Gallimard (p. 163-177).


FRAGMENTS
1933-1938




I


La situation où nous nous trouvons est d’une gravité sans précédent. Le prolétariat le plus avancé, le mieux organisé du monde a non seulement été vaincu, mais a capitulé sans résistance. C’est la seconde fois en vingt ans. Pendant la guerre, nos aînés ont encore pu espérer que le prolétariat russe, par son magnifique soulèvement, allait réveiller les ouvriers européens. Pour nous, rien ne nous permet de former un espoir analogue ; aucun signe n’annonce nulle part une victoire susceptible de compenser l’écrasement sans combat des ouvriers allemands. Jamais peut-être, depuis qu’un mouvement ouvrier existe, le rapport des forces n’a été aussi défavorable au prolétariat qu’aujourd’hui, cinquante ans après la mort de Marx.

Que nous reste-t-il de Marx, cinquante ans après sa mort ? Sa doctrine n’est pas destructible ; chacun peut la chercher dans ses œuvres et se l’assimiler en la pensant à nouveau ; et bien que l’on répande de nos jours, sous le nom de marxisme, quelques formules desséchées et dépourvues de signification réelle, quelques militants remontent aux sources. Mais, bien que les analyses de Marx aient une valeur qui ne peut périr, l’objet de ces analyses, à savoir la société contemporaine de Marx, n’est plus. Le marxisme ne peut vivre qu’à une condition, c’est que le précieux outil que constitue la méthode marxiste passe de génération en génération sans se rouiller, chaque génération s’en servant pour définir le monde où elle vit. C’est ce qu’a compris la génération d’avant-guerre, comme témoignent la brochure de Lénine sur l’impérialisme et plusieurs ouvrages allemands. Tout cela est malheureusement bien sommaire. Mais nous, depuis la guerre, qu’avons-nous fait à cet égard ? On dirait, à lire la littérature du mouvement ouvrier, qu’il n’y a rien de nouveau depuis Marx et Lénine. Il y a cependant, « sur un sixième du globe », un régime économique tel qu’on n’en a jamais connu ni supposé un semblable ; dans le reste du monde, la monnaie-papier, l’inflation, la part croissante de l’État dans l’économie, la rationalisation et bien d’autres changements sont venus modifier, et peut-être transformer, les rapports économiques ; nous vivons, depuis plus de quatre ans, une crise telle qu’il n’y en a jamais eu de semblable. Que savons-nous sur tout cela ? Pour moi, je ne puis énumérer ces questions sans prendre conscience, avec un amer sentiment de honte, de ma propre ignorance ; et par malheur il n’y a, à ma connaissance, dans la littérature du mouvement ouvrier, rien qui permette de croire qu’il y a, actuellement, des marxistes capables de résoudre ou même de formuler clairement les questions essentielles que pose l’état présent de l’économie. Aussi ne faut-il pas s’étonner que, cinquante ans après la mort de Marx, les marxistes eux-mêmes traitent en fait la politique comme si c’était un domaine à part, à peu près séparé du domaine des faits économiques. Dans la presse communiste quotidienne, la division en classes, destinée chez Marx à expliquer les phénomènes politiques par les rapports de production, est devenue la source d’une mythologie nouvelle ; la bourgeoisie, notamment, y est une divinité mystérieuse et maléfique, qui suscite les phénomènes dont elle a besoin, et dont les désirs et les ruses expliquent à peu près tout ce qui se passe. La littérature communiste plus sérieuse n’échappe pas entièrement à ce ridicule, et cela même dans les groupements d’opposition, même dans certaines analyses de Trotsky. Et bien entendu, les conceptions politiques, n’étant pas appuyées sur l’économie et ne pouvant pas plus avancer dans le vide qu’un oiseau ne pourrait voler sans la résistance de l’air, sont celles que nous ont léguées l’avant-guerre et la guerre. Le réformisme reste ce qu’il a toujours été ; l’idéologie anarchiste aussi ; les syndicalistes révolutionnaires rêvent à la vieille C.G.T. ; les communistes orthodoxes et oppositionnels se disputent pour savoir qui imite le mieux le parti bolchévik d’avant-guerre. Tous traversent en inconscients cette période si neuve où nous sommes, période qu’aucune des analyses précédemment faites ne permet de définir, et où il semble que les corps soient seuls à vivre, alors que les esprits se meuvent encore dans le monde disparu de l’avant-guerre.



II


La question de la structure sociale se ramène à la question des classes.

Jusqu’ici, dans l’histoire, l’on ne connaît que des sociétés divisées en classes, à l’exception des sociétés tout à fait primitives, où aucune différenciation ne s’est encore produite. Dès que la production est quelque peu développée, la société se divise en diverses catégories qui s’opposent les unes aux autres, et dont les intérêts diffèrent. L’opposition la plus marquée est celle qui existe entre les non-producteurs et les producteurs, autrement dit entre les exploiteurs et les exploités ; car les non-producteurs consomment nécessairement ce que d’autres produisent, et par suite les exploitent. Le mécanisme de l’exploitation définit la structure sociale de chaque époque. Au reste, il va sans dire qu’une théorie matérialiste ne peut jamais considérer les exploiteurs comme de simples parasites ; dans toute société divisée en classes, l’exploitation du travail d’autrui constitue une fonction sociale, rendue possible et nécessaire par le mécanisme de la production dans cette société. Et une société sans classes ne pourra être réalisée que si l’on obtient une forme de production qui exclut une telle fonction. Au reste, une société quelconque ne se divise jamais simplement en exploiteurs et en exploités, mais en plusieurs classes, dont chacune se définit par son rapport au fait fondamental de l’exploitation.

On connaît, dans l’histoire, trois formes principales de société fondées sur l’exploitation : le régime de l’esclavage, le régime féodal et le régime capitaliste. On ne connaît qu’une forme de société sans exploiteurs, à savoir le communisme primitif, lié à une technique tout à fait arriérée. La question vitale qui se pose pour nous est de savoir si, à un niveau supérieur, avec une technique très développée, une production sans exploitation est de nouveau possible. Pour poser la question d’une manière correcte, il faut savoir étudier scientifiquement, non pas seulement les diverses structures sociales, mais surtout les transformations qui remplacent une structure par une autre.



III


Ce qu’on nomme de nos jours, par un terme qui appellerait bien des éclaircissements, la lutte des classes est, de tous les conflits qui opposent des groupements humains, le plus concret, celui dont l’objectif est le plus sérieux. Pourtant là aussi interviennent parfois des entités purement imaginaires qui empêchent toute action dirigée, qui amènent presque tous les efforts à porter dans le vide, et qui presque seules suscitent le danger de haines inexpiables, de destructions inutiles, peut-être de tueries sans limites. La lutte de ceux qui obéissent contre ceux qui commandent, lorsque le mode de commandement entraîne l’écrasement de la dignité humaine chez ceux d’en bas, est ce qu’il y a au monde de plus légitime, de plus motivé, de plus authentique. Cette lutte a toujours existé, parce que ceux qui commandent tendent toujours, qu’ils le sachent ou non, à fouler aux pieds la dignité humaine au-dessous d’eux ; la fonction de commandement, pour autant qu’elle s’exerce, ne peut pas, sauf cas exceptionnels, respecter l’humanité dans la personne des agents d’exécution. Si elle s’exerce sans aucune résistance, elle en arrive inévitablement à s’exercer comme si les hommes étaient des choses, et encore des choses exceptionnellement souples et maniables ; car l’homme soumis à la menace de mort, qui est en dernière analyse la sanction suprême de toute autorité, peut devenir beaucoup plus maniable que la matière inerte. Aussi longtemps qu’il y aura une hiérarchie sociale, quelle que puisse être d’ailleurs cette hiérarchie, ceux d’en bas devront lutter et lutteront pour ne pas perdre tous les droits d’un être humain. D’autre part, la résistance de ceux d’en haut aux efforts surgis d’en bas, si elle est naturellement moins sympathique, repose du moins sur des motifs concrets. D’abord, sauf le cas d’une générosité assez rare, les privilégiés préfèrent nécessairement garder intacts leurs privilèges matériels et moraux. Et surtout ceux qui sont investis des fonctions de commandement ont pour mission de défendre l’ordre indispensable à toute vie sociale, et le seul ordre possible à leurs yeux est celui qui existe. Ils ont raison dans une certaine mesure, car jusqu’à ce qu’un nouvel ordre soit établi en fait, personne ne peut affirmer qu’il sera possible ; c’est précisément pourquoi un progrès social petit ou grand n’est possible que si la pression d’en bas est assez forte pour imposer en fait des conditions nouvelles aux rapports sociaux. Il s’établit ainsi continuellement, entre la pression d’en bas et la résistance d’en haut, un équilibre instable qui définit à chaque instant la structure d’une société. Mais la rencontre de ces deux efforts opposés n’est pas une guerre, même s’il arrive que çà ou là il coule un peu de sang. Les colères y sont inévitables, mais non la haine. Elle peut d’un côté ou de l’autre, ou des deux côtés, tourner en extermination ; mais alors c’est qu’elle change de nature, et que les objectifs véritables de la lutte s’effacent de la pensée des hommes, soit qu’un désir aveugle de vengeance paralyse la pensée, soit que l’intervention d’entités vides de sens donne l’illusion, toujours erronée, qu’un équilibre est impossible. Il y a alors catastrophe ; mais de telles catastrophes sont évitables. L’antiquité ne nous a pas seulement légué l’histoire des massacres interminables et inutiles autour de Troie, elle nous a légué aussi l’histoire de l’action énergique et pacifique par laquelle les plébéiens de Rome, sans verser une goutte de sang, sont sortis d’une situation qui touchait à l’esclavage et ont obtenu, comme garantie de leurs droits nouveaux, l’institution des tribuns. C’est exactement de la même manière que les ouvriers français, par l’occupation pacifique des usines, ont imposé les congés payés, les salaires garantis et les délégués ouvriers.

On ne peut pas énumérer toutes les abstractions vides qui faussent aujourd’hui la lutte sociale, et dont certaines risquent de la faire dégénérer en une guerre civile funeste pour les deux camps. Il y en a trop. On ne peut que prendre un exemple. Ainsi que peuvent avoir dans l’esprit ceux pour qui le mot « capitalisme » représente le mal absolu ? Nous vivons sous un régime qui comporte des formes de contraintes et d’oppression parfois écrasantes ; des inégalités très douloureuses ; des masses de souffrances inutiles. D’autre part, ce régime est économiquement caractérisé par un certain rapport entre la production et la circulation des marchandises, entre la circulation des marchandises et la monnaie. Dans quelle mesure exacte est-ce que ces deux rapports conditionnent les souffrances en question ? Dans quelle mesure ont-elles d’autres causes ? Dans quelle mesure l’établissement de tel ou tel autre système les allégerait-il ou les aggraverait-il ? Si on étudiait le problème ainsi posé, on pourrait peut-être apercevoir approximativement dans quelle mesure le capitalisme est un mal. Comme on reste dans l’ignorance, on rapporte toutes les souffrances qu’on subit ou qu’on constate autour de soi à quelques phénomènes économiques d’ailleurs perpétuellement changeants, et qu’on cristallise arbitrairement en une abstraction impossible à définir. De la même manière, un ouvrier rapporte arbitrairement au patron toutes les souffrances qu’il subit dans l’usine, sans se demander si dans tout autre système de propriété la direction de l’entreprise ne lui infligerait pas encore une partie de ces souffrances ou même n’en aggraverait pas certaines ; pour lui, la lutte « contre le patron » se confond avec la protestation irrépressible de l’être humain accablé par des conditions de vie trop dures. Dans l’autre camp, une ignorance identique fait assimiler à des fauteurs de désordre tous ceux qui envisagent la fin du capitalisme, parce qu’on ignore dans quelle mesure et à quelle condition les rapports économiques qui constituent actuellement le capitalisme peuvent être légitimement considérés comme nécessaires à l’ordre. Ainsi la lutte entre adversaires et défenseurs du capitalisme est une lutte d’aveugles ; les efforts des lutteurs, d’un côté comme de l’autre, n’embrassent que le vide ; et c’est pourquoi cette lutte risque de devenir impitoyable.

La chasse aux entités dans tous les domaines de la vie politique et sociale apparaît ainsi comme une œuvre de salubrité publique. L’effort d’éclaircissement pour dégonfler les causes des conflits imaginaires n’a rien de commun avec celui des endormeurs qui tentent d’étouffer les conflits sérieux. C’est même exactement le contraire. Les beaux parleurs qui, en prêchant la paix internationale, comprennent par cette expression le maintien indéfini du statu quo au profit exclusif de l’État français, ceux qui, en recommandant la paix sociale, entendent conserver les privilèges intacts ou du moins subordonner toute modification à la bonne volonté des privilégiés, ceux-là sont les pires ennemis de la paix internationale et civile. Discriminer les oppositions imaginaires et les oppositions réelles, discréditer les abstractions vides et analyser les problèmes concrets, ce serait, si nos contemporains consentaient à un pareil effort intellectuel, diminuer les risques de guerre sans renoncer à la lutte, dont Héraclite disait qu’elle est la condition de la vie.



IV


Le marxisme est la plus haute expression spirituelle de la société bourgeoise. Par lui elle est arrivée à prendre conscience d’elle-même, en lui elle s’est niée elle-même. Mais cette négation à son tour ne pouvait être exprimée que sous une forme déterminée par l’ordre existant, sous une forme de pensée bourgeoise. C’est ainsi que chaque formule de la doctrine marxiste dévoile les caractéristiques de la société bourgeoise, mais en même temps les légitime. À force de développer la critique de l’économie capitaliste, le marxisme a fini par donner de larges fondements aux lois de cette même économie ; l’opposition contre la politique bourgeoise a abouti à revendiquer la possibilité d’accomplir le vieil idéal de la bourgeoisie, cet idéal qu’elle n’a réalisé que d’une manière ambiguë, formelle, purement juridique, mais de l’accomplir en luttant contre elle, d’une manière plus conséquente qu’elle et vraiment concrète ; la doctrine qui devait à l’origine servir à anéantir toutes les idéologies en démasquant les intérêts qu’elles recouvrent s’est transformée elle-même en une idéologie, dont on devait par la suite abuser pour diviniser les intérêts d’une certaine classe de la société bourgeoise.

Ainsi s’est répété le même phénomène qu’au temps où la jeune bourgeoisie avait commencé sa lutte contre la société féodale et ecclésiastique. Elle dut d’abord revêtir son opposition des formes religieuses de cette société elle-même, et, pour combattre l’Église, se réclamer du christianisme primitif. Au cours de sa lutte contre les deux autres ordres, la bourgeoisie prit conscience de former un ordre distinct, et montra ainsi que malgré son opposition contre le régime féodal, elle avait conscience d’en constituer une partie intégrante (exactement comme la conscience de classe du prolétariat d’aujourd’hui, qui s’est développée pour compenser une tendance non satisfaite à la propriété, manifeste seulement l’état d’esprit bourgeois des prolétaires ; car le fait de penser par classes est précisément propre à la société bourgeoise). La bourgeoisie ne put se libérer de cette idéologie religieuse, ecclésiastique et féodale qu’à mesure que la société féodale tomba en décadence. Mais elle ne fit que purifier la représentation de Dieu des scories qui s’y attachaient depuis le temps de l’économie naturelle ; elle se fit un Dieu sublimé qui n’était plus qu’une Raison transcendante, devançant tous les événements et en déterminant l’orientation. Dans la philosophie de Hegel, Dieu apparaît encore, sous le nom d’ « esprit du monde », comme moteur de l’histoire et législateur de la nature. Ce ne fut qu’après avoir accompli sa révolution que la bourgeoisie reconnut en ce Dieu une création de l’homme lui-même, et que l’histoire est l’œuvre propre de l’homme.

C’est Ludwig Feuerbach qui formula clairement cette idée ; mais comment « l’homme » arrive à faire l’histoire, c’est ce qu’il fut incapable d’expliquer. Car d’une juxtaposition d’hommes considérés seulement comme des êtres naturels ne peut sortir qu’un mélange d’actions, mais non pas un développement régulier et ascendant de l’humanité. La découverte première et décisive de Marx consista seulement en ce qu’il s’éleva au-dessus de l’homme abstrait de Feuerbach et commença à chercher l’explication du processus historique dans la coopération des individus, dans l’union et la lutte, dans les « rapports » multiples qui existent entre eux. Cependant ce progrès de la pensée est encore à présent acheté, d’un autre point de vue, au prix d’un recul inconscient. Karl Marx n’a pu surmonter l’« être humain » isolé de Feuerbach qu’en ramenant dans l’histoire, sous le nom de « société », le Dieu que Feuerbach en avait éliminé.

À vrai dire, Marx commence par nous présenter la nouvelle divinité sous une forme inoffensive, comme « ensemble des rapports sociaux », c’est-à-dire comme réunion de toutes les relations individuelles entre hommes concrets et actifs. Il souligne plus d’une fois que ces « rapports » sont bien entendu des produits empiriques de l’activité humaine, que leur « ensemble », si l’on tient absolument à donner un nom spécial aux relations changeantes qui unissent entre eux les hommes actifs, doit être regardé seulement comme un terme abrégé désignant le résultat du processus historique. Mais plus Marx analyse profondément le cours de l’histoire et les lois économiques, plus il modifie son point de vue, jusqu’à ce que, d’une manière imprévue, la « collectivité » devienne une hypostase, la condition des actions individuelles, une « essence » qui « apparaît » dans l’action et la pensée des hommes et « se réalise » dans leur activité. Elle constitue, à côté du domaine « privé » de l’individualisme bourgeois, un domaine à part, celui du « général », et, en qualité de substance indépendante, est le fondement du premier ; par exemple la valeur d’un produit est déjà déterminée par elle, avant de se « réaliser » dans le prix concret, empirique du marché. Et en régime socialiste aussi, il y aura encore une certaine séparation entre les deux domaines. Qu’on réfléchisse seulement à la formule : « propriété individuelle sur la base d’une possession collective de la terre et des moyens de production », formule qui définit l’ordre économique futur dans un passage connu du Capital. La distinction d’une sphère générale et d’une sphère individuelle est ici expressément formulée ; mais la représentation d’une « possession collective » n’est possible que si l’on considère la « collectivité » comme une substance particulière, planant au-dessus des individus, et agissant à travers eux.

Si l’on conteste tout cela, qu’on examine de près la formule marxiste : l’existence sociale détermine la conscience. Elle contient plus de contradictions que de mots. Étant donné que ce qui est « social » ne peut trouver une existence que dans les esprits humains, « l’existence sociale » est par elle-même déjà conscience, elle ne peut déterminer en outre une conscience qu’il resterait d’ailleurs à définir. Poser ainsi une « existence sociale » comme un facteur de détermination particulier, séparé de notre conscience, caché on ne sait où, c’est en faire une hypostase ; et c’est en plus un bel exemple de l’inclination de Marx au dualisme. Mais si l’on veut considérer cette énigmatique « existence » comme un élément des rapports entre les hommes, et qui dépend de certaines institutions, telles que l’argent, on verra tout de suite clairement que cet élément ne joue que comme résultat d’actes conscients accomplis par des individus, et par suite dépend de la conscience, loin de la déterminer. De plus, si Marx, contrairement à tous les penseurs qui l’ont précédé, juge nécessaire de mettre à part une forme particulière de l’existence, qu’il nomme sociale, c’est donc qu’il l’oppose tacitement au reste de l’existence, à savoir la nature.