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silence pendant lequel j’aurais pu enfin remettre la main sur l’image urgente et égarée, ou de lui dire les paroles qui pouvaient faire faire à notre amour les progrès décisifs sur lesquels j’étais chaque fois obligé de ne plus compter que pour l’après-midi suivante. Il en faisait pourtant quelques-uns. Un jour que nous étions allés avec Gilberte jusqu’à la baraque de notre marchande qui était particulièrement aimable pour nous — car c’était chez elle que M. Swann faisait acheter son pain d’épice, et par hygiène, il en consommait beaucoup, souffrant d’un eczéma ethnique et de la constipation des Prophètes — Gilberte me montrait en riant deux petits garçons qui étaient comme le petit coloriste et le petit naturaliste des livres d’enfants. Car l’un ne voulait pas d’un sucre d’orge rouge parce qu’il préférait le violet et l’autre, les larmes aux yeux, refusait une prune que voulait lui acheter sa bonne, parce que, finit-il par dire d’une voix passionnée : « J’aime mieux, l’autre prune, parce qu’elle a un ver ! » J’achetai deux billes d’un sou. Je regardais avec admiration, lumineuses et captives dans une sébile isolée, les billes d’agate qui me semblaient précieuses parce qu’elles étaient souriantes et blondes comme des jeunes filles et parce qu’elles coûtaient cinquante centimes pièce. Gilberte, à qui on donnait beaucoup plus d’argent qu’à moi, me demanda laquelle je trouvais la plus belle. Elles avaient la transparence et le fondu de la vie. Je n’aurais voulu lui en faire sacrifier aucune. J’aurais aimé qu’elle pût les acheter, les délivrer toutes. Pourtant je lui en désignai une qui avait la couleur de ses yeux. Gilberte la prit, chercha son rayon doré, la caressa, paya sa rançon, mais aussitôt me remit sa captive en me disant : « Tenez, elle est à vous, je vous la donne, gardez-la comme souvenir. »