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ORIGINE DES CYCLONES

(Suite et fin. — Voy. premier article.)

Un certain nombre de cyclones formés près de l’équateur passent dans la mer des Antilles et se dirigent progressivement vers l’est, en parcourant dans la zone tempérée la seconde branche de leur trajectoire parabolique. Plusieurs d’entre eux arrivent jusqu’aux côtes occidentales de l’Europe. On a constaté que le plus souvent ils traversent l’Atlantique le long du Gulf-stream, et les marins ont donné par suite à ce courant le nom de père des tempêtes. Il est facile de voir, d’après la théorie de M. Peslin, à quoi tient la constance de la route suivie par le tourbillon sur l’Atlantique. L’atmosphère, au-dessus du fleuve d’eau tiède sorti du golfe du Mexique, est dans sa partie inférieure plus chaude et plus chargée de vapeur que l’atmosphère voisine au nord et au sud, ce qui explique les épais brouillards de l’hiver dans cette région. À une certaine hauteur seulement, on retrouve l’identité d’état entre les couches d’air. On rencontre donc au-dessus du Gulf-stream les deux conditions principales qui ont été reconnues favorables à la propagation des tempêtes tournantes ; la décroissance rapide des températures et un air voisin de la saturation.

Toutes les tempêtes tournantes qui traversent l’Atlantique dans la région extra-tropicale n’ont pas été fermées dans la zone torride. Celles que le courant équatorial amené sur les côtes occidentales d’Europe sont beaucoup plus nombreuses que celles qui traversent la mer des Antilles. Elles présentent de plus une grande variété dans leur étendue et leur intensité, depuis les violents cyclones semblables à l’ouragan de l’Amazone dont nous avons reproduit la description, jusqu’aux simples bourrasques qui ont été comparées aux remous tournoyants visibles dans le courant d’un fleuve. Ces bourrasques sont caractérisées, comme les cyclones, par une baisse plus ou moins forte du niveau barométrique qui se produit au centre des masses aériennes dans lesquelles la pression croît dans tous les sens à partir du minimum central. Sur les cartes synoptiques tracées à l’aide des données journalières fournies par les stations météorologiques reliées par le réseau électrique européen, les courbes isobares permettent de suivre les mouvements de ces tempêtes tournantes dont les vents, en général parallèles aux courbes, soufflent dans le sens indiqué par la loi des tempêtes. Les trajectoires des centres ont souvent des points de rebroussement, des directions dépendantes de l’orographie de la contrée. Quelquefois ces tourbillons dévient jusqu’au Sahara africain et reviennent ensuite en Europe, où ils laissent tomber le sable qu’ils entraînent. On a pu rattacher en outre au passage de ces mouvements tournants la généralité des orages.

Quelques-unes des cartes synoptiques des atlas météorologiques publiées par l’Observatoire de Paris ont été prolongées sur l’Atlantique à l’aide, de données fournies par un grand nombre de navires. Plusieurs d’entre elles ont mis en évidence des tourbillons entièrement semblables à ceux qui avaient été observés sur le continent, et progressant comme ceux-ci vers l’est. Mais ces cartes fournissent peu de renseignements sur l’origine des tourbillons. Ainsi le commentaire de la carte du 1er octobre 1864 signale une tempête en formation dans les parages de Terre-Neuve et du Labrador, sans autre indication.

Le Bureau météorologique de Londres a publié une série de cartes synoptiques de la partie de l’océan Atlantique située au nord du parallèle de 50 degrés, pour les onze jours qui ont précédé le 8 février 1870, cartes qui nous permettent une nouvelle étude sur l’origine des tempêtes tournantes. Cet intéressant travail a été entrepris après la disparition d’un grand Bâtiment à vapeur, City of Boston, qui avait quitté Halifax le 28 janvier, au début de la période du mauvais temps, et dont on n’a plus entendu parler. La vaste enquête a été encore dirigée par le capitaine Toynbee, qui réunit et discuta les données fournies par trente-six navires dispersés sur différentes parties de la région atlantique, par les stations météorologiques de la côte des États-Unis, de Terre-Neuve et du Labrador, ainsi que celles provenant des stations d’Europe et résumées dans le Bulletin international de l’Observatoire de Paris. Les cartes synoptiques montrent qu’il y avait pendant les onze jours presque constamment du vent de nord dans le voisinage de la côte américaine, et que le vent de sud régnait à une certaine distance dans l’est. Suivant les cartes des lignes isobares de M. Buchan, dont il a déjà été question plus haut, il devait exister des pressions maxima dans les lieux où soufflaient ces vents, et en se rapportant à la loi de Buys-Ballot[1], un minimum de pression devait se trouver entre elles. Ce minimum correspondait précisément au Gulf-stream, et notre remarque faite à propos du carré n° 3, sur la coïncidence de la plus basse pression avec la plus haute température des eaux, se confirme ici.

On retrouve la situation caractérisée alors et dont nous avons déduit la probabilité de la naissance d’un mouvement rotatoire. La condition du renouvellement de la force vive du cyclone ainsi produit se trouve aussi dans la chaleur et dans l’humidité de l’air au-dessus du Gulf-stream.

Sur les cartes synoptiques du 5 février, à huit heures du matin, à trois heures et à huit heures du soir, on peut suivre les modifications des lignes isobares qui enveloppent un centre de dépression situé à peu près par 30 degrés de longitude ouest et 50 degrés de latitude nord. Sur celle du 6, le centre s’est un peu déplacé vers l’est, et sur celle du 7, tout le système des isobares, toujours formé autour d’un centre, s’étend sur les îles Britanniques. L’examen de ces cartes suggère au capitaine Toynbee d’intéressantes observations, qui peuvent aussi servir à éclaircir la question de l’origine et des mouvements des tempêtes tournantes.

« Peut-être, dit-il, le mouvement de l’aire de dépression vers le nord-est est-il causé par le changement de position du point où les deux courants aériens se rencontrent, la dépression ancienne se comblant constamment, pendant qu’une nouvelle dépression se forme en avant d’elle. La figure ci-contre aidera à comprendre cette idée. Supposons un vent de nord du côté ouest et un vent de sud du côté est de l’Atlantique ; par suite de la pression exercée l’une sur l’autre par ces vents, quand ils arriveront au contact, il se formera en un point C, où cette action sera la plus forte, un revolin ou tourbillon. Le minimum de pression barométrique et une pluie abondante s’y manifesteront. Le tourbillon paraîtra avancer à mesure que le contact s’étendra lui-même, mais en réalité il sera formé de nouveau dans l’air. La direction du mouvement et la vitesse avec laquelle avancera l’aire de dépression dépendront de la force relative des deux courants. Les tourbillons se sont formés en A et en B avant d’arriver en C et maintenant c’est en D que le centre de dépression nouveau se formera. La direction des vents indiquée par des flèches fera comprendre le phénomène de la rotation générale, pendant que le tourbillon central se reforme en avant à l’aide de l’air frais fourni par les deux vents qui sont entrés en lutte. »

D’après cette théorie, il n’y aurait plus à supposer le déplacement d’énormes masses d’air, et cette circonstance parait écarter l’objection soulevée contre la théorie généralement admise jusqu’à présent. Il y a tout lieu d’espérer que la continuation des études dans lesquelles est entré le Bureau météorologique de Londres apportera des lumières qui permettront des conclusions définitives.

Nous n’avons plus qu’à résumer ici quelques considérations sur les mouvements cycloniques, émises récemment par l’éminent directeur de ce Bureau, M. Robert Scott, dans une conférence faite sur les progrès de la prévision du temps à la Société royale. On connaît la direction du mouvement rotatoire des cyclones dans notre hémisphère. Un mouvement inverse, anticyclonique, a lieu quelquefois autour d’une culmination barométrique, et la tempête prend alors le nom « d’anticyclone. » La série de mauvais temps examinée plus haut présentait ce cas, le 6 février, à l’est de l’Angleterre, pendant qu’un accroissement de pression considérable avait lieu sur la mer. Le vent engendré soufflait du sud-est avec une telle force, que les travaux eu exécution au port de Wick furent bouleversés par la mer.

Les surfaces de haute pression occupent une étendue considérable, et on a constaté qu’elles ne sont pas en général sujettes à se déplacer beaucoup. Les dépressions paraissent tourner autour de ces surfaces et ne pas s’avancer sur les régions qu’elles occupent. L’étude des relations mutuelles de ces surfaces de haute et de basse pression a déjà conduit à des résultats intéressants. Ainsi M. Robert Scott indique, comme un des signes précurseurs pour l’Angleterre du danger d’une tempête du sud-ouest, une hausse très-prononcée du baromètre dans la région sud de la France.

Il y a aussi à étudier l’influence mutuelle des dépressions qui se suivent à peu de distance, les cas de séparation d’une tempête tournante en deux autres, et celui de l’absorption de tempêtes séparées en une seule. Mais ces études, comme la plupart de celles que nous venons de résumer, demandent, pour aboutir à des théories moins incomplètes et à des résultats pratiques, un plus grand nombre d’observations que celles réunies jusqu’à présent. On ne saurait donc trop engager les navigateurs assaillis par les ouragans et les stations météorologiques qui se trouvent sur leur passage à noter avec soin toutes les circonstances qui accompagnent ces prodigieux météores.

F. Zurcher


  1. M. Buys-Ballot, directeur de l’Institut météorologique d’Utrecht, a déduit la règle suivante de très-nombreuses observations : Placez-vous de manière à ce que le point où le baromètre est le plus bas se trouve à votre gauche, et celui où il est le plus haut à votre droite ; vous tournez le dos à la direction d’où le vent soufflera.