si elle devait parler des Verdurin à Swann, elle tint tout naturellement, de sa voix lente, gauche et douce que par moments l’omnibus couvrait complètement de son tonnerre, des propos parmi ceux qu’elle entendait et répétait dans les vingt-cinq maisons dont elle montait les étages dans une journée :
— Je ne vous demande pas, monsieur, si un homme dans le mouvement comme vous, a vu, aux Mirlitons, le portrait de Machard qui fait courir tout Paris. Eh bien ! qu’en dites-vous ? Êtes-vous dans le camp de ceux qui approuvent ou dans le camp de ceux qui blâment ? Dans tous les salons on ne parle que du portrait de Machard ; on n’est pas chic, on n’est pas pur, on n’est pas dans le train, si on ne donne pas son opinion sur le portrait de Machard.
Swann ayant répondu qu’il n’avait pas vu ce portrait, Mme Cottard eut peur de l’avoir blessé en l’obligeant à le confesser.
— Ah ! c’est très bien, au moins vous l’avouez franchement, vous ne vous croyez pas déshonoré parce que vous n’avez pas vu le portrait de Machard. Je trouve cela très beau de votre part. Hé bien, moi je l’ai vu, les avis sont partagés, il y en a qui trouvent que c’est un peu léché, un peu crème fouettée, moi, je le trouve idéal. Évidemment elle ne ressemble pas aux femmes bleues et jaunes de notre ami Biche. Mais je dois vous l’avouer franchement, vous ne me trouverez pas très fin de siècle, mais je le dis comme je le pense, je ne comprends pas. Mon Dieu ! je reconnais les qualités qu’il y a dans le portrait de mon mari, c’est moins étrange que ce qu’il fait d’habitude, mais il a fallu qu’il lui fasse des moustaches bleues. Tandis que Machard ! Tenez justement le mari de l’amie chez qui je vais en ce moment (ce qui me donne le très