Traduction par anonyme.
J. J. Paschoud (1p. 155-167).

CHAPITRE XV.

Monsieur Collins n’avoit ni bonté ni sensibilité ; chez lui les imperfections de la nature n’avoient été modifiées, ni par l’éducation, ni par l’habitude de vivre dans le monde au milieu des frottemens de la société. Il avoit passé la plus grande partie de sa vie, sous la tutelle d’un père ignorant et avare, et n’avoit rapporté de l’université que des termes techniques, sans aucunes véritables connoissances. La soumission dans laquelle son père l’avoit toujours contenu, lui avoit fait contracter des manières extrêmement humbles qui se trouvoient maintenant dans un contraste complet avec l’amour-propre, qui a bien de la prise sur la tête d’un être foible, vivant dans la retraite et imbu de toutes les idées que donne une prospérité inattendue. Un heureux hasard l’avoit fait connoître à Lady Catherine de Bourg, lorsque le bénéfice de Hunsford étoit vacant. Le respect qu’il avoit pour son rang élevé, la vénération qu’elle lui inspiroit comme sa patrone, se mêloient avec une haute idée de lui-même, comme ecclésiastique ; et de son importance, comme Recteur ; et le rendoient un composé bizarre de vanité et d’humilité, d’une minutieuse politesse et d’une extrême importance.

Depuis qu’il se voyoit maître d’une jolie maison, et d’un assez bon revenu, il avoit le désir de se marier. L’idée de trouver une femme dans la famille de Longbourn, avoit contribué à sa réconciliation avec elle. Son intention étoit de demander en mariage une de ses cousines, s’il les trouvoit aussi belles et aussi aimables que le bruit public les lui avoit représentées. C’étoit là le dédommagement qu’il comptoit leur offrir, pour se faire pardonner d’hériter de la terre de leur père ; c’étoit là la base du plan d’accommodement qu’il avoit conçu, plan qui lui paroissoit très-généreux, très-désintéressé, et qui lui sembloit réunir toutes les convenances.

Ses projets ne subirent aucun changement après avoir vu ses cousines ; la belle figure de Miss Bennet l’affermit encore dans ses résolutions, et dans les notions positives qu’il avoit des droits d’aînesse. Dès le premier instant, il fixa son choix sur elle, mais la matinée du lendemain le força à faire quelques légers changemens dans ses dispositions. Dans un tête à tête qu’il eut avec Mistriss Bennet avant le déjeuner, la conversation l’ayant conduit naturellement à l’aveu des espérances qu’il avoit conçues de trouver une femme à Longbourn, Mistriss Bennet au milieu de tous les sourires de complaisance et d’encouragement, lui laissa cependant entrevoir quelques obstacles au choix qu’il avoit fait de Jane ! Quant à ses autres filles, disoit-elle, elle ne pouvoit prendre sur elle de… Elle ne pouvoit pas répondre positivement que… Elle ne leur connoissoit cependant aucun engagement antérieur… Mais pour sa fille aînée, elle croyoit de son devoir de lui avouer qu’elle seroit bientôt engagée ; Mr. Collins alors changea Jane contre Elisabeth ; ce fut bientôt entr’eux deux une chose arrangée ; d’ailleurs Elisabeth venant tout de suite après Jane, soit pour l’âge, soit pour la beauté, lui succédoit tout naturellement.

Mistriss Bennet s’amassoit ainsi un trésor d’espérances ; elle ne se sentoit pas de joie, en pensant, que bientôt elle auroit deux de ses filles mariées, et l’homme qu’elle avoit eu tellement en horreur, que la seule idée de le voir la faisoit frémir, étoit maintenant au plus haut degré de ses bonnes grâces.

Lydie n’avoit point oublié son projet d’aller à Meryton ; toutes ses sœurs, excepté Mary, voulurent l’accompagner ; Mr. Collins devoit être de la partie, à la requête de Mr. Bennet, qui désiroit se débarrasser de lui, et jouir seul de sa bibliothèque, car Mr. Collins, l’y avoit régulièrement suivi après le déjeuner, et là, tout en ayant l’air de lire un des plus gros in-folio, il ne cessoit d’entretenir Mr. Bennet de sa maison et de son jardin de Hunsford ; cela excédoit ce dernier, qui trouvant toujours du bruit et du mouvement dans toutes les chambres de la maison, étoit accoutumé à se retirer dans son cabinet pour jouir du calme et du repos. Ce fut le désir d’être seul quelques momens, qui le fit presser poliment Mr. Collins d’accompagner ses filles à la promenade, et celui-ci qui étoit en effet plus propre à la marche qu’à la lecture fut charmé de fermer son gros livre et de s’en aller.

Leur conversation pendant la route, consista en pompeuses phrases de son côté, et en polies approbations de la part de ses cousines, mais une fois arrivé à Meryton, il n’obtint plus aucune attention des cadettes, leurs yeux étoient tout occupés à chercher les officiers, il ne falloit rien moins qu’un nouveau bonnet ou un joli ruban, pour les en détourner un instant.

La curiosité de toutes les sœurs fut bientôt éveillée par un jeune homme, qu’elles n’avoient jamais vu, de la tournure la plus élégante, qui se promenoit de l’autre côté de la rue, donnant le bras à un officier qui étoit justement ce même Mr. Denny, du retour duquel Lydie venoit s’informer. Il les salua lorsqu’elles passèrent devant eux. Elles furent toutes frappées de l’air de l’étranger. Lydie et Kitty déterminées à le revoir encore si c’étoit possible, traversèrent la rue sous prétexte de voir quelque chose dans une boutique vis-à-vis, et heureusement elles avoient déjà atteint l’autre côté, lorsque ces Messieurs se retournant, se trouvèrent à la même place. Mr. Denny les aborda et leur demanda la permission de leur présenter M. Wickam, son ami, arrivé de Londres la veille, avec lui, et qui venoit d’accepter une commission dans son régiment. C’étoit justement ce qu’il falloit, car il ne manquoit que l’uniforme à ce jeune homme pour être accompli. Il avoit une belle figure, une contenance distinguée, un abord très-agréable. Il entra en conversation avec une heureuse facilité, sa manière de s’énoncer étoit à la fois correcte et sans prétentions, ils se promenoient ainsi tous ensemble, fort agréablement, lorsqu’un bruit de chevaux les fit retourner ; Darcy et Bingley arrivoient au grand galop en reconnoissant les dames dans ce groupe, les deux cavaliers s’arrêtèrent et les abordèrent. Bingley porta la parole, et s’adressant à Miss Bennet, il lui dit qu’ils alloient à Longbourn pour s’informer des nouvelles de sa santé ; Darcy s’inclinoit en signe d’approbation, et étoit décidé à ne pas jeter les yeux sur Elisabeth, lorsque la vue de l’étranger le frappa ; Elisabeth qui les observoit tous les deux, fut étonnée de l’effet que produisit cette rencontre ; ils changèrent de couleur, l’un pâlit, l’autre rougit. Après quelques instans d’hésitation, Wickam porta la main à son chapeau, salut auquel Mr. Darcy daigna à peine répondre. Que signifioit tout cela ? Il étoit impossible de le deviner ; mais il étoit impossible aussi, de ne pas désirer de le savoir ! Peu de momens après Mr. Bingley qui ne paroissoit pas avoir remarqué ce qui s’étoit passé, prit congé et partit avec son ami.

Mr. Denny et Mr. Wickam accompagnèrent les Miss Bennet jusqu’à la porte de Mistriss Phillips, et se retirèrent alors, malgré les pressantes invitations de Lydie, pour les engager à entrer, et quoique sa tante parût à la fenêtre du salon pour appuyer hautement cette invitation ; Mistriss Phillips étoit toujours charmée de voir ses nièces ; les deux aînées, qu’elle n’avoit pas vues depuis leur séjour à Netherfield, furent surtout bien reçues. Elle leur exprima sa surprise, de leur prompt retour, qu’elle n’auroit point su (leur voiture n’ayant pas passé pour les aller chercher), si elle n’avoit pas rencontré dans la rue le garçon de boutique de Mr. Jones, qui lui avoit dit, qu’on ne devoit plus envoyer de remèdes à Netherfield, les Miss Bennet étant revenues, etc., etc. Jane demanda la permission de lui présenter Mr. Collins, elle le reçut avec une politesse excessive, qu’il lui rendit en lui faisant mille excuses, d’avoir osé se produire chez elle avant d’avoir fait sa connoissance ; cependant il espéroit que ses relations de parenté, avec les jeunes dames qui le présentoient, justifieroient la liberté qu’il avoit prise. Un tel excès de politesse pénétra Mistriss Phillips de respect, mais la contemplation où elle étoit de cet étranger fut bientôt troublée, par les exclamations et les questions de ses nièces cadettes sur le nouvel arrivé. Elle ne put rien leur apprendre de plus, que ce qu’elles savoient déjà : que Mr. Denny l’avoit ramené de Londres, qu’il disoit avoir une lieutenance dans le même régiment, et que depuis une heure elle le regardoit promener de long en large dans la rue. Si Mr. Wickam eût continué sa promenade, il n’y a pas de doute que Lydie et Kitty n’eussent imité leur tante ; mais, malheureusement, il ne passoit sous les fenêtres dans ce moment, que quelques officiers, qui en comparaison de l’étranger n’étoient plus que de gauches et ennuyeux personnages.

Les Phillips devoient avoir quelques officiers à dîner le lendemain ; il fut arrangé que Mistriss Phillips obtiendroit de son mari d’aller faire visite à M. Wickam, et de lui envoyer une invitation, si la famille de Longbourn vouloit venir passer la soirée. La chose conclue, Mistriss Phillips promit encore à ses nièces, qu’elles auroient une agréable et bruyante partie de loterie, et ensuite un petit bout de souper chaud.

La perspective de tant de plaisirs étoit délicieuse, l’on se sépara de fort bonne humeur. M. Collins réitéra ses excuses en sortant, et on l’assura avec une politesse infatigable, qu’elles étoient absolument inutiles.

En revenant à Longbourn Elisabeth raconta à Jane, ce qui s’étoit passé entre M. Darcy et M. Wickam. Jane auroit bien voulu donner à une conduite aussi extraordinaire une interprétation favorable à tous les deux, mais elle ne pouvoit pas mieux l’expliquer que sa sœur.

À son retour à Longbourn, M. Collins fit un extrême plaisir à Mistriss Bennet par l’éloge des manières et de la politesse de Mistriss Phillips, il l’assura, qu’excepté Lady Catherine et sa fille, il n’avoit jamais vu une femme qui eut l’air plus comme il faut et plus élégante, car elle l’avoit nominativement compris dans son invitation pour la soirée du lendemain, quoiqu’il lui fût tout-à-fait inconnu auparavant ; il reconnoissoit qu’il devoit en attribuer une partie à ses rapports avec la famille ; mais cependant, il n’avoit jamais tant reçu de prévenances durant tout le cours de sa vie.