Ossian (Lacaussade)/Berrathon

Traduction par Auguste Lacaussade.
Delloye (p. 336-347).



BERRATHON.




Argument.
Fingal, dans son voyage à Lochlin, où il avait été invité par Starno, père d’Agandecca, toucha à Berrathon, île de la Scandinavie, et fut reçu magnifiquement par Larthmor, petit roi du pavs et vassal des rois suprêmes de Lochlin. L’hospitalité de Larthmor lui valut l’amitié de Fingal, amitié dont ce héros donna des preuves, après l’emprisonnement de Larthmor par son propre fils, en envoyant Ossian et Toscar, père de Malvina, délivrer Larthmor et punir la conduite dénaturée d’Uthal. Uthal était beau et admiré des femmes, Nina-thoma, la fille gracieuse de Tor-thoma, prince du voisinage, l’aima et s’enfuit avec lui. Il se montra inconstant ; car une autre femme, dont on ne dit pas le nom, ayant gagné son affection, il relégua Nina-thoma dans une île déserte, près la côte de Berrathon. Elle fut délivrée par Ossian qui, accompagné de Toscar, débarqua à Berrathon, défit les forces d’Uthal et le tua en combat singulier. Nina-thoma, dont l’amour ne pouvait être effacé par la mauvaise conduite d’Uthal, mourut de chagrin en apprenant sa mort. Cependant Larthmor est rétabli dans ses états, et Ossian et Toscar retournent triomphants vers Fingal.
Le poème commence par une élégie sur la mort de Malvina, fille de Toscar, et se termine par le présage de la mort d’Ossian.

Incline ta course bleue, ô torrent, autour de l’étroite plaine de Lutha. De leurs collines que les bois verdoyants se penchent sur elle ; que le soleil la regarde à midi. Le chardon est là sur son rocher et balance sa barbe au vent. La fleur penche sa tête lourde, agitée de temps en temps par la brise. « Pourquoi m’éveilles-tu, ô brise, semble-t-elle dire ; je suis couverte des gouttes du ciel ; le temps de mon déclin est proche, l’orage qui doit disperser mes feuilles. Demain le voyageur viendra ; celui qui m’a vue dans ma beauté viendra : ses yeux chercheront dans la plaine, mais ils ne m’y trouveront plus. » Ainsi l’on cherchera envain la voix de Cona quand elle se sera évanouie dans la plaine. Le chasseur sortira avec le matin et la voix de ma harpe ne sera plus entendue. — « Où est le fils de Fingal ? » — Une larme mouillera sa joue. Viens donc, ô Malvina, viens avec ta mélodie ! Conduis Ossian dans la plaine de Lutha ; que sa tombe s’élève dans cette riante vallée. Malvina, où es-tu avec tes chants, avec le doux bruit de tes pas ? Fils d’Alpin, es-tu près de moi ? où est la fille de Toscar ?

LE FILS D’ALPIN.

Ô fils de Fingal, j’ai passé près des murs moussus de Torlutha ; la fumée du foyer avait cessé ; le silence était parmi les arbres de la colline. La voix de la chasse n’était plus. Je vis les filles de l’arc ; je m’informai de Malvina ; mais elles ne répondirent pas ; elles détournèrent leurs visages ; une faible obscurité voilait leur beauté. Elles étaient comme des étoiles, la nuit, sur un mont pluvieux, chacune regardant faiblement à travers le brouillard.

OSSIAN.

Doux soit ton repos, rayon charmant ! Bientôt tu t’es couchée sur nos collines ! Les pas de ton départ ont été majestueux, comme la lune sur la vague bleue et tremblante. Mais tu nous as laissés dans les ténèbres, ô première des filles de Lutha ! Nous sommes assis près du rocher, et là, il n’est aucune voix, aucune lumière, excepté le météore enflammé ! Tu t’es couchée bientôt, ô Malvina, fille du généreux Toscar. Mais tu te lèves comme le rayon de l’Orient au milieu des ombres de tes amis et tu viens t’asseoir avec eux dans leurs demeures orageuses, les salles du tonnerre. Un nuage plane sur Cona : ses flancs bleus et roulés sont haut, et les vents sont au-dessous avec leurs ailes. Dans ce nuage est la demeure de Fingal. Là, le héros est assis dans l’obscurité ; sa lance aérienne est dans sa main ; son bouclier à moitié couvert de nuages ressemble à la lune assombrie, quand l’une de ses moitiés est encore dans les flots et que l’autre regarde languissamment la plaine.

Les amis du roi sont assis autour de lui sur le brouillard. Ils écoulent ieîi chants d’Ullin. Il touche la harpe à moitié invisible et élève sa faible voix. Les héros inférieurs éclairent de mille météores la salle aérienne. Malvina se lève au milieu d’eux. La rougeur sur les joues elle contemple les visages inconnus de ses pères et détourne ses yeux humides. « Pourquoi, lui dit Fingal, pourquoi viens-tu sitôt parmi nous, fille du généreux Toscar ? La douleur habite les salles de Lutha. Mon vieux fils est triste[1] ! J’entends la brise de Cona, habituée jadis à soulever ta lourde chevelure. Elle vole à ta demeure ; mais tu n’y es plus. Sa voix est plaintive entre les armes de tes pères. Va avec ton aile bruissante, ô brise, soupirer sur la tombe de Malvina. Elle s’élève là-bas au pied du rocher, près du bleu torrent de Lutha. Les jeunes filles[2] sont retournées dans leurs demeures. Toi seul, ô brise, tu y pleures ! »

Mais qui vient du sombre Occident porté sur un nuage ? Un sourire est sur son visage obscur ; sa chevelure de brouillard vole sur le vent, et il se penche sur sa lance aérienne. C’est ton père, Malvina ! « Pourquoi brilles-tu sitôt sur nos nuages, dit-il, charmante lumière de Lutha ? Mais tu étais triste, ma fille, tes amis n’étaient plus. Des fils d’hommes dégénérés habitaient nos palais et il ne restait de nos héros qu’Ossian, le roi des lances ! »

Tu te souviens donc d’Ossian, ô Toscar, fils de Conloch ! Les batailles de notre jeunesse furent nombreuses ! Nos épées allaient ensemble aux combats. Les fils de l’étranger fuyaient : « Voici les guerriers de Cona, disaient-ils ; leurs pas sont sur les sentiers des fuyards. » — Approche, fils d’Alpin, écoute le chant du vieillard : les hauts faits des autres temps sont dans mon âme ; ma mémoire rayonne sur les jours du passé, sur les jours du puissant Toscar, quand nous voguions ensemble sur l’abîme. Approche fils d’Alpin, écoute les derniers accents de la voix de Cona[3].

Le roi de Morven commande : je lève mes voiles au vent. Toscar, chef de Lutha, était à mes côtés et nous voguions sur la vague sombre et bleue. Notre course était vers Berrathon, l’île aux fréquentes tempêtes. C’est là que demeurait sous ses boucles de vieillesse le puissant et majestueux Larthmor ; Larthmor qui étala devant Fingal le festin des coupes, quand le roi de Selma se rendit au palais de Starno, aux jours d’Agandecca. Mais lorsque le chef fut vieux, l’orgueil de son fils éclata ; l’orgueil du blond Uthal, l’auiour de mille jeunes beautés. Il enchaîna le vieux Larthmor et habita ses salles retentissantes.

Le roi languit longtemps dans une caverne près de la mer houleuse. Le jour ne pénétrait pas dans sa demeure et nul chêne embrasé ne l’éclairait la nuit. Mais le vent de l’Océan y descendait ainsi que le rayon mourant de la lune. L’étoile rouge regardait le roi, quand elle tremblait sur la vague de l’Occident. Snitho vint au palais de Selma ; Snitho, l’ami de la jeunesse de Larthmor. Il parla du roi de Berrathon et le courroux de Fingal s’alluma. Trois fois il prit sa lance, résolu d’étendre sa main jusqu’à Uthal ; mais le souvenir de ses hauts faits se levait devant lui. Il envoya son fils et Toscar. Notre joie était grande sur la mer houleuse : souvent nous tirions à demi nos épées, car jamais encore nous n’avions lutté seuls dans les combats des lances.

La nuit descendit sur l’Océan. Les vents s’en allèrent sur leurs ailes. Froide et pâle est la lune. Les étoiles rouges lèvent leurs têtes dans le ciel. Lente est notre course le long de la côte de Berrathon. Les vagues blanches se brisent sur les rochers. — « Quelle est cette voix, dit Toscar, qui vient entre le bruit des vagues ? Elle est douce, mais plaintive comme la voix des bardes qui ne sont plus. Mais j’aperçois une jeune fille ; elle est assise seule sur le rocher. Sa tête est appuyée sur son bras de neige ; sa noire chevelure flotte au vent. Fils de Fingal, écoute ses chants ; ils sont calmes et doux comme le ruisseau qui glisse. » Nous entrâmes dans la baie silencieuse et nous entendîmes la fille de la nuit.

« Combien de temps roulerez-vous autour de moi, ondes bleues de l’Océan ? Ma demeure n’a pas toujours été dans les cavernes ni sous un arbre gémissant. Des festins étaient étalés dans le palais de Torthoma ; mon père se plaisait à entendre ma voix ; les jeunes guerriers me contemplaient dans les pas de ma beauté ; ils bénissaient Nina-thoma à la brune chevelure. C’est alors que tu vins, ô Uthal, semblable au soleil du ciel ! Les âmes des vierges sont à toi, fils du généreux Larthmor ! Mais pourquoi me laisses-tu seule au milieu des vagues rugissantes ? Mon âme fut-elle jamais noire du dessein de ta mort ? Ma blanche main a-t-elle levé l’épée ! Pourquoi m’as-tu abandonnée, roi de la haute Finthormo ? »

Les larmes jaillirent de mes yeux quand j’entendis la voix de la jeune fille. Je me présentai devant elle dans mes armes et je lui dis les paroles de la paix. « Douce habitante de la caverne, quel soupir est dans ton sein ? Ossian, en ta présence, lèvera-t-il son épée, destruction de tes ennemis ? Lève-toi, fille de Tor-thoma. J’ai entendu les paroles de ta douleur. Autour de toi est la race de Morven, qui n’a jamais insulté au faible. Viens, ô toi, plus brillante que la lune à son couchant ; viens sur notre navire au noir poitrail. Notre course est vers les rochers de Berrathon, vers les retentissantes murailles de Finthormo. » Elle vint dans sa beauté ; elle vint dans toute la grâce de ses pas. Une joie silencieuse brillait sur son visage ; ainsi, lorsque les ombres s’envolent des plaines du printemps, le ruisseau bleu coule avec plus d’éclat et le buisson vert se penche sur son cours.

Le matin se leva avec tous ses rayons. Nous entrâmes dans la baie de Rothma. Un sanglier s’élançait hors du bois ; ma lance lui perce le flanc, il tombe. Je me réjouis de son sang et je prévois l’accroissement de ma gloire. Mais déjà, de la haute Finthormo le bruit de la suite d’Uthal arrive jusqu’à nous. Ils se répandent sur la bruyère pour chasser le sanglier. Lui-même, il s’avance lentement, dans l’orgueil de sa force. Il lève deux lances aiguës ; à son côté pend l’épée du héros. Trois jeunes guerriers portent ses arcs polis : cinq chiens bondissent devant lui. Ses héros le suivent à distance admirant la démarche de leur roi. Majestueux était le fils de Larthmor ; mais son âme était sombre ! sombre comme la face troublée de la lune, quand elle prédit les tempêtes.

Nous nous levâmes sur la bruyère devant le roi. Il s’arrêta au milieu de sa course et ses héros s’assemblèrent autour de lui, Un barde aux cheveux gris s’avance : « D’où viennent les fils des étrangers ? nous dit le barde harmonieux. Malheur à ceux dont les enfants viennent à Berrathon braver l’épée d’Uthal ! Il ne prépare point de fête dans son palais ; mais le sang des étrangers est sur ses torrents. Si c’est des murs de Selma que vous venez, des murs moussus de Fingal, choisissez trois jeunes guerriers pour aller dire à votre roi la chute de son peuple. Le héros viendra peut-être lui-même verser son sang sur le glaive d’Uthal et la gloire de Finthormo s’élèvera comme l’arbre croissant de la vallée. »

Jamais elle ne s’élèvera, ô barde, lui dis-je dans l’orgueil de ma colère. Uthal reculerait tremblant en présence de Fingal ; de Fingal dont les yeux sont les flammes de la mort. Le fils de Comhal paraît, et les rois s’évanouissent. Ils roulent dispersés comme un brouillard au souffle de sa rage. Que trois de nous aillent dire à Fingal que ses guerriers sont tombés ! Oui, ils le lui diront, peut-être, ô barde, mais ses guerriers seront tombés avec gloire !

Je me tenais dans les ténèbres de ma force. Toscar tire son épée à mon côté. L’ennemi s’élance comme un torrent. Le bruit confus de la mort s’élève : l’homme saisit l’homme, le bouclier choque le bouclier, l’acier mêle ses éclairs aux éclairs de l’acier ; les dards sifflent dans l’air, les lances résonnent sur les mailles, et les épées rebondissent sur les boucliers brisés. Tel que le bruit d’une forêt séculaire sous le vent rugissant, la nuit, quand mille fantômes brisent les arbres ; tel est le fracas des armes. Mais Uthal tomba sous mon épée et les enfants de Derrathon prirent la fuite. C’est alors que je le vis dans sa beauté et des lai mes mouillèrent mes yeux ! — « Tu es tombé, jeune arbre, dis-je, dans toute ta beauté ! tu es tombé sur tes plaines et maintenant la campagne est nue ! Les vents viennent du désert et il n’est aucun bruit dans tes feuilles. Que tu es beau dans la mort, ô fils du puissant Larthmor ! »

Nina-thoma était assise sur le rivage. Elle entendit le bruit de la mêlée ; elle tourna ses yeux rougis sur Lethmal, le barde aux cheveux gris de Selma. Lui seul était resté sur la côte avec la fille de Tor-thoma. « Fils des temps passés, lui dit-elle, j’entends le bruit de la mort ; tes amis ont rencontré Uthal et le chef est tombé. Oh ! que ne suis-je restée sur le rocher, environnée des vagues écumeuses ! Mon âme serait triste, mais sa mort ne serait point parvenue à mes oreilles. Es-tu tombé sur ta bruyère, ô fils de la haute Finthormo ? Tu m’avais abandonnée sur un rocher ; mais mon âme était pleine de toi ! Fils de la haute Finthormo, es-tu tombé sur la bruyère ? »

Pâle, elle se lève dans ses larmes : elle voit le bouclier sanglant d’Uthal ; elle le voit dans la main d’Ossian ; ses pas sont désespérés sur la bruyère. Elle vole, elle le trouve, elle tombe : son âme s’exhale dans un soupir ; ses cheveux couvrent son visage. Des larmes jaillirent de mes yeux ; un tombeau s’éleva sur ces infortunés, et je fis entendre le chant de ma douleur : « Reposez, malheureux enfants de la jeunesse ; reposez au murmure de ce torrent bordé de mousse ! Les jeunes filles, à la chasse, verront votre tombeau et détourneront leurs yeux en pleurs. Vos noms vivront dans les chants. La voix de la harpe se fera entendre à votre louange ; les filles de Selma l’entendront et votre gloire sera dans les autres contrées. Reposez, enfants de la jeunesse, au murmure de ce torrent bordé de mousse ! »

Deux jours nous restâmes sur la côte. Les héros de Berrathon s’assemblèrent et nous ramenâmes Larthmor à son palais. Le festin des coupes est étalé. La joie du vieillard était grande : il regardait les armes de ses pères ; les armes qu’il avait laissées dans son palais quand s’éveilla l’orgueil d’Uthal. Nous fûmes exaltés en présence de Larthmor ; il bénit les chefs de Morven. Il ne savait pas que son fils, le majestueux et puissant Uthal, fût dans la poussière. On lui dit qu’il s’était retiré dans les bois, avec les larmes de la tristesse ; on le lui dit, mais Uthal était muet dans sa tombe sur la bruyère de Rothma !

Le quatrième jour nous ouvrîmes nos voiles au rugissement des vents du nord. Larthmor vint jusqu’au rivage : ses bardes chantaient ; la joie du roi était grande, il contemplait la sombre bruyère de Rothma. Il voit la tombe de son fils ; le souvenir d’Uthal se réveille : « Lequel de mes héros est couché là ? dit-il ; il semble avoir été de la race des rois. Était-il célèbre dans mon palais avant que l’orgueil d’Uthal se levât contre moi ? Vous êtes silencieux, enfants de Berrathon ! le roi des héros est-il donc tombé ? Mon cœur se fond pour toi, ô Uthal ! quoique ta main se soit levée contre ton père ! Ô que ne suis-je resté dans ma caverne ! mon fils habiterait encore Finthormo ! J’entendrais le bruit de ses pas, à la chasse du sanglier ; j’entendrais sa voix sur le vent de ma caverne. Mon âme alors eût été joyeuse ; mais les ténèbres maintenant vont habiter ma demeure ! »

Tels furent mes hauts faits, fils d’Alpin, quand le bras de ma jeunesse était fort ; tels furent les hauts faits de Toscar, le fils puissant de Conloch. Mais Toscar est maintenant sur son nuage errant. Je suis seul à Lutha. Ma voix est comme le dernier murmure de la brise quand elle abandonne les bois. Mais Ossian ne sera pas longtemps seul. Il voit le brouillard qui doit recevoir son ombre ; il voit le brouillard qui doit former sa robe, quand il apparaîtra sur ses collines. Les fils des hommes faibles me verront et ils admireront la stature des chefs du passé ; ils ramperont vers leurs cavernes, ils regarderont le ciel avec crainte, car mes pas seront dans les nuages et les ténèbres rouleront à mes côtés.

Conduis, fils d’Alpin, conduis le vieillard dans ses bois. Les vents commencent à s’élever ; la vague sombre du lac retentit. N’est-il pas un arbre qui sur Mora s’incline avec ses branches nues ? Fils d’Alpin, il s’incline sous le vent qui frémit. Ma harpe est suspendue à une branche flétrie ; le son des cordes en est plein de tristesse. Est-ce le vent qui te touche, harpe ! ou est-ce quelque ombre qui passe ? C’est la main de Malvina. Apporte-moi la harpe, fils d’Alpin. Un autre chant va s’élever ; mon âme s’envolera avec ses sons, et mes pères les entendront dans leur salle aérienne. Leurs faces obscures s’inclineront avec joie du haut de leurs nuages, et leurs mains recevront leur fils. Un vieux chêne se penche sur le torrent ; il soupire avec toute sa mousse. Les genêts flétris sifflent auprès et se mêlent, en se balançant, aux blancs cheveux d’Ossian.

« Frappe la harpe et commence les chants. Approchez, avec toutes vos ailes, ô brises ! Portez-en les sons plaintifs au palais aérien de Fingal. Portez-les au palais de Fingal, pour qu’il entende la voix de son fils ; la voix de celui qui glorifia le puissant !

« Le vent du nord ouvre tes portes, ô roi ! Je te vois assis sur le brouillard, brillant faiblement dans tes armes. Ta forme n’est plus maintenant la terreur du brave ; elle est semblable à un nuage pluvieux, quand on voit derrière lui les yeux en pleurs des étoiles. Ton bouclier, c’est la lune à son déclin ; ton épée, une vapeur à demi enflammée. Obscur et faible est le chef qui jadis marchait dans la splendeur ! Mais tes pas sont sur le vent du désert et les noires tempêtes s’amassent dans ta main. Dans ton courroux tu prends le soleil et le caches dans tes nuages. Les fils des faibles sont épouvantés, et mille torrents descendent des plaines du ciel. Mais quand tu t’avances dans ta douceur, le souffle du matin accompagne tes pas. Le soleil rit dans ses plaines azurées ; le ruisseau gris serpente dans sa vallée ; les buissons balancent à la brise leurs têtes vertes, et les chevreuils bondissent vers le désert.

« Il est un murmure sur la bruyère ; les vents orageux s’apaisent ! J’entends la voix de Fingal ; longtemps elle fut absente de mon oreille : « Viens, Ossian, viens, me dit-il ; Fingal a reçu sa gloire. Nous avons passé comme des flammes qui ont brillé leur temps. Notre départ a été glorieux. Quoique les champs de nos batailles soient sombres et silencieux, notre nom vit dans les quatre pierres grises. La voix d’Ossian a été entendue et la harpe a été accordée dans Selma. Viens, Ossian, dit-il, viens avec tes pères voler sur les nuages ! » Je viens, je viens, ô roi des hommes ! La vie d’Ossian s’évanouit : je vais bientôt disparaître de Cona. On ne voit plus mes pas dans Selma. Je m’endormirai près de la pierre de Mora, et les vents, sifflant dans mes cheveux gris, ne m’éveilleront plus. Éloigne-toi sur tes ailes, ô brise, tu ne peux plus troubler le repos du barde. La nuit sera longue, mais ses paupières sont pesantes. Éloigne-toi, brise frémissante !

«  Mais pourquoi es-tu triste, fils de Fingal ? Pourquoi le nuage de ton âme augmente-t-il ? Les chefs des temps passés sont partis et leur gloire s’est éteinte avec eux. Les fils des futures années passeront : une autre race viendra. Les peuples sont comme les vagues de l’océan ; comme les feudles des bois de Morven : elles tombent au souffle de la tempête et d’autres feuilles lèvent au ciel leurs têtes verdoyantes.

« Ta beauté a-t-elle duré, ô Ryno ? La force d’Oscar a-t-elle résisté au temps ? Fingal lui-même n’est-il pas parti ! Les palais de ses pères ont oublié ses pas. Resteras-tu donc, ô barde plein d’années, quand les puissants ont disparu ? Non ! Mais ma gloire restera : elle croîtra comme le chêne de Morven qui lève sa large tête contre l’orage, et se réjouit dans la course des vents ! »


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  1. Ossian, qui portait une grande affection à Malvina.
  2. Ce sont les jeunes filles qui chantaient sur sa tombe l’élégie funèbre.
  3. Ossian s’appelle poétiquement la voix de Cona ; il fait entendre que c’est le dernier poème qu’il composa.