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était à refaire ou si les actions ne donnaient pas de dividende, il serait bien avancé), voici que comme un caoutchouc tendu qu’on lâche ou comme l’air dans une machine pneumatique qu’on entr’ouvre, l’idée de la revoir, des lointains où elle était maintenue, revenait d’un bond dans le champ du présent et des possibilités immédiates.

Elle y revenait sans plus trouver de résistance, et d’ailleurs si irrésistible que Swann avait eu bien moins de peine à sentir s’approcher un à un les quinze jours qu’il devait rester séparé d’Odette, qu’il n’en avait à attendre les dix minutes que son cocher mettait pour atteler la voiture qui allait l’emmener chez elle et qu’il passait dans des transports d’impatience et de joie où il ressaisissait mille fois pour lui prodiguer sa tendresse, cette idée de la retrouver qui, par un retour si brusque, au moment où il la croyait si loin, était de nouveau près de lui dans sa plus proche conscience. C’est qu’elle ne trouvait plus pour lui faire obstacle le désir de chercher sans plus tarder à lui résister, qui n’existait plus chez Swann depuis que, s’étant prouvé à lui-même — il le croyait du moins — qu’il en était si aisément capable, il ne voyait plus aucun inconvénient à ajourner un essai de séparation qu’il était certain maintenant de mettre à exécution dès qu’il le voudrait. C’est aussi que cette idée de la revoir revenait parée pour lui d’une nouveauté, d’une séduction, douée d’une virulence que l’habitude avait émoussées, mais qui s’étaient retrempées dans cette privation non de trois jours mais de quinze (car la durée d’un renoncement doit se calculer, par anticipation, sur le terme assigné), et de ce qui jusque-là eût été un plaisir attendu qu’on sacrifie aisément, avait fait un bonheur inespéré contre lequel on est sans force. C’est enfin qu’elle y revenait embellie par l’ignorance où était Swann de ce