglots les mots où Gilberte avait laissé éclater sa joie de ne pas venir de longtemps aux Champs-Élysées. Mais déjà le charme dont, par son simple fonctionnement, se remplissait mon esprit dès qu’il songeait à elle, la