Ornithologie du Canada, 1ère partie/La Grive rousse


Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 171-173).

LA GRIVE ROUSSE.[1]
(Brown Thrush.)


Vieillot dit que les habitants de la Virginie voulant faire une mauvaise épigramme, donnèrent à cette Grive le nom de French Mocking Bird, parce que, disaient-ils, elle ne possède qu’à demi les merveilleux talents d’imitation du Moqueur de Virginie, l’Orphée du Nouveau-Monde. Mais ceci est entièrement erroné : la Grive Rousse ne possède aucune faculté de contrefaire les oiseaux ou les animaux. Son parcours géographique s’étend à cette partie de la Province ; elle est assez commune dans le voisinage de Toronto et d’Hamilton.

Il serait à désirer que cette Grive, remarquable par la douceur, la mélodie et la variété de ses accents, se fît entendre pendant toute la belle saison ; mais ce n’est qu’au printemps qu’elle anime les bosquets, son domicile habituel. Ce n’est aussi qu’à cette époque et seulement quand elle tire de son gosier les sons les plus étendus, qu’elle se perche à la cime des arbres moyens. En tout autre temps, elle se cache au centre des buissons les plus fourrés d’où on la fait sortir difficilement ; sans doute parce qu’elle s’y croit à l’abri de tout danger, car elle s’enfuit au moindre bruit et se réfugie dans son réduit obscur, lorsqu’elle est à découvert. Cet oiseau se nourrit au printemps d’insectes et de vers de terre qu’il cherche dans les broussailles, en écartant avec son bec les herbes et les feuilles sèches, ou en grattant la terre avec ses pieds. On l’accuse, mais à tort, dit Wilson, d’endommager les plantations de maïs. En été et en automne, il vit de baies et particulièrement du fruit du cerisier à grappes. Les jeunes peuvent à peine se suffire à eux-mêmes, qu’ils se dispersent et s’isolent les uns des autres, tant la solitude a d’attrait pour cette espèce. Elle arrive dans l’ouest de la Province, à la fin d’avril et en mai, y reste pendant l’été et se retire à l’automne dans les pays méridionaux où quelques individus demeurent toute l’année. Cette Grive ayant les ailes courtes, ne doit pas voler à une grande distance ; en effet elle ne fait que voltiger de buissons en buissons, de haies en haies, avec sa longue queue étendue en éventail. Elle place son nid à une moyenne hauteur dans l’endroit le plus fourré, et elle le compose de feuilles, de racines et de tiges d’herbes. Sa ponte est de cinq œufs blancs, avec des taches couleur de rouille, plus nombreuses vers le gros bout. Les jeunes naissent couverts d’un duvet roussâtre, auquel succèdent des plumes brunes, mouchetées de jaunâtre sur les parties supérieures du corps, d’un blanc sale et tachetées de brun sur les inférieures : ces taches sont petites et un peu arrondies, tandis qu’elles sont longitudinales sur le plumage des vieux.

« L’oiseau parfait a le bec long, brun en dessus, jaunâtre en dessous ; quelques soies à la base de sa partie supérieure, un plus grand nombre sur les côtés de l’inférieure et sur les bords du menton. L’iris est jaune ; la tête, le dessus du cou, le dos, le croupion, la queue, les couvertures des ailes et le bord extrême des pennes primaires sont d’un roux nuancé de brun ; le dessous des pennes caudales est d’un gris roussâtre ; l’extrémité des moyennes et des grandes couvertures alaires, blanches, ce qui donne lieu à deux bandes transversales ; une marque d’un brun foncé est sur chaque plume immédiatement au-dessus de la dernière couleur ; la gorge et les parties protectrices ont sur un fond blanc des taches brunes et lancéolées ; les flancs et les couvertures du dessus de la queue sont roux ; les plumes des jambes grises et tachetées ; les pieds bruns.

La femelle ressemble fort au mâle. Bartram, un naturaliste des États-Unis, rapporte plusieurs anecdotes qui dénotent chez cet oiseau, une grande sagacité : il en enleva un du nid, lequel devint fort docile. Lorsqu’on lui présentait des croûtes de pain dures, il les trempait dans l’eau, et attendait tranquillement que l’action du liquide lui formât le pain en une nourriture convenable. Il devint bientôt si familier, dit-il, que je lui donnais chaque jour sa liberté ; il saisissait sur les fenêtres les mouches et les insectes avec avidité, attrapant les guêpes dans mon jardin : une fois l’insecte pris, il le frappait contre terre et avait soin, avant de l’avaler, d’en extraire l’aiguillon. Il avait remarqué que la première guêpe qu’il avala, lui avait causé de grands tiraillements d’entrailles ; de là, la précaution qu’il employait avant de déguster son mets favori. Nous avions nous-même deux beaux oiseaux de cette espèce, qu’un ami nous avait expédiés de Port Sarnia ; ils étaient fort apprivoisés, mais fort méchants aux autres habitants de la volière : un matou sans principes les immola tous deux. Hélas ! Quel est l’amateur qui n’ait eu à enregistrer de semblables désastres !

Dimensions du mâle, 11 × 13.


  1. No. 261. — Harporhynchus rufus. — Baird.
    Orpheus rufus.Audubon.