Page:À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 2.djvu/160

Cette page a été validée par deux contributeurs.

avait d’aller à sa soirée ; elle trouvait plus aimable de lui exposer quelques petits faits d’où dépendrait qu’il lui fût ou non possible de s’y rendre.

— Écoute, je vais te dire, dit-elle à Mme  de Gallardon, il faut demain soir que j’aille chez une amie qui m’a demandé mon jour depuis longtemps. Si elle nous emmène au théâtre, il n’y aura pas, avec la meilleure volonté, possibilité que j’aille chez toi ; mais si nous restons chez elle, comme je sais que nous serons seuls, je pourrai la quitter.

— Tiens, tu as vu ton ami M. Swann ?

— Mais non, cet amour de Charles, je ne savais pas qu’il fût là, je vais tâcher qu’il me voie.

— C’est drôle qu’il aille même chez la mère Saint-Euverte, dit Mme  de Gallardon. Oh ! je sais qu’il est intelligent, ajouta-t-elle en voulant dire par là intrigant, mais cela ne fait rien, un Juif chez la sœur et la belle-sœur de deux archevêques !

— J’avoue à ma honte que je n’en suis pas choquée, dit la princesse des Laumes.

— Je sais qu’il est converti, et même déjà ses parents et ses grands-parents. Mais on dit que les convertis restent plus attachés à leur religion que les autres, que c’est une frime, est-ce vrai ?

— Je suis sans lumières à ce sujet.

Le pianiste qui avait à jouer deux morceaux de Chopin après avoir terminé le prélude, avait attaqué aussitôt une polonaise. Mais depuis que Mme  de Gallardon avait signalé à sa cousine la présence de Swann, Chopin ressuscité aurait pu venir jouer lui-même toutes ses œuvres sans que Mme  des Laumes pût y faire attention. Elle faisait partie d’une de ces deux moitiés de l’humanité chez qui la curiosité qu’a l’autre moitié pour les êtres qu’elle ne connaît pas est remplacée par l’intérêt pour les êtres qu’elle connaît. Comme beaucoup de femmes