Ourika (Delphine de Girardin)

Poésies complètesLibrairie Nouvelle (p. 244-246).

OURIKA

élégie
dédiée à madame la duchesse de dumas


Vous dont le cœur s’épuise en regrets superflus,
Oh ! ne vous plaignez pas, vous que l’on n’aime plus !
Du triomphe d’un jour votre douleur s’honore ;
Et celle qu’on aima peut être aimée encore.

Moi, dont l’exil ne doit jamais finir,
Seule dans le passé, seule dans l’avenir,
Traînant le poids de ma longue souffrance,
Pour m’aider à passer des jours sans espérance,
Je n’ai pas même un souvenir.

À mon pays dès le berceau ravie,
D’une mère jamais je n’ai chéri la loi ;
La pitié seule a pris soin de ma vie,
Et nul regard d’amour ne s’est tourné vers moi.

L’enfant qu’attire ma voix douce
Me fuit dès qu’il a vu la couleur de mon front ;
En vain mon cœur est pur, le monde me repousse,
Et ma tendresse est un affront.


Une fois à l'espoir mon cœur osa prétendre ;
D'un bien commun à tous je rêvai la douceur.
Mais celui que j'aimai ne voulut pas m'entendre.
Et, si parfois mes maux troublaient mon âme tendre,
 L'ingrat ! il m'appelait sa sœur !

Une autre aussi l'aima ; je l'entendis près d'elle,
Même en voyant mes pleurs, bénir son heureux sort,
Et celui dont la joie allait causer ma mort,
Hélas ! en me quittant ne fut point infidèle.

Je ne puis l'accuser ; dans son aveuglement,
S'il a en ma douleur méconnu le langage ;
C'est qu'il croyait les cœurs promis à l'esclavage
Indignes de souffrir d'un si noble tourment !

Malgré le trait mortel dont mon âme est atteinte,
Auprès de ma rivale on me laissait sans crainte.
Elle avait vu mes pleurs et les avait compris ;
Mais, ô sort déplorable ! ô comble de mépris !
Charles, je t'adorais... et ton heureuse épouse
Connaissait mon amour et n'était point jalouse !

Que de fois j'enviai la beauté de ses traits !
En l'admirant mes yeux se remplissaient de larmes ;
Et triste, humiliée, alors je comparais
Le deuil de mon visage à l'éclat de ses charmes !

Pourquoi m'avoir ravie à nos sables brûlants ?
Pourquoi les insensés, dans leur pitié cruelle,
Ont-ils jusqu'en ces lieux conduit mes pas tremblants ?
Là-bas, sous mes palmiers, j'aurais paru si belle !


Je n'aurais pas connu de ce monde abhorré
Le dédain protecteur et l'ironie amère ;
Un enfant, sans effroi, m'appellerait sa mère,
Et sur ma tombe, au moins, quelqu'un aurait pleuré !

Mais que dis-je ?... Ô mon Dieu ! le désespoir m'égare :
Devrais-je, quand aux Cieux la palme se prépare,
Lorsque tu me promets un bonheur immortel,
Regretter la patrie où tu n'as point d'autel ?

Ah ! du moins qu'en mourant tout mon cœur t'appartienne !
La plainte, les regrets ne me sont plus permis :
Dans les champs paternels, à d'autres dieux soumis,
Je n'eusse été qu'heureuse !... ici je meurs chrétienne !