Orgueil et Préjugé (Paschoud)/2/12

Traduction par anonyme.
J. J. Paschoud (p. 149-157).

CHAPITRE XII.

Une semaine de séjour à Hunsford fut suffisante pour convaincre Sir Williams que sa fille étoit fort heureuse, et qu’elle avoit un mari et des voisins comme il y en avoit peu. Mr. Collins avoit consacré ses matinées à le mener promener dans son petit cabriolet, pour lui faire connoître le pays. Lorsqu’il fut parti, chacun reprit ses occupations ordinaires, et Elisabeth fut charmée de voir que l’absence de Sir Williams ne leur procuroit pas plus fréquemment la compagnie de Mr. Collins, car il passoit la plus grande partie de la matinée, ou à travailler à son jardin, ou à lire et à écrire dans son cabinet, ou aussi à se mettre à sa fenêtre qui avoit vue sur le chemin ; la chambre où les dames se tenoient, étoit assez retirée ; Elisabeth avoit été d’abord étonnée que Charlotte n’eût pas préféré pour l’usage journalier la salle à manger qui étoit plus agréablement située, mais elle s’aperçut bientôt que son amie avoit eu d’excellentes raisons, car Mr. Collins auroit passé moins de temps dans sa chambre, si celle où se tenoient les dames eût été plus gaie ; elle en sut bon gré à Charlotte.

Elles ne savoient donc que par Mr. Collins combien d’équipages avoient passé dans la journée, et il ne manquoit point de les instruire lorsqu’il avoit vu le phaëton de Miss de Bourgh, quoique cela arrivât presque tous les jours. Elle s’arrêtoit souvent devant la porte du presbytère et avoit une conversation de quelques minutes avec Charlotte ; il étoit rare qu’on pût l’engager à entrer dans la maison.

Il ne se passoit presque pas de jour où Mr. Collins n’allât à Rosing, et très-souvent sa femme se croyoit obligée de l’y accompagner. Elisabeth ne comprit comment ils pouvoient perdre tant de tems à cela, qu’en supposant qu’il y avoit peut-être d’autres bénéfices à disposer dans la famille de Bourgh. Lady Catherine les honoroit quelquefois de ses visites, et alors rien n’échappoit à ses observations. Elle examinoit ce que les dames faisoient, regardoit tous leurs ouvrages, et leur conseilloit toujours de faire différemment ; elle voyoit quelques défauts à l’ameublement ou découvroit les négligences des domestiques ; enfin si elle acceptoit quelques rafraîchissemens, elle sembloit le faire uniquement parce qu’elle trouvoit les provisions de sirop et de confitures de Mistriss Collins trop considérables pour son ménage.

Elisabeth s’aperçut que quoique sa Seigneurie ne fût pas juge de paix, elle étoit cependant le magistrat le plus actif de sa paroisse : les plus petites affaires lui étoient présentées par Mr. Collins. S’il y avoit quelques paysans qui se querellassent, qui fussent mécontens ou dans la misère, elle se transportoit tout de suite chez eux, pour régler leurs différens, imposer silence à leurs plaintes et les gronder afin de leur faire prendre la pauvreté en patience.

Le plaisir de dîner à Rosing se répétoit environ deux fois la semaine ; depuis qu’on avoit perdu Sir Williams, il n’y avoit plus qu’une table à jouer, et les divertissemens étoient peu variés. Le genre de vie que menoient les gens du voisinage étant au-dessus des facultés des Collins, ils les voyoient très-peu ; ce n’étoit pas une privation pour Elisabeth, et au fait, elle passoit son temps assez agréablement. Elle avoit souvent des conversations intéressantes avec Charlotte ; et le temps étoit si beau pour la saison, qu’elle pouvoit se promener beaucoup. Sa promenade favorite, où elle se retiroit souvent lorsque ses amies alloient faire leurs visites à Rosing, étoit la partie du bois qui bordoit le parc ; elle avoit découvert là un petit sentier, dédaigné de tout le monde, où il lui sembloit qu’elle étoit un peu à l’abri de la curiosité de Lady Catherine.

Elle passa ainsi les premiers quinze jours de sa visite à Hunsford, cependant Pâques approchoit, et devoit amener à Rosing une augmentation de société très-importante pour un si petit cercle. Peu après son arrivée, Elisabeth avoit appris qu’on attendoit Mr. Darcy ; quoiqu’il fût l’un des hommes qu’elle aimât le moins, cependant l’idée de voir quelqu’un de nouveau, lui faisoit plaisir ; elle pensoit aussi qu’elle pourroit peut-être, par sa conduite auprès de sa cousine, juger si les desseins de Miss Bingley sur lui étoient sans espérance. Il étoit évident que Lady Catherine lui destinoit sa fille, elle parloit de lui dans les termes de la plus haute considération, elle l’attendoit avec impatience et paroissoit même un peu fâchée qu’Elisabeth et Miss Lucas l’eussent déjà vu souvent.

Son arrivée ne pouvoit manquer d’être bientôt sue au Presbytère, car Mr. Collins se promena toute la matinée sur le chemin, afin de le voir le premier ; après avoir fait son salut au moment où la voiture entra dans le parc, il revint à la hâte chez lui apportant cette grande nouvelle. Dès le lendemain, il s’empressa d’aller à Rosing pour rendre ses devoirs ; deux neveux de Lady Catherine y avoient des droits ; car Mr. Darcy avoit amené le Colonel Fitz-Williams, fils cadet de Lord ** son oncle. À la grande surprise de tout le monde, ces Messieurs accompagnèrent Mr. Collins. Charlotte les avoit vus traverser le chemin de la chambre de son mari, et courant tout de suite dans l’autre, elle annonça à ses compagnes l’honneur qu’elles alloient avoir.

— Je vous remercie, Elisa, dit-elle, pour la politesse que vous me valez de Mr. Darcy. Sans vous il ne seroit pas venu si vîte.

Elisabeth avoit à peine eu le temps de nier ses droits à ce compliment, qu’on entendît la cloche de la porte et bientôt après ces trois Messieurs entrèrent dans la chambre. Le Colonel Fitz-Williams qui se présenta le premier, étoit un homme d’une trentaine d’années ; sans être régulièrement beau, il avoit une figure agréable et l’air très comme il faut. Mr. Darcy n’avoit point changé depuis son séjour à Netherfield ; il salua Mistriss Collins avec sa réserve ordinaire, et quels que fussent ses sentimens pour son amie, il la revit avec le plus grand calme. Elisabeth de son côté le salua sans lui dire un mot.

Le Colonel Fitz-Williams commença la conversation avec l’aisance d’un homme du monde ; il parla très-agréablement. Mr. Darcy, après avoir adressé quelques mots à Mistriss Collins sur sa maison et son jardin, s’assit et resta quelque temps sans parler à personne ; enfin cependant sa politesse l’emporta jusqu’à demander à Elisabeth des nouvelles de sa famille. Elle lui répondit d’une manière fort naturelle, et après un moment de silence, elle ajouta :

— Ma sœur aînée a passé ces trois derniers mois à la ville ; ne l’avez-vous jamais rencontrée ?

Elle savoit positivement que non, mais elle vouloit voir s’il ne laisseroit rien échapper sur ce qui s’étoit passé entre Jane et Miss Bingley. Elle crut remarquer qu’il étoit un peu embarrassé, en répondant qu’il n’avoit pas été assez heureux pour rencontrer Miss Bennet ; le sujet fut promptement abandonné, et peu après ses Messieurs prirent congé.