Othon, Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachetteŒuvres. Tome VI (p. 567-570).
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NOTICE.


Corneille cite les Histoires de Tacite comme la source où il a puisé le sujet d’Othon ; mais peut-être est-ce à la littérature italienne qu’il en a dû la première idée. En effet, en 1652, Ghirardelli, dont notre poëte connaissait fort bien les ouvrages[1], a fait représenter un Ottone.

Plusieurs témoignages contemporains nous prouvent que Corneille s’est très-sérieusement appliqué à sa tragédie d’Othon : « Quant aux vers, dit-il lui-même dans sa préface[2], on n’en a point vu de moi que j’aye travaillés avec plus de soin. » Il passait pour avoir refait jusqu’à trois fois le cinquième acte, et assurait que cet acte lui avait coûté plus de douze cents vers[3]. Il avait fait longtemps à l’avance, comme c’était sa coutume[4], des lectures de son ouvrage. Tallemant des Réaux nous l’apprend en ces termes dans un morceau curieux à recueillir : « Corneille a lu par tout Paris une pièce qu’il n’a pas encore fait jouer. C’est le couronnement d’Othon. Il n’a pris ce sujet que pour faire continuer les gratifications du Roi en son endroit ; car il ne fait préférer Othon à Pison par les conjurés qu’à cause, disent-ils, que Othon gouvernera lui-même et qu’il y a plaisir à travailler sous un prince qui tienne lui-même le timon ; d’ailleurs ce dévot y coule quelques vers pour excuser l’amour du Roi. Il va vous mettre sur le théâtre toute la politique de Tacite, comme il y a mis toutes les déclamations de Lucain[5]. » Dans ce passage Tallemant fait allusion à ce vers :


Du timon qu’il embrasse il se fait le seul guide,


et au reste du discours de Lacus[6]. Quant au passage où il est tenté de voir une allusion à l’amour de Mlle de la Vallière pour le Roi, c’est celui que Corneille a mis dans la bouche de Plautine et qui commence ainsi :


Si l’injuste rigueur de notre destinée
Ne permet plus l’espoir d’un heureux hyménée,
Il est un autre amour dont les vœux innocents
S’élèvent au-dessus du commerce des sens[7].


La pièce renferme encore une allusion qui a été signalée dans le Bolæana[8] : « Il (Boileau) n’étoit point du tout content de la tragédie d’Othon, qui se passoit tout en raisonnements et où il n’y avoit point d’action tragique. Corneille avoit affecté d’y faire parler trois ministres d’État dans le temps où Louis XIV n’en avoit pas moins que Galba, c’est-à-dire MM. le Tellier, Colbert et de Lionne. M. Despréaux ne se cachoit point d’avoir attaqué directement Othon dans ces quatre vers de son Art poétique[9] :


Vos froids raisonnements ne feront qu’attiédir
Un spectateur toujours paresseux d’applaudir,
Et qui, des vains efforts de votre rhétorique
Justement fatigué, s’endort, ou vous critique. »


Les beaux discours politiques que l’on rencontre dans cet ouvrage n’ont pas été jugés si sévèrement par tous les contemporains. « On peut, dit Joly[10], appliquer à cette tragédie ces paroles de M. le maréchal de Gramont, grand-père du dernier maréchal de ce nom : « Corneille est le bréviaire des rois. »

Cette pièce fut jouée pour la première fois à Fontainebleau le 3 août 1664. Loret l’annonce en ces termes dans sa Muse historique du 2 du même mois :


Ce qu’illec je sus davantage,
C’est qu’Othon, excellent ouvrage,
Que Corneille plein d’un beau feu
A produit au jour depuis peu
De sa plume docte et dorée,
Devoit, la suivante soirée,
Ravir et charmer à son tour
Le légat et toute la cour.
Je l’appris de son auteur même,
Et j’eus un déplaisir extrême,
Qui me fit bien des fois pester,
De ne pouvoir encor rester
Pour voir dudit sieur Corneille
La fraîche et dernière merveille,
Que je verrai, s’il plaît à Dieu,
Quelque jour en quelqu’autre lieu.


Dans la Muse historique du 8 novembre on trouve le compte rendu suivant de la première représentation donnée à Paris :


À l’hôtel de Bourgogne on joue,
Depuis un jour ou deux, dit-on.
Un sujet que l’on nomme Othon,
Sujet romain, sujet sublime,
Et digne d’éternelle estime ;
Jamais de plus hauts sentiments,
Ni de plus rares ornements
Pièce ne fut si bien pourvue,
Je ne l’ai point encore vue,
Et je ne suis que le rapport
Que m’en fit hier maint esprit fort
Qui dit qu’elle est incomparable
Et que sa conduite admirable,
Dans Fontainebleau, l’autre jour,
Charma tous les grands de la cour.
Mais d’où lui vient cet avantage.
Et d’où vient que de cet ouvrage

Tout le monde est adorateur ?
C’est que Corneille en est l’auteur,
Cet inimitable génie ;
Et que l’illustre compagnie,
Ou troupe royale autrement,
Qui la récite excellemment,
Lui donne toute l’efficace,
Tout l’éclat, et toute la grâce
Qu’on doit prétendre en bonne foi
Des grands comédiens du Roi.


L’édition originale de cette pièce forme un volume in-12 de 2 feuillets, 78 pages, plus un feuillet à la fin. Elle est intitulée : Othon, tragédie. Par P. Corneille. À Paris, chez Guillaume de Luyne, M.DC.LXV. L’Achevé d’imprimer est du 3 février. M. de Salo, qui rend compte de cet ouvrage d’une façon assez ironique dans le Journal des savants du 16 février, constate cependant le grand succès qu’il avait obtenu à la représentation : « Il y a, dit-il, peu de personnes curieuses à Paris, qui n’ayent vu jouer cette pièce ; aussi n’est-ce que pour les étrangers, et ceux qui sont dans les provinces, qu’on en parle, afin que n’ayant pu la voir représenter, ils ayent au moins le plaisir de la lire, apprenant qu’elle est imprimée. »



  1. Voyez tome I, p. 71.
  2. Ci-après, p. 571.
  3. Histoire du Théâtre françois, tome IX, p. 322, note a, et notes manuscrites de Tralage à la bibliothèque de l’Arsenal, citées par M. Taschereau, Œuvres de Corneille, tome I, p. xxvi.
  4. Voyez ci-dessus, tome III, p. 254 et 465.
  5. Historiettes, tome VII, p. 253 et 254.
  6. Acte II, scène iv, vers 617 et suivants.
  7. Acte I, scène iv, vers 309 et suivants.
  8. In-12, p. 132 et 134.
  9. Chant III, vers 21-24.
  10. Avertissement de l’édition du Théâtre de P. Corneille, de 1738, p. lxiii.