Opopanax (Théodore Hannon)

Parnasse de la Jeune BelgiqueLéon Vanier, éditeur (p. 152-156).


Opopanax


xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxI

Opopanax ! nom très bizarre,
Et parfum plus bizarre encor !
Opopanax, le son du cor
Est pâle auprès de ta fanfare !

Le bouquet des roses, fadeur !
Et fadeur l’haleine marine,
Quand tu viens flatter ma narine,
Berceuse étrange, ô forte odeur !

Dans tes syllabes violentes
Fume l’on ne sait quel encens ;
Sa caresse évoque en nos sens
La vision des nuits galantes :

Torses nus et cols en sueurs,
Cheveux déchaînés et qu’embaume
Ton abracadabrant arôme,
Chairs de neige aux chaudes lueurs,


Bras près desquels le lis est jaune
Et sans nerf l’anneau des serpents,
S’enlacent en accords pimpants :
Pleurs de vierge, rictus de faune !

L’ambre, le patchouli, le musc,
Ont, près de ton haleine rouge,
Un terme relent dont la gouge
Fait l’embaumement de son busc.

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxII

Tu viens du pays des potiches,
Où d’étourdissants papillons
Constellent les cieux vermillons,
Ciels adorablement postiches !

Tu parfumes ces merveilleux
Edens de faïence et de laque,
Où le bec des cigognes claque
Sur des dômes verts, jaunes, bleus.

À ton sang impur, à ta larme
La mvrrhe chaste dit : Raca !
Opopanax pastinaca,
Végétal au nom qui vacarme !


Par les blondes plaines de riz
Ton souffle court, ton parfum rôde,
Musquant les lacs mauves que brode
La pourpre des pyrus fleuris.

La Chinoise, aux lueurs des bronzes,
En allume ses ongles d’or
Et sa gorge citrine où dort
Le désir insensé des bonzes.

La Japonaise, en ses rançons,
Se sert de tes acres salives
Pour pimenter ses chairs olives,
Pour ensorceler ses suçons.

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxIII

Ô Marion, toi, Japonaise
Par tes imperceptibles pieds,
Ces parfums sont les familiers
De ton corps en fleur que je baise.

Corps à l’art païen dérobé,
Marbre en vie, écume de l’onde,
Pulpe de fruit, piment, fleur blonde,
Chair de femme et chair de bébé !


Depuis le crépelé havane
De ta nuque, rais de soleil,
Jusqu’aux neiges de ton orteil,
Ce baume vainqueur se pavane.

Roulant au versant de tes seins,
Il court le long de tes bras, flâne
Par tes lèvres rouges, et plane
Sur tes grands baisers assassins.

Il hante ce long peignoir rose,
Ce peignoir d’un tissu vivant,
Qu’embrasent mes baisers souvent
Et que parfois mon pleur arrose.

Il niche ses esprits taquins
Dans tes falbalas, ô maîtresse,
Depuis le velours de ta tresse,
Jusqu’aux nœuds de tes brodequins.

Il nage autour de ta peau nue
Et semble l’encens de ta chair,
Plein de trouble et qui charge l’air
D’une somnolence inconnue.

. . . . . . . . . . . . . .


Et j’ignore en ces nuits de verve
Lorsque me vient meurtrir ta dent,
Si c’est ce poison impudent
Ou ta salive, qui m’énerve.

Qu’importe ! si, pour me griser,
Quand ton beau corps jonche ta couche,
Tu me verses à ronde bouche
L’Opopanax de ton baiser !