Ouverture du congrès belge par M. de Potter

OUVERTURE DU CONGRÈS BELGE PAR M. DE POTTER.


(10 novembre 1830.)

Au nom du peuple belge, le gouvernement provisoire ouvre l’assemblée des représentans de la nation.

Ces représentans, la nation les a chargés de l’auguste mission de fonder, sur les bases larges et solides de la liberté, l’édifice du nouvel ordre social, qui sera pour la Belgique le principe et la garantie d’un bonheur durable.

Vous le savez, Messieurs, à l’époque de notre réunion à la Hollande, une loi fondamentale fut présentée à des notables désignés par le pouvoir, non pour l’examiner, la discuter, la modifier et enfin l’accepter, et en faire la condition du pacte entre le peuple et le chef de l’état, mais uniquement pour s’y soumettre aveuglément ou la rejeter dans sa totalité. Elle fut rejetée, comme on devait l’attendre du bon sens et de la loyauté belge. Mais, par un subterfuge sans exemple, elle fut déclarée acceptée, et une constitution, imposée par la Hollande, pesa sur notre patrie.

Si du moins cette loi fondamentale avait été franchement exécutée dans toutes ses dispositions, avec le temps, peut-être, et à l’aide des progrès que l’arbitraire ministériel nous forçait à faire chaque jour dans la carrière de l’opposition constitutionnelle, elle aurait pu devenir l’espoir de la liberté belge.

Mais, loin de là : les consciences violées ; l’enseignement enchaîné ; la presse condamnée à n’être plus que l’instrument du pouvoir, ou forcée au silence ; la substitution arbitraire du régime des arrêtés au système légal établi par le pacte social ; le droit de pétition méconnu ; la confusion de tous les pouvoirs, devenus le domaine d’un seul ; l’imposition despotique d’un langage privilégié ; l’amovibilité des juges, abaissés au rôle de commissaires du pouvoir ; l’absence complète de la garantie de la publicité et de celle du jury ; une dette et des dépenses énormes, seule dot que nous eût apportée la Hollande lors de notre déplorable union ; des impôts accablans par leur hauteur et plus encore par leur répartition toute impopulaire, toute au détriment des classes indigentes ; des lois votées par les Hollandais pour la Hollande seulement, et toujours contre la Belgique, si inégalement représentée aux anciens états-généraux ; le siége de tous les grands corps constitués et de tous les établissemens importans fixés dans cette même Hollande ; la scandaleuse distraction des fonds spécialement destinés à favoriser l’industrie ; et enfin la plus révoltante partialité dans la distribution des emplois civils et militaires, par un gouvernement aux yeux duquel la qualité de Belge était un titre de réprobation ; en un mot, la Belgique entière traitée comme une province conquise, comme une colonie ; tout, Messieurs, nécessitait une révolution, la rendait inévitable, et précipitait l’époque.

De si justes griefs, des griefs si réels, devaient aussi en assurer le résultat.

Nous étions insurgés contre le despotisme pour reconquérir nos droits ; nous fûmes traités par la tyrannie comme des rebelles. Nos villes incendiées, les actes les plus barbares exercés jusque sur des vieillards et des femmes, les lois de l’humanité, les droits de la guerre foulés aux pieds, témoignent encore de la férocité de nos ennemis, en faisant bénir la victoire du peuple qui en a purgé notre sol.

Le fruit de cette victoire était l’indépendance. Le peuple l’a déclarée par notre organe. Interprète de ses vœux, le gouvernement provisoire vous a appelés, Messieurs, vous, les hommes choisis par la nation belge, pour constituer cette indépendance et pour la consolider à jamais.

Mais en attendant que vous puissiez venir remplir cette tâche, un centre d’action était nécessaire pour pourvoir aux premiers, aux plus urgens besoins de l’état. Un gouvernement provisoire s’est établi, et il a suppléé temporairement à l’absence de tout pouvoir. La nécessité d’un gouvernement quelconque justifiait sa mission, l’assentiment du peuple confirma son mandat.

Tout était à faire, tout était à créer : il fallait réorganiser l’administration intérieure, le pouvoir judiciaire, les finances, l’armée, et cette garde citoyenne sur laquelle désormais s’appuieront les empires modernes. C’est à vous, Messieurs, c’est à la nation à juger si, avec le peu de moyens qui étaient à notre disposition, nous avons réussi à préparer pour la Belgique un avenir de force et de prospérité.

Nos actes, vous les connaissez, Messieurs, et la nation, nous osons l’espérer, les a ratifiés. L’impôt odieux de l’abattage aboli ; une entière publicité rendue aux procédures criminelles ; l’institution du jury promise, et de nouvelles garanties assurées aux prévenus devant les cours d’assises ; l’abolition de la dégradante punition de la bastonnade ; les élections populaires des bourgmestres et des régences, et l’élection directe des députés au congrès national ; plus de direction générale de police ; plus de haute police ; affranchissement de l’art dramatique ; abolition de la loterie ; publicité des comptes et budgets des communes ; et finalement liberté pleine et entière pour la presse, pour l’enseignement, pour les associations de toute espèce, et pour les opinions et les cultes, désormais délivrés de toute crainte de persécution, de tout danger de protection. Voilà, Messieurs, les principaux titres avec lesquels le gouvernement provisoire s’offre devant la nation et ses représentans.

Des relations avec l’étranger, nous n’avons pas cru devoir en établir dans les circonstances où se trouvaient et la nation et nous-mêmes. Nous savions d’ailleurs, à n’en pouvoir douter, et nous pouvons vous en donner l’assurance positive, que le principe de non-intervention serait strictement maintenu à notre égard. Nous jugeâmes donc que la libre Belgique devait fonder son indépendance par ses propres forces, toujours prête à les tourner contre quiconque voudrait entraver ce droit sacré. Depuis que nous avions pris cette résolution, nous avons reçu des cinq grandes puissances des communications récentes et officielles, dont nous sommes heureux de pouvoir vous faire part en ce jour solennel : ces communications confirment pleinement les assurances précédemment données, et nous font espérer, avec la cessation prochaine des hostilités, l’évacuation, sans condition aucune, de tout le territoire de la Belgique.

Messieurs, vous allez achever et consolider notre ouvrage. Fondez l’édifice de notre prospérité future sur les principes de la liberté de tous, de l’égalité de tous devant la loi, et de l’économie la plus sévère. Que le peuple soit appelé à profiter de notre révolution ; les charges de l’état diminuées dans la proportion de ses vrais besoins ; le salaire des fonctionnaires publics réduit de manière à ne plus être que la juste indemnité du temps et des talens qu’ils consacrent à la patrie ; enfin la suppression des emplois inutiles et de ces nombreuses pensions, récompenses trop souvent accordées à la servilité, vous mettront à même de consommer l’œuvre de notre régénération nationale.

Et nous, Messieurs, en quelque position que nous soyons placés, nous soutiendrons de tous nos vœux, de tous nos moyens, de tous nos efforts, cette œuvre patriotique ; trop heureux, après son entier succès, de nous confondre dans les rangs de ce peuple qui aura tout à la fois vaincu et assuré les bienfaits de la victoire.

Au nom du peuple belge, le congrès national est installé.


Comte Félix de Mérode, Alex. Gendebien, de Potter, Ch. Rogier, baron Emm. d’Hoogvorst, Jolly, J. Van-Derlinden, F. de Coppin.


Par ordre : L. A. Van de Weyer.

Bruxelles, le 10 novembre 1830.