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un moment demain soir chez moi entendre un quintette avec clarinette de Mozart. Je voudrais avoir ton appréciation.

Elle semblait non pas adresser une invitation, mais demander un service, et avoir besoin de l’avis de la princesse sur le quintette de Mozart comme si ç’avait été un plat de la composition d’une nouvelle cuisinière sur les talents de laquelle il lui eût été précieux de recueillir l’opinion d’un gourmet.

— Mais je connais ce quintette, je peux te dire tout de suite… que je l’aime !

— Tu sais, mon mari n’est pas bien, son foie…, cela lui ferait grand plaisir de te voir, reprit Mme  de Gallardon, faisant maintenant à la princesse une obligation de charité de paraître à sa soirée.

La princesse n’aimait pas à dire aux gens qu’elle ne voulait pas aller chez eux. Tous les jours elle écrivait son regret d’avoir été privée — par une visite inopinée de sa belle-mère, par une invitation de son beau-frère, par l’Opéra, par une partie de campagne — d’une soirée à laquelle elle n’aurait jamais songé à se rendre. Elle donnait ainsi à beaucoup de gens la joie de croire qu’elle était de leurs relations, qu’elle eût été volontiers chez eux, qu’elle n’avait été empêchée de le faire que par les contretemps princiers qu’ils étaient flattés de voir entrer en concurrence avec leur soirée. Puis faisant partie de cette spirituelle coterie des Guermantes où survivait quelque chose de l’esprit alerte, dépouillé de lieux communs et de sentiments convenus, qui descend de Mérimée — et a trouvé sa dernière expression dans le théâtre de Meilhac et Halévy — elle l’adaptait même aux rapports sociaux, le transposait jusque dans sa politesse qui s’efforçait d’être positive, précise, de se rapprocher de l’humble vérité. Elle ne développait pas longuement à une maîtresse de maison l’expression du désir qu’elle