On va faire la cocotte

On va faire la cocotteLe Béliervolume 7 (p. 263-285).

Personnages

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Pièce en deux actes

Le premier acte de cette comédie,

restée inachevée à la mort de l’auteur,

a été néanmoins répété sur la scène

du Théâtre Michel, en Février 1913

Personnages

Mmes

Émilienne Trévelin : Ève Lavallière

Olympe Chantrot : Mathilde Caumont

Blanche De Mouzy : Paulette Delbaye

Noémie : -

Marie Bizu : -

MM.

Alcide Trévelin : Marcel Simon

Lalouette : -

Poitrinet : -

La chambre à coucher des Trévelin. Lit de milieu, au fond, face au public. A droite du lit, une table-guéridon tenant lieu de table de nuit ; sur ce guéridon, un téléphone. A gauche du lit, une autre petite table avec une lampe électrique allumée. A gauche, au fond, porte à un battant donnant sur le cabinet de toilette. A droite, 1er plan, une porte à caisson avec serrure praticable, 2e plan, un panneau de mur contre lequel est une commode "demi-lune". Au 3e plan, pan coupé avec porte à deux vantaux au centre, cette porte donne sur le vestibule. A gauche, 1e plan et 3e plan, fenêtres. Au 2e plan, entre les deux fenêtres, une cheminée surmontée d’une grande glace. Au pied du lit, un canapé bas de dossier. Devant la fenêtre 1er plan, une petite table à écrire de dame ; une chaise devant. Au pied du lit à gauche, dos au public, une chaise. Un fauteuil et une chaise devant la cheminée. Une chaise entre la porte de droite et la commode. Tableaux, gravures au mur. Dans le panneau à droite du lit, une place vide semble attendre une gravure ou un tableau formant pendant avec celui de la gauche du lit, le clou destiné à soutenir l’un ou l’autre, est déjà planté dans le mur. Sur le lit, une gravure encadrée, munie de deux pitons "crochets" en la bordure du dos du cadre, et un grand écheveau de corde "septum" à l’un des bouts duquel un nœud coulant est déjà préparé pour être fixé à l’un des pitons.

Scène première

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Trévelin, puis Emilienne

Au lever du rideau, Trévelin est debout près du lit, et parle à mi-voix au téléphone en se faisant un cornet de sa main gauche, pour que sa voix ne se disperse pas dans la chambre.

Trévelin, parlant au téléphone. — Oui !… (Un temps.) Oui !… (Un temps.) Bien entendu !… (Un temps.) je ne sais pas, moi ! un quart d’heure, vingt minutes… Quoi ?… Non, non, sûr !… Je te dis sûr !… (Très traîné.) Ouiii ! là ! (Voix d’Emilienne dans le cabinet de toilette.) Chut… file !…

Il raccroche le téléphone et se rassied sur le lit, où il achève de tourner, le dernier piton dans le cadre.

Emilienne, en peignoir du matin. — Eh bien ! qu’est-ce que tu fabriques là ?

Trévelin. — Tu vois ! Je mets des pitons. Je me suis dit : "Emilienne fait sa toilette, il y en a pour une heure !… j’ai le temps d’accrocher mes dernières acquisitions." (indiquant la gravure attachée.) Ça ne fait pas bien ?

Emilienne. — Si ! si.

Trévelin, qui est monté sur une chaise, et présente son autre gravure, en accrochant la corde au clou ; celle-ci simplement passée au piton, mais non attachée. — Trop de pente ! J’ai mis les pitons trop bas.

Emilienne. — Oh ! bien. Non ! écoute ! ce n’est pas une heure pour accrocher des tableaux, tu feras faire ça demain par ton valet de chambre.

Trévelin. — Non ! Non ! on n’est si bien accroché que par soi-même. Je les connais, les domestiques : s’ils placent une statuette, ils la mettent le nez au mur, un vase, le devant, derrière, une nappe, un tapis, le dessous dessus, ils me ficheraient ma gravure la tête en bas, j’aime autant pas !

Emilienne. — Soit, mais alors, tu peux remettre ça à demain

Trévelin, indiquant la place vide sur le panneau. — Tu crois ?… Ça ne te gêne pas ce trou ?

Emilienne. — Oh ! pour dormir.

Trévelin. — Ben oui, mais avant de dormir.

Emilienne, gentiment. — Je te regarde.

Trévelin. — Je ne te dis pas, mais…

Emilienne. — Oh ! "Je ne te dis pas ! " C’est admirable ! Coquette, va ! Tu trouves ça naturel que je te regarde ! Ça t’est dû ?

Trévelin. — Eh quoi ! madame, c’est le mariage ! la loi dit…

Emilienne. — Oui ! oh bien ! la loi… tu sais dans ces moments-là… s’il n’y avait qu’elle pour que je regarde, ah bien ! mon gros !

Trévelin, allant poser gravure et corde sur une chaise. — Petite anarchiste, va ! On sonne au téléphone.

Emilienne, traversant le lit à genoux pour aller au téléphone. — Petite anarchiste, parfaitement. (A genoux sur le lit, parlant au téléphone.) Allô… Comment ?… Si j’ai terminé ma communication… Quelle communication ? J’étais pas en communication ! (A son mari). Tu étais en communication, toi ?

Trévelin. — Non !

Emilienne, au récepteur. — Nous n’étions pas en communication !… Comment ? Non, c’est pas moi qui ai demandé le 626-36… (A son mari.) C’est pas toi qui avais demandé le 626-36 ?

Trévelin. — Non !

Emilienne. — Non, c’est pas nous qui avons demandé le 626-36… Oh ! il n’y a pas de mal… Quoi ? Mais oui. Nous demandons si souvent des communications que vous ne nous donnez pas, que vous pouvez bien nous en donner que nous ne vous demandons pas !

Trévelin. — Allons, as-tu fini de plaisanter avec les demoiselles du téléphone.

Emilienne. — C’est pas une demoiselle, c’est un monsieur du téléphone.

Trévelin. — Raison de plus.

Emilienne, dans le récepteur. — Non ! Non ! . C’est à mon mari ! Je dis que vous n’êtes pas une demoiselle, mais un monsieur !… Quoi ?… Oh ! Oh ! allons, voyons monsieur !

Trévelin, sévèrement. — Emilienne !

Emilienne. — Oui, eh bien ! je coupe, monsieur ! (Elle raccroche le téléphone l’air choqué, mais ravie dans le fond.) Oh !… il m’a répondu une chose… tout à fait inconvenante.

Trévelin, vexé. — Charmant !

Emilienne. — Mais très drôle, d’ailleurs.

Trévelin. — Voilà ce que tu t’attires en badinant avec les employés du téléphone.

Emilienne. — Je ne m’attire rien du tout, puisque c’est très drôle.

Trévelin, vexé. — Ah !… parfait alors !… continue !

Emilienne. — Veux-tu que je te répète ce qu’il m’a dit ?

Trévelin. — Je ne veux pas le savoir.

Emilienne. — T’as tort ! tu aurais ri.

Trévelin. — Je ne crois pas… (Arpentant avec humeur.) Je ne comprends pas que tu ne sois pas froissée qu’un homme que tu ne connais pas… un employé… un subalterne…

Emilienne. — C’est des étudiants !… Il sera peut-être sénateur un jour.

Trévelin. — En attendant, c’est un employé ! te parler comme il l’a fait ! se permettre de te dire… Qu’est-ce qu’il t’a dit en somme ?

Emilienne. — Puisque tu ne veux pas le savoir.

Trévelin. — Ce n’est pas pour savoir, c’est pour juger. : .

Emilienne. — Viens ! Je vais te le dire à l’oreille.

Trévelin. — Non ! Quoi ? il n’y a personne.

Emilienne. — Pour dire certaines choses, j’aime mieux ça à l’oreille. Comme ça, je n’ai pas ton regard qui me gêne.

Trévelin. — Oh !… eh bien ! va !

Emilienne. — Je lui ai dit, n’est-ce pas ?…

Elle se penche à l’oreille de son mari.

Trévelin. — Oui, oui ! ça va bien ! je sais ce que tu lui as dit.

Emilienne. — Oui !… Alors, il m’a répondu. (Elle parle bas à l’oreille de son mari, puis quand elle a fini, l’interrogeant sur l’effet produit.) Hein ?

Trévelin. — Oh ! C’est fin ! Oh ! c’est très fin ! J’écrirai ; ça au ministre des postes !

Emilienne. — Pourquoi ? Ça l’amusera ?

Trévelin. — Mais c’est pas pour l’amuser, c’est pour me plaindre.

Emilienne. — Oh ! comme ça serait chic ! Je ne te dirai plus rien si c’est comme ça.

Trévelin. — Je n’admets pas qu’un téléphoniste te parle de la sorte.

Emilienne. — Que ça fait ! il ne connaît pas ma figure !

Trévelin. — Oui, mais il connaît ton numéro, et, connaissant ton numéro, il sait qui tu es.

Emilienne. — Oh bien !

Trévelin. — Il n’y a pas d’"oh bien ! ".

Emilienne. — Allons, Alcide, ne sois pas de mauvaise humeur.

Trévelin. — Je ne suis pas de mauvaise humeur.

Emilienne. — Alors, embrasse-moi !…

Trévelin. — Je n’ai pas besoin de t’embrasser.

Emilienne. — Embrasse-moi ! ou je dirai que tu es de mauvaise humeur.

Trévelin. — Oh !… tiens, là !

Il l’embrasse vivement.

Emilienne. — Comme c’est tendre !

Trévelin, radouci. — T’es bête.

Il l’embrasse plus tendrement.

Emilienne. — Ah ! il en faut des affaires pour se faire embrasser par toi ! Mazette !

Scène II

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Les mêmes, Noémie

Noémie, sortant du cabinet de toilette avec une mie sur le bras. — Est-ce que Madame a décidé quelque chose ?

Emilienne. — Ah ! non, au fait ! (A son mari.) Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on sort ? Est-ce qu’on se couche ?

Trévelin. — Ben… comme tu voudras.

Emilienne. — Non. Comme tu voudras, toi !

Trévelin. — Tu as bien envie de sortir ? On a été dehors tous ces soirs-ci. On devrait bien se reposer.

Emilienne. — Je te dis comme tu voudras ! Si on sort, je suis ton homme ; si on se couche… je suis ta femme !

Trévelin, pudique. — Allons, Emilienne !

Emilienne. — Quoi ? C’est pour Noémie ! Elle ne comprend pas ! elle n’est pas mariée ! n’est-ce pas, Noémie ?

Noémie, souriant. — Non, madame.

Trévelin. — Ecoute ! je crois qu’il est plus raisonnable de rester ! Tu dois être fatiguée.

Emilienne. — Non !

Trévelin. — Si, si ! tu ne t’en rends pas compte parce que tu es debout ! C’est la journée qui continue, mais quand tu seras dans le lit… Je t’assure, une fois n’est pas coutume, et un bon tour de cadran, là, sur l’oreiller, ça vous requinque un homme… surtout quand il est une femme.

Emilienne. — Mais pas besoin d’explications. Ça me va. Alors, Noémie, vous pouvez monter.

Noémie. — J’ai encore de l’ouvrage à faire dans la lingerie.

Emilienne. — Eh bien ! allez faire votre ouvrage dans votre lingerie. Les hommes sont déjà montés ?

Trévelin. — Quels hommes ?

Emilienne. — Eh bien ! les domestiques. Qu’est-ce que tu supposes ?

Trévelin. — C’est juste.

Noémie. — Je crois que oui, madame, à moins qu’ils ne soient sortis ; en tous cas, ils ne sont plus à l’office.

Emilienne. — Ça va bien ! Eh ben ! alors… bonsoir Noémie.

Noémie. — Bonsoir, madame, bonsoir, monsieur.

Trévelin. — Bonsoir, Noémie.

Noémie sort.

Emilienne, allant à son mari, et lui passant ses bras autour du cou. — T’es plus fâché ?

Trévelin. — Mais non ! va ! couche-toi !

Emilienne. — Mais toi aussi, couche-toi !

Trévelin. — Eh ben ! oui, tout à l’heure.

Emilienne. — Pourquoi, tout à l’heure ?

Trévelin. — Parce que !… parce que… il n’y a rien qui presse. On n’a pas besoin de faire ça ensemble ! C’est ridicule, le mari et la femme se déshabillant en même temps ! On a l’air de faire une course ; c’est inesthétique.

Emilienne. — Ah ! les premiers temps de notre mariage, ça t’était bien égal d’être inesthétique ! On la faisait la course, et c’est toi qui arrivais premier.

Trévelin. — Tu ne voudrais pas que toute la vie…

Emilienne. — Pourquoi donc pas ?

Trévelin. — Parce que ! les premiers temps, c’est toujours ainsi, c’est l’impatience de l’amour, mais après… après… ça deviendrait de l’animalité.

Emilienne. — C’est charmant ! Alors, après, fini l’amour.

Trévelin. — Non ! non, pas fini l’amour, mais finies ses impatiences. Il n’y a plus la fringale, mais toujours un bon appétit, un appétit qui sait se modérer, qui sait attendre. On dévore moins, mais on déguste plus.

Emilienne. — Oui, on mâche.

Trévelin. — Oh ! "On mâche ! " D’ailleurs, quoi, c’est excellent pour la santé !… Tous les hygiénistes…

Emilienne. — Ah ! si tu fais intervenir l’hygiène… Dire tout de même que si au lieu d’être ta femme, ta légitime, j’étais ta maîtresse.

Trévelin. — Mais dis donc, j’ai pas de maîtresse.

Emilienne. — Non, mais dis donc, je l’espère bien. Ah ! bien, il ne manquerait plus que ça !

Trévelin. — Eh bien, alors ?

Emilienne. — Je t’ai épousé, t’es à moi.

Trévelin. — Evidemment !

Emilienne. — C’est pas pour te laisser à d’autres.

Trévelin, approuvant. — Mais il n’est pas question…

Emilienne. — Je t’arracherais plutôt les yeux !

Trévelin. — Ah ?

Emilienne. — Comme dans Héloïse et Abélard !

Trévelin. — Ah !

Emilienne. — Et à la femme aussi.

Trévelin, étonné. — Aie !

Emilienne. — Non, mais qu’on s’y frotte jamais ! Mademoiselle Demouzy ou d’autres.

Trévelin. — Mademoiselle Demouzy ! Quoi, mademoiselle Demouzy ?

Emilienne. — Non, rien ! des bêtises, parce qu’on avait essayé de me raconter qu’on t’avait croisé en auto avec elle.

Trévelin. — Moi !

Emilienne. — Oh ! Je n’en ai pas cru un mot.

Trévelin. — T’es bien bonne ! Qu’est-ce que c’est que, ça, mademoiselle Demouzy ?

Emilienne. — Tu sais bien, la petite des "Folies Marigny" qui jouait dans la revue.

Trévelin. — Dans la revue ?

Emilienne. — Oui, qui chantait :

Je suis l’appendicite".

Trévelin. — Ah ! oui.

Emilienne, continuant.

Sitôt qu’on me voit arriver,

Tout homme aussitôt, vite, vite

N’a qu’un but, c’est de m’enlever.

Trévelin, achevant.

Je suis l’appen, je suis l’appen

Je suis l’appendicite.

Parlé.

Qui, oui, oui ! la petite, parfaitement !… Ah ! ben la la !

Emilienne. — Oh ! quoi… elle est gentille ! C’est pas parce que tu n’es pas avec elle, qu’il faut la bêcher.

Trévelin. — Oui ! ben oui ! Mais il y en a cent mille comme ça ! s’il suffisait d’être gentille pour que les hommes… mais on n’aurait plus le temps de souffler. Ah ! alors, on m’a vu en auto avec elle. Tiens, tiens, tiens ! Qui est-ce qui t’a conté cette absurdité-là !

Emilienne. — Qu’est-ce que ça te fait puisque je n’en ai pas cru un mot ? Le jour qu’on m’avait dit qu’on t’avait rencontré, je t’avais déposé moi-même à ton cercle. Alors !

Trévelin. — Alors ! y a pas de doute !

Emilienne. — Oui, mais tout de même, j’en reviens à ce que je disais, si j’étais ta maîtresse au lieu d’être ta femme, eh bien ! tu serais un peu plus pressé de te fourrer dans tes draps… dans mes draps… dans nos draps.

Trévelin, d’un ton traînard. — Mais non ! mais non !

Emilienne. — Non, vraiment, c’est pas juste ! Voilà notre lot, à nous autres femmes mariées. On vous dit : vous n’aurez droit qu’à un seul homme pour toute la vie, ou enfin pour toute sa vie… et voilà ce qu’on a au bout de quelques mois, un monsieur qui a l’air de vous faire une grâce quand on lui dit : "Allons, viens te coucher ! "

Trévelin. — Oh ! qu’est-ce que tu vas chercher ?

Emilienne. — Mais sapristi ! au moins qu’on vous en laisse prendre un autre de rechange, qu’on nous permette de varier un peu.

Trévelin. — Tu es folle !

Emilienne. — Quand on compare à notre sort, celui des courtisanes ! Ah ! en voilà qui ont de la chance ! Tous les hommes sont à tirer la langue autour d’elles.

Trévelin. — Oh ! tu as des expressions !

Emilienne. — Quoi ? C’est pas vrai ? Elles ont tout ! On les couvre de bijoux, de fleurs, de cadeaux, on leur achète des hôtels, des voitures, tandis que nous… rien…

Trévelin. — Vous, vous avez l’estime.

Emilienne. — Oui, Oh ! Ça nous fait une belle jambe ! et le droit de rester à la maison faire les comptes de la cuisinière ! Merci ! j’aime mieux le lot de ces dames. Qu’est-ce que ça peut leur faire de n’avoir pas au fond votre estime, puisque vous leur en donnez toutes les marques extérieures, les attentions, les courbettes… Ah ! j’aurais dû être cocotte ! J’ai manqué ma vocation..

Trévelin. — Ah ! je t’en prie, Emilienne !

Emilienne. — Mais c’est vrai.

Trévelin. — Je ne comprends pas qu’une femme honnête, une qui a reçu une bonne éducation, puisse avoir des idées pareilles.

Emilienne. — Quoi, ça ne change rien aux choses ! Maintenant, c’est cuit, je suis vouée à la ligne droite ! Y a rien à faire ! Mais tout de même tu ne peux pas m’empêcher, à part moi, de réfléchir, de comparer ! Quand je vois ce qu’étaient les grandes favorites ! les Pompadour, les Dubarry ! (Trévelin hausse les épaules). Tiens, l’autre jour, de notre loge, aux Folies-Bergère, je les regardais manœuvrer dans le promenoir…

Trévelin. — Qui ? les Dubarry ! les Pompadour !

Emilienne. — Non, mais les petites femmes de là ! Je les voyais papillonner, aller comme ça, de l’un à l’autre, gaies, joyeuses.

Trévelin. — Oui, tu crois ça.

Emilienne. — L’œil provocant, les narines au vent.

Trévelin, haussant les épaules. — Au vent ! il n’y a pas de vent aux Folies-Bergère.

Emilienne. — Oui, enfin…

Trévelin. — Il y a tout au plus des courants d’air.

Emilienne. — Eh ben ! si tu veux, les narines aux courants d’air. Je me disais : "Ah ! tout de même, si c’était moi ! "

Trévelin. — Charmant !

Emilienne. — Si au lieu d’être là, attachée à mon invariable rivage.

Trévelin. — C’est moi, l’invariable rivage.

Emilienne. — Oui, qui bâille à côté de moi, dans cette loge.

Trévelin. Tu as une justesse d’images.

Emilienne. — J’étais une de ces paripète… péripeta… euh ! comment dit-on ?

Trévelin. — Péripatéticiennes…

Emilienne. — Oui !… Aller chercher des mots si difficiles pour des choses si simples…

Trévelin. — Oh !… on peut dire des grues !

Emilienne. — Ah ! oui, on peut dire ça aussi. (Reprenant.) Si j’étais une de ces…

Trévelin. — Grues.

Emilienne. — Non, euh… j’aime pas ce mot-là, surtout en parlant de moi.

Trévelin. — Ah ? je regrette.

Emilienne. — Une de ces péripaté… euh !… ciennes, il me semble que cela m’amuserait d’aller ainsi fureter à droite, à gauche, aguicher celui-ci, aguicher celui-là.

Trévelin. — Oui. Oh ! c’est amusant.

Emilienne. — De me dire : "Qui est-ce que je vais trouver ? De qui ma nuit sera-t-elle faite ? C’est l’émotion de la chasse, la course au gibier. Hier, un jeune perdreau, demain, un lièvre.

Trévelin. — Aujourd’hui, un lapin.

Emilienne. — Ben oui ! Y a même des jours où on revient bredouille.

Trévelin. — Plus souvent qu’à son tour. Et tu envies ça, toi ! Ah ! je voudrais que tu puisses leur demander à ces dames, si c’est enviable, tu verrais ce qu’elles te répondraient.

Emilienne. — Ah ! je ne dis pas d’une façon continue, mais comme ça… en amateur.

Trévelin, les yeux au ciel. — En amateur !

Emilienne. — Tous les jours, des sensations nouvelles. Au lieu d’un éternel menu, pouvoir varier, choisir, dire : "Tiens, ce petit-là, il est gentil ! hé ! hé ! "

Trévelin. — Choisir ! choisir ! Mais elles ne choisissent pas, ma pauvre petite ! elles jaugent. Ce n’est pas le physique qu’elles regardent, c’est la poche. Choisir !… Ah ! bien, si tu crois qu’elles ont qui elles veulent ! Non, elles ont qui les veut, ce qui n’est pas la même chose. Et Dieu sait qui c’est, souvent, "Qui les veut ! " à quoi elles s’exposent. Et pour cela, que d’humiliations, que de rebuffades. Mais rien que cette obligation d’avoir à s’offrir…

Emilienne. — Qu’est-ce que vous faites donc d’autre, vous autres hommes, quand une femme vous plaît, vous vous offrez.

Trévelin. — Non, nous lui offrons ! Ce qui n’est pas la même chose.

Emilienne. — Oui. Oh ! des mots !

Trévelin. — Et si encore elles étaient sûres de trouver. Mais la plupart du temps, on les éconduit avec des : "Non, merci", quand on est poli ! ou "foutez-moi la paix ! " quand on l’est moins. Et c’est ça que tu envies ?

Emilienne. — Oh ! parbleu, si tu parles des tocassons.

Trévelin. — Mais non, non, pas des tocassons.

Emilienne. — Pour peu qu’on soit jeune et jolie.

Trévelin. — Mais c’est ce qui te trompe. Tu en parles comme une innocente que tu es, malgré tes idées subversives ! C’est au contraire les jeunes et jolies qui trouvent le moins. Parce que ce n’est pas ça qu’on cherche, ce n’est pas la beauté, ce n’est pas la jeunesse, c’est le vice, c’est l’expérience. Et puis, il faut un toupet qui ne s’acquiert qu’à la longue… c’est pour ça que c’est au contraire les tocassons, comme tu dis, celles qui ont de la bouteille, qui réussissent !

Emilienne. — Oui. Oh ! bien, je suis bien sûre que si j’essayais…

Trévelin. — Toi, mais tu ne ferais rien ! tu rentrerais Gros-Jean.

Emilienne. — C’est à voir.

Trévelin. — Il n’y a pas de "c’est à voir".

Emilienne. — Ecoute ! tu me piques au jeu.

Trévelin. — C’est malheureux qu’il ne soit pas possible d’en faire l’expérience. Ah ! je suis bien certain…

Emilienne. — Chiche, que j’essaie ?

Trévelin. — Quoi ?

Emilienne. — A blanc ! A blanc !

Trévelin. — Mais ni à blanc, ni autrement ! tu n’es pas folle !

Emilienne. — Oh ! pourtant, si…

Trévelin. — Ah ! et puis je t’en prie, en voilà assez de ces propos !… Je ne comprends pas que tu ne sentes pas ce qu’ils ont de monstrueux.

Emilienne. — Oh ! quoi, tu ne vas pas prendre ça au sérieux. Puisque je ne le ferai pas.

Trévelin. — Il ne manquerait plus que ça.

Emilienne. — je te parle là, à cœur ouvert…

Trévelin. — Pour ce qu’il en sort, tu ferais mieux de le fermer.

Emilienne. — Tu aimerais mieux que je ne te dise pas ce que je pense.

Trévelin. — J’aimerais mieux que tu ne penses pas ce que tu dis. Si c’est comme ça que tu envisages les serments de fidélité que tu m’as faits devant M. le maire…

Emilienne. — Quoi, je te trompe pas.

Trévelin. — je te demande pardon. Tu me trompes cérébralement. L’infidélité de la femme commence au moment même où elle peut envisager sans horreur, la possibilité de se donner à un autre.

Emilienne. — Oh ! alors ! à ce compte-là, il n’y a pas un mari qui ne soit pas cocu.

Trévelin. — je te demande pardon ! Heureusement, il y a tout de même des femmes !…

Emilienne. — Qu’est ce que t’en sais ! tu y as été voir…

Trévelin. — Tout le monde n’a pas l’âme pervertie…

Emilienne, narquoise. — Aha !

Trévelin. — Oh ! et puis, je t’en prie, tu me fatigues avec tes discussions dévergondées.

Emilienne. — T’es bien nerveux !

Trévelin. — Oui. Eh bien ! en voilà assez ! fais-moi le plaisir de te coucher et de parler d’autre chose… ou de ne pas parler du tout, ce qui vaudra encore mieux.

Emilienne. — Oh ! mais que tu es méchant ! Si on ne peut plus disserter ! C’est bien ! je me tais ! (Se glissant dans les draps) et je suis couchée ! là, t’es content ?

Trévelin. — C’est vrai ça, tu me fais monter le sang à la tête !

Emilienne. — Eh ben ! ça le fait circuler ! Quand tu seras dans le lit, il redescendra.

Trévelin. — Oh ! que c’est spirituel.

Emilienne. — Allons, viens ! déshabille-toi !

Trévelin. — Eh bien ! oui ! tout à l’heure.

Emilienne. — Quoi, tout à l’heure ? je suis couchée, couche-toi ! T’as pas voulu d’un rush, eh bien ! fais ton walk-over !

Trévelin, le nez collé à la fenêtre, sans conviction. — Bon, oui.

Emilienne. — Quoi "bon, oui", tu ne bouges pas.

Trévelin. — Mais oui, je te dis, donne-moi le temps.

Emilienne. — Mais quand tu resteras là, le nez collé aux carreaux ! Qu’est-ce que tu regardes par la fenêtre ?

Trévelin. — Le temps qu’il fait.

Emilienne. — Il fait beau. Qu’est-ce que ça te fait ?

Trévelin. — Ça me fait que j’étouffe et que j’ai besoin de respirer un peu d’air.

Emilienne. — Eh bien ! ouvre la fenêtre.

Trévelin. — Non, pour que tu attrapes froid.

Emilienne. — Oh ! je ne crains rien ! je suis couverte.

Trévelin. — Et puis, si tu crois que ça suffira. J’ai besoin de marcher, de circuler… Avec cette sotte discussion, tu m’as…

Emilienne. — Ah ! oui, ton sang.

Trévelin. — Eh bien, oui, oui, mon sang ! J’ai bien le droit d’en avoir.

Emilienne. — Oh ! je serais désolée du contraire.

Trévelin. — Alors, n’est-ce pas ? j’ai envie d’aller faire un tour.

Emilienne. — Ah ?

Trévelin. — Oh ! pas un grand ! Un petit tour..

Emilienne. — Tu veux aller faire un tour ?

Trévelin. — Oui.

Emilienne. — Quelle girouette tu fais. (Rejetant les couvertures.) Allons, allons faire un tour.

Trévelin. — Quoi !…

Emilienne. — Oh ! je suis de bonne composition.

Trévelin. — Comment "allons faire un… ! "

Emilienne. — Eh bien ! oui, t’en as envie, je fais ce que tu veux.

Trévelin. — Mais pardon ! je ne te force ras à venir.

Emilienne. — je sais bien que tu ne me forces pas, mais je ne vais pas te laisser.

Trévelin. — Mais du tout, du tout ! En voilà des idées. Tu es couchée, tu ne vas pas te lever.

Emilienne. — Bah ! c’est pas une affaire.

Trévelin. — Affaire ou non, tu vas me faire le plaisir de rester dans ton lit. Qu’est-ce que c’est que ça, donc ? Tu es sortie tous ces jours-ci, ça suffit.

Emilienne. — Oh bien ! ça, toi aussi.

Trévelin. — Oui, mais moi je ne suis pas fatigué.

Emilienne. — Moi non plus.

Trévelin. — Et puis, moi, c’est pour respirer.

Emilienne. — Eh bien ! on respirera ensemble. Ça sera tout profit.

Trévelin, rongeant son frein. — Oh !

Emilienne. — Quoi "Oh ! " je crois que c’est logique.

Trévelin. — Allons, voyons ! je t’assure que tu es ridicule. Je peux bien aller faire un tour.

Emilienne. — Sans moi ?

Trévelin. — Parfaitement, sans toi, j’suis d’âge.

Emilienne, avec un ton qui n’admet pas de réplique. — Oui ? Eh bien ! non ! Ça non

Trévelin. — Comment, non ?

Emilienne. — Non ! Non ! C’est inutile ! je te dis non !

Trévelin. — Mais je ne serai pas long.

Emilienne. — Ça m’est égal, je te dis non ! Si tu crois que je vais te laisser… Oh ! non ! Je t’ai épousé, c’est pour t’avoir avec moi ! ou alors, je sors.

Trévelin. — C’est trop fort !

Emilienne. — La femme doit suivre son mari, n’est-ce pas ?

Trévelin. Pardon ! Partout où il lui plaît de la conduire, mais quand ça ne lui plaît pas…

Emilienne. — Alors, il reste à la maison. Tous les maris que je connais restent auprès de leurs femmes.

Trévelin. — Où as-tu vu ça ?

Emilienne. — Tu vas me faire le plaisir de faire comme eux !

Trévelin. — Ah ! Mais tu m’embêtes à la fin ! Je ne peux pas sortir sans toi maintenant ? Je sais traverser une rue, tu sais.

Emilienne. — Mais non !

Trévelin. — Je ne sais pas traverser une rue ?

Emilienne. — C’est pas à ça que je réponds, mais à ta première question.

Trévelin. — Ah ! non, tu sais !…

Emilienne. — Non, mais tu te moques de moi ! Je te propose de sortir ! tu me forces à me mettre au lit sous prétexte qu’on est fatigué. Et une fois que tu m’as fait coucher, tu me déclares tranquillement que tu vas aller te promener.

Trévelin. — Le temps de me dégourdir les jambes.

Emilienne. — Tu te les as assez dégourdies comme ça ! Tu es sorti trois soirs de suite, n’est-ce pas ?

Trévelin. — Oui, mais avec toi.

Emilienne. — Eh bien, oui, avec moi. Il n’y a pas de raison pour que tu sortes sans moi. Qu’est-ce que tu as donc à faire dehors, sans moi, je te prie. Allez, allez, je sais ce que c’est quand on laisse prendre le pli. Tu vas me faire le plaisir de rester ici.

Trévelin. — Bon. Bon !… c’est très bien. Je ne sortirai pas.

Emilienne. — C’est vrai, ça !

Trévelin. — Mais c’est entendu. Je te dis, je ne sors pas, là ! je reste !

Emilienne. — Je te demande un peu où Monsieur a à aller.

Trévelin. — Mais nulle part ! puisque je reste ! qu’est-ce qu’il te faut de plus !

Emilienne. — Eh ben ! tu ne fais que ton devoir.

Trévelin. — Mais vraiment, si j’avais su que c’était ça, le mariage.

Emilienne. — Oui, oh ! tu es bien à plaindre !

Trévelin. — Se voir traiter comme un collégien… la consigne, les arrêts…

Emilienne. — Je voudrais un peu voir ce que tu répondrais, toi, si je venais te dire : "Tu vas te coucher, et moi, je vais aller faire un tour."

Trévelin, haussant les épaules. — Oh là ! est-ce que c’est la même chose ?

Emilienne. — Naturellement, ça n’est pas la même chose.

Trévelin. — Evidemment, un homme est un homme, et une femme est une femme !

Emilienne. — La Palisse, va !

Trévelin. — L’homme est un soutien pour sa femme, la femme n’en est pas un pour son mari, donc, il peut sortir sans elle.

Emilienne. — Oui. Oh ! pour ce qui vous arrange, vous avez vite fait d’accommoder les choses.

Trévelin. — En attendant, si tu crois que c’est un bon moyen pour retenir un mari que de lui faire sentir le poids de sa chaîne !

Emilienne, haussant les épaules. — Sa chaîne !

Trévelin, avec un ton saccadé. — Mais c’est très bien, tu ne veux pas que je sorte ! je ne sortirai pas ! voilà tout !

Emilienne. — Ben oui !

Trévelin, id. — Je suis marié ; je suis marié ! tant pis pour moi !

Emilienne. — Oui !

Trévelin, id. — C’est gai ! (Emilienne a un geste du menton comme pour dire : "J’y peux rien".) C’est très bien !… (il arpente la chambre avec des airs de résignation.) C’est très bien !… (tout en marchant, il pousse de gros soupirs d’homme qui respire mal) pffue !…

Il prend un éventail sur la cheminée, et s’en évente froidement.

Emilienne, qui a suivi des yeux tout ce manège. — Tu étouffes toujours !

Trévelin. -Qu’ça te fait

Emilienne. — Oh ! pardon.

Trévelin, sec. — Evidemment, j’étouffe.

Emilienne. — Pourquoi n’ouvres-tu pas la fenêtre, puisque ça ne me gêne pas ?

Trévelin, sec. — Merci ! J’aime mieux souffrir !

Emilienne. — Ah ! et puis, zut, tu sais !

Trévelin, soupe au lait. — Mais oui, zut, zut ! c’est entendu ! je ne te demande rien, alors, laisse-moi tranquille.

Emilienne. — Ah ! la la !

Trévelin. — Ah ! oui. Oh ! la la !

Il arpente nerveusement la pièce, puis s’arrête devant la commode, sur laquelle est un service "verre d’eau", il se verse à boire, et avale par petites gorgées entrecoupées de gros soupirs poussifs.

Emilienne, après un temps, rendant les armes. — Ah ! tiens, va-t-en, va, sors !

Trévelin. — Moi !

Emilienne. — Oui, toi ; tu as un air de victime.

Trévelin, sec. — Merci, je ne sors pas !

Emilienne. — Mais si, va ! puisque je t’autorise…

Trévelin, sarcastique. — "Tu m’autorises ! " Eh bien, non, non ! Maintenant, je ne veux plus.

Emilienne. — Mais va, je te dis ! A quoi bon bouder contre ton ventre.

Trévelin. — Non, non, non et non ! inutile d’insister ! Tu as voulu que je reste… eh ! bien je reste, n’en parlons plus.

Emilienne. — Mon Dieu que tu fais des histoires pour tout.

Trévelin, aigre. — Mais non ! C’est tout naturel ! Ça. t’est désagréable que je sorte.

Emilienne. — Ce qui m’est désagréable avant tout, c’est de te voir faire la tête.

Trévelin. — Je ne fais pas la tête ! Pourquoi ferais-je la tête. Il est entendu que dans un ménage, c’est la femme qui commande et le mari qui’ n’a qu’à obéir ! Eh bien, j’obéis : je n’avais qu’à ne pas me marier. Je l’ai fait ! tant pis pour moi.

Emilienne. — Oui, tu m’as déjà dit ça tout à l’heure.

Trévelin. — C’est vrai, quoi ! que je n’aie pas le droit de sortir un quart d’heure, sans avoir à demander la permission, qu’on me refuse, d’ailleurs. C’est admirable.

Emilienne. — Mais puisque je te la donne la permission !

Trévelin. — Quoi ? non, mais dis donc, est-ce que j’en ai besoin de ta permission ? Tu oublies que je suis le maître, et que si je veux sortir, c’est pas toi qui m’en empêcheras.

Emilienne. — Mais la preuve que je ne t’en empêche pas, c’est que je te dis : "Sors ! "

Trévelin. — Oui, eh bien ! moi maintenant ça ne me convient pas, voilà.

Emilienne, poussant un soupir de lassitude. — Pffue !

Trévelin, maugréant. — Ah ! bien, merci, si j’avais le malheur d’accepter ! C’est pour le coup que j’en entendrais.

Emilienne, haussant les épaules. — "Que tu en entendrais ? "

Trévelin. — Ce que tu trouverais de fois le moyen de me le reprocher. Non, non, merci, j’étouffe, je vais peut-être avoir une congestion, mais j’aime encore mieux tout et avoir la paix.

Emilienne. — Oh ! que tu peux être exagéré !

Trévelin. — Non, non ! C’est très bien ! Ça m’apprend la philosophie ! — Il est bon de savoir refréner ses envies… surtout quand on est marié.

Emilienne. — Tu as fini ?

Trévelin. — Oh ! j’ai fini !

Emilienne : — Eh bien, va, maintenant ! ne fais pas la bête ! sors.

Trévelin, mollissant. — Non ! non ! pour que tu m’en veuilles après.

Emilienne. — Je ne t’en voudrai pas.

Trévelin. — Oui. Oh ! Je te connais.

Emilienne. — Je t’assure !

Trévelin. — Non, non, vaut mieux pas.

Emilienne. — Mais si, mais si.

Trévelin. — Eh bien, alors, je veux que ce soit toi qui me le demandes.

Emilienne. — Je te le demande.

Trévelin, d’un air de doute. — Oh !

Emilienne. — Parole !

Trévelin. — Alors dis-moi que ça te fera plaisir.

Emilienne. — Mais oui.

Trévelin. — Pas comme ça ! dis-moi : "Mon p’tit mari, ça me fera plaisir que tu sortes."

Emilienne. — Oh !

Trévelin. — Ou alors, j’sors pas.

Emilienne. — Mon p’tit mari, ça me fera plaisir que tu sortes.

Trévelin. — Vrai ?

Emilienne. — Vrai.

Trévelin. — Allons, puisque tu me le demandes ! puisque ça te fera plaisir, eh bien, soit, là, je sors.

Emilienne ; moqueuse. — Enfin !

Trévelin, avec élan. — Tiens, t’es gentille : je t’embrasse ! (Il l’embrasse.) Eh bien, tu vois, quand tu me parles gentiment, tu fais de moi ce que tu veux.

Emilienne. — Oui, oui, seulement ne rentre pas tard !

Trévelin. — Non, non, à minuit au plus.

Emilienne. — Comment minuit, tu m’as dit un quart d’heure, il est neuf heures et demie.

Trévelin. — Oh ! bien, tu sais, quand on est dehors un quart d’heure, c’est bien vite minuit.

Emilienne. — Oh ! tu n’es pas raisonnable.

Trévelin. — Mais si ! mais si ! Allez ! je vais m’apprêter.

Emilienne. — T’apprêter ?

Trévelin. — Enfin, me donner un coup de peigne, me laver les mains, je n’ai pas eu le temps de… (Changeant de ton.) Ah ! petite charmeuse, tu ne te doutes pas de l’empire que tu pourrais prendre sur moi, si tu voulais.

Emilienne, gentiment ironique. — Oh ! je m’en rends bien compte !

On sonne dans le vestibule.

Trévelin. — Allons bon ! qu’est-ce que c’est ?

Emilienne. — Une visite à cette heure-ci ?

Trévelin. — Oh ! je n’y suis pas ! du monde ! très peu pour moi ! merci.

Dans le vestibule.

— Madame Trévelin est là ?

Trévelin. — Ah ! c’est Olympe !

Emilienne. — Olympe !

Trévelin. — Tant mieux, elle te tiendra compagnie.

Scène III

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Les mêmes, Noémie, puis Olympe

Noémie. — Madame, c’est madame Chantrot.

Trévelin. — Oui, on sait ! (Allant à la porte.) Venez Olympe ! entrez Olympe !

Emilienne. — Toi !

Trévelin. — Vous arrivez bien, je sors ! Vous allez tenir compagnie à Emilienne ! Vous m’excusez ! Je vais me laver les mains. Mais je ne partirai pas sans vous dire adieu… A tout à l’heure.

Il sort, Noémie est sortie également.

Olympe, ahurie par sa faconde. — Oh !

Emilienne. — Eh bien ! qu’est-ce qui t’amène ?

Olympe. — Moi !

Emilienne. — Oui, je t’ai quittée à cinq heures ; tu devais te coucher parce que tu avais mal à la tête, et te voilà ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Olympe. — Il y a !… que j’étouffe.

Emilienne. — Toi aussi ? C’est le temps, alors.

Olympe. — Mon mari me trompe !

Emilienne. — Chantrot ! Qu’est-ce que tu me dis là ?

Olympe. — La vérité ! J’en ai eu la preuve tout à l’heure ! Alors mon sang n’a fait qu’un tour, j’étais comme une folle ! instinctivement, j’ai couru chez toi.

Emilienne. — Ma pauvre Olympe !

Olympe. — Oh ! mais je me vengerai.

Emilienne. — Allons ! voyons ! voyons ! Ne dis pas des choses pareilles. C’est indigne de toi ! Se venger ! est-ce que c’est une solution, est-ce que cela a jamais arrangé quelque chose ?

Olympe. — C’est une satisfaction ! C’est au moins ça !

Emilienne. — Mais non ! mais non ! Ça se fait au théâtre ! Mais dans la vie ! garde donc le beau rôle ! la véritable satisfaction, tu la trouveras dans la conscience de ta supériorité.

Olympe. — Me tromper, moi ! après quatre ans de mariage !

Emilienne. — Eh bien, oui ! qu’est-ce que tu veux ! tu n’es pas la première et tu ne seras pas la dernière.

Olympe. — Mais ça m’est égal, les autres !

Emilienne. — Ah ! oui, je sais bien ! Charité bien ordonnée… D’abord, qu’est-ce qui te dit qu’il te trompe ?

Olympe. — Parce que j’en ai la preuve.

Emilienne. — La preuve ! la preuve ! Ça ne prouve souvent rien les preuves.

Olympe. — Ah ! ben, qu’est-ce qui te faut ! Tiens ! viens un peu ! Sors du lit ! passe ta matinée !

Emilienne. — Que je… ?

Olympe, tout en fouillant dans son réticule. — Oui, oui ! Allez, lève-toi et viens !

Emilienne, sortant du lit et passant sa matinée. — Voilà ! je me lève ! qu’est-ce qu’il y a ?

Olympe, brandissant un buvard à main devant la glace au-dessus de la commode. — Tiens, lis !

Emilienne. — Qu’est-ce que c’est que ça ?

Olympe. — Le buvard de mon mari ! Ah ! les criminels ne pensent pas à tout ! les lettres partent, mais les buvards restent. Et celui-là a tout bu ! Lis ! lis !

Emilienne. — Oh ! que c’est imprudent d’écrire des lettres compromettantes avec une plume d’oie. (Lisant :) "Mon bon vieux". Qui c’est, le bon vieux ?

Olympe. — Est-ce que je sais ? Quelque ami de mon mari puisqu’il lui écrit. Va toujours !

Emilienne. — "N’oublie pas le souper de ce soir ; chacun amène sa chacune."

Olympe, avec rage. — Hein ?

Emilienne. — Ah ! oui ! "Tu amènes ta choute, Trévelin sa Blanche."… Quoi !

Olympe. — Ah ! c’est vrai, au fait, ton mari en est.

Emilienne. — Oh ! c’est trop fort ! et tu ne me dis pas tout de suite…

Olympe. — Oh ! qu’est ce que tu veux ! J’étais tellement préoccupée par ma situation, à moi.

Emilienne. — Oh ! naturellement !… une maîtresse ! une maîtresse ! Oh ! mais je me vengerai.

Olympe. — Ah ! Ah ! tu vois, tu vois ! Quand tu me disais tout à l’heure.

Emilienne. — Ah ! oui. Mais moi, ce n’est pas la même chose ! Songe qu’il y a à peine huit mois que nous sommes mariés.

Olympe. — Et moi, quatre ans.

Emilienne. — Eh bien, oui, huit mois ou quatre ans il y a une différence ! et puis, moi c’était un mariage d’amour.

Olympe. — Moi aussi.

Emilienne. — Oui enfin, tu l’aimais ! Qu’est-ce que tu veux toi, toi, tu as épousé un homme qui avait neuf ans de moins que toi.

Olympe. — Pardon, sept.

Emilienne. — Eh bien, oui soit ! il a peut-être deux ans de plus que je ne croyais.

Olympe. — Du tout, c’est moi qui en ai deux de moins.

Emilienne. — Enfin, tu savais ce que tu risquais ! mais nous, nous qui nous sommes normalement accouplés !…

Olympe. — C’est tout de même pas une raison parce qu’un homme a quelque mois de plus que vous…

Emilienne. — Quand je pense que tout à l’heure encore, il faisait l’hypocrite.

Olympe. — Eh bien, moi, figure-toi…

Emilienne. — Il disait qu’il avait besoin d’air, c’était pour aller la retrouver.

Olympe. — On lui aurait donné le bon Dieu sans confession.

Emilienne. — A mon mari ?

Olympe. — Non, au mien !

Emilienne. — Eh ! le tien ! le tien ! fiche-moi la paix avec le tien ! Tu me parles tout le temps de ton mari, quand je te parle du mien ! Vraiment tu es d’un égoïsme.

Olympe. — Mais enfin !…

Emilienne. — Tu n’avais qu’à ne pas te marier ! Oh ! mais nous nous vengerons.

Olympe. — Oh ! oui, nous nous vengerons !

Emilienne. — Sa Blanche ! Sa Blanche, qu’est-ce que c’est que sa Blanche ?

Olympe. — Quelque dinde ! Comme celle à mon mari.

Emilienne. — Evidemment ! mais c’est insuffisant comme signalement ! Attends ! mon Dieu ! est-ce que ce ne serait pas ?

Olympe. — Quoi ?

Emilienne. — Tu me disais l’autre jour que tu avais cru reconnaître mon mari en auto avec une petite cabotine de Marigny.

Olympe. — La petite Demouzy, oui !

Emilienne. — Blanche ? Est-ce qu’elle s’appelle Blanche ?

Olympe. — Je ne sais pas, moi. Je ne la fréquente pas.

Emilienne, prenant l’annuaire du téléphone. — Nous allons bien voir. Elle doit avoir le téléphone… Une grue, ça a toujours le téléphone.

Olympe. — Oh ! comme les femmes du monde.

Emilienne, cherchant. — Demouzy, de de de…

Olympe. — Non pas De… de… de ! .. cherche "M" elle est noble.

Emilienne. — Evidemment, je suis bête ! pour ce que ça lui coûte. (Cherchant.) M… M… M… Monval, Montel, Moru…

Olympe. — Ah ! tu l’as !

Emilienne. — Mais non ! attends ! Ah ! Mouzy. "Voilà ! ", Blanche de Mouzy" 19, rue Marbeuf, c’est bien ça.

Olympe. — Et toi, 14, rue François Ier, c’est commode, il n’a pas loin à aller.

Emilienne. — Blanche de Mouzy, 626-36… Oh !

Olympe. — Quoi ?

Emilienne. — Le numéro qu’Alcide n’avait pas demandé tout à l’heure. Ah ! j’en aurai le cœur net.

Elle appelle au téléphone.

Olympe. — Qu’est-ce que tu fais ?

Emilienne. — Je la demande. (Au téléphone.) Allo !… le 626-36.

Olympe. — Tu vas te commettre avec elle.

Emilienne. — Un peu que je vais me commettre !

Olympe. — Oh ! non, quand je pense que mon mari…

Emilienne. — Oui, oui, tais-toi ! (Au téléphone.) C’est le 626-36 ? Je voudrais parler à Madame de Mouzy… Ah ! c’est elle ! (Les dents serrées.) Parfait ! parfait ! C’est de la part de Monsieur Trévelin. Madame attend bien M. Trévelin ce soir ?

Olympe. — Quand on pense que c’est ces femmes-là…

Emilienne, à Olympe. — Chut donc ! (A l’appareil.)

C’est la femme de chambre, Madame. Madame peut parler en toute confiance. Monsieur m’a mise dans la confidence… (Avec un sourire rageur.) C’est ça Madame, oui, je suis de mèche ! comme Madame dit, je suis de mèche !… Comment ? s’il va faire droguer Madame encore longtemps !

Olympe. — Ce ton !

Emilienne. — Non, Madame, Monsieur ne va pas faire droguer encore longtemps Madame ! Seulement Monsieur ne pouvait pas téléphoner à Madame ni s’en aller parce que Madame Trévelin était là jusqu’à l’instant… elle vient justement de partir en soirée. Si Madame veut, je vais appeler Monsieur. Maintenant il va pouvoir parler à Madame.

Olympe. — Comment tu…

Emilienne. — Chut ! (A l’appareil.) Bien, Madame je vais appeler Monsieur, que Madame reste à l’appareil ! (Elle pose le récepteur sans l’accrocher. A Olympe, à mi-voix.) Je crois que c’est clair.

Olympe. — Dire que mon mari me disait encore ce matin…

Emilienne. — Ah ! mais, encore, une fois, fiche-moi la paix avec ton mari. (Elle est allée jusqu’à la porte par laquelle est sorti son mari. Ouvrant et appelant :) Alcide !

Voix d’Alcide. — Quoi ?

Emilienne. — Veux-tu venir, il y a quelqu’un qui te demande au téléphone.

Voix d’Alcide. — Moi ?

Emilienne. — Oui.

Voix d’Alcide, étonné. — Tiens !

Emilienne, prenant le récepteur. — Voilà Madame ! Monsieur vient.

Scène IV

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Les Mêmes, Trévelin

Trévelin, en bras de chemise, en gilet d’habit, en cravate blanche non attachée. — Qui est-ce qui me demande ?

Emilienne, tendant le récepteur. — Je ne sais pas ! c’est une voix de femme.

Trévelin, étonné. — Une voix de femme ? (A l’appareil.) Allo ! Qu’est-ce que c’est ? (Il ne peut réprimer un sursaut et reste stupide, son récepteur à l’oreille.) Hein !… euh !… euh !… (D’une voix étranglée.) Eh ben ! euh… !

Emilienne. — Eh bien, parle quoi ! c’est tout ce que tu trouves à dire : "Euh ! euh ! eh ! ben euh !

Trévelin, à sa femme. — Oui, chut, je cause.

Emilienne. — On ne le dirait pas…

Trévelin. — Oui… oui, madame… entendu Madame !… c’est ça, Madame !… Je vous salue, Madame !

Il raccroche le téléphone.

Emilienne. — Mazette ! tu lui en colles du respect.

Trévelin. — Oui… c’est… c’est la femme de notre nouveau bâtonnier… le bâtonnier des avocats…

Emilienne. — Oui, oui, oui, la bâtonnière !

Trévelin. — Ah ! Ah ! charmant, la bâtonnière ! Elle me rappelle que c’est ce soir que les membres du barreau se réunissent pour féliciter le nouvel élu. Je l’avais complètement oublié, moi.

Emilienne. — Si c’est pour aller respirer un peu d’air que tu te mets en habit ?

Trévelin. — Hein ? Oui !… euh ! non ! c’est pour aller à la soirée du bâtonnier.

Emilienne. — Tu dis toi-même que tu l’avais oubliée.

Trévelin. — Quoi ? Quoi ? C’est drôle ça… tu as l’air de t’imaginer. Je l’avais oubliée jusqu’à tout à l’heure quand ça m’est revenu.

Emilienne. — Dans le cabinet de toilette.

Trévelin. — Dans le cabinet de toilette, parfaitement ! Qu’est-ce que tu vas supposer, donc ?

Emilienne. — Oh ! rien, mais c’est les mots de bâtonnier, barreau… malgré soi on pense à bâton de chaise.

Trévelin. — Oh ! Oh ! Qu’est-ce que ça veut dire ! Il ne te manque plus que de te méfier de moi. Tiens, veux-tu que je reste ?

Emilienne. — Oh ! non !

Trévelin. — Eh ben, alors ! (Pour faire diversion.) Et ça va bien, Olympe ?

Olympe, sèche. — Très bien, merci. Très bien.

Trévelin. — Vous avez bonne mine ce soir… C’est vrai, vous êtes rouge !…

Olympe : — Il y a des moments comme ça.

Trévelin. — Et ça va comme vous voulez ? Oui ?

Olympe. — Ah ! si ça va !

Trévelin. — Allons, tant mieux ! Et bien, moi, je vais finir de m’habiller ! A tout à l’heure, hein ? A tout à l’heure ! (Il sort)

Emilienne. — Oh ! le monstre, le monstre, le monstre !

Olympe. — Les voilà, les maris, tiens, les voilà.

Emilienne. — Oh ! mais attends, j’ai pas fini !

Elle sonne au téléphone.

Olympe. — Qu’est-ce que tu vas faire encore ?

Emilienne. — Tu vas voir ! (Au téléphone.) le 626-36, s’il vous plaît… Oui, s’il vous plaît… (A Olympe et le récepteur toujours à l’oreille.) Je veux déguster ma vengeance jusqu’au bout. (A l’appareil.) Ah ! Madame de Mouzy : .. Oui, c’est encore la femme de chambre qui… parle à madame… Madame n’a dû rien comprendre à l’attitude de Monsieur tout à l’heure au téléphone… S’il a été si troublé, c’est que Madame Trévelin est précisément rentrée dans la chambre au moment où il parlait… Plaît-il ? Comment, Oh ! elle est emm… Mais non, madame, elle n’est pas… comme Madame dit. Seulement elle avait oublié sa lorgnette pour le théâtre, et elle est remontée la chercher… Oui, Madame, oui. Alors Monsieur fait dire comme ça qu’il n’est pas tout à fait prêt ; alors pour gagner du temps, si ça ne dérange pas Madame, comme on est voisin, il dit que Madame serait bien aimable, au lieu que Monsieur aille chercher Madame, que Madame vienne avec sa voiture, le prendre. Madame peut monter, il n’y a personne… Ah ? ça amusera Madame ? Ah ben Monsieur, lui, sera enchanté, ça je peux dire, qu’il sera enchanté.

Olympe. — Ah ! oui.

Emilienne. — C’est ça, à tout à l’heure Madame ! (Elle accroche le récepteur.) Aïe donc !

Olympe. — Bien joué, c’est de bonne guerre !

Emilienne. — Ah ! il faut des grues à Monsieur. (Elle va sonner à la cheminée.) Eh ! bien nous allons rire !

Olympe. — C’est ça ! rions ! rions ! je suis avec toi.

Scène V

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Les Mêmes, Noémie, puis Trévelin

Noémie. — Madame a sonné.

Emilienne. — Oui ! il viendra tout à l’heure une dame, vous la ferez entrer ici. Si elle vous demande si Monsieur est seul, vous direz que oui.

Noémie. — Bien, madame !

Emilienne. — Et maintenant apportez-moi de quoi m’habiller.

Noémie. — Madame sort ?

Emilienne. — Oui ! ma robe la plus brillante !… Celle avec des paillettes ! Et puis des bijoux. Tous mes bijoux !

Noémie. — Oh !… Bien, madame !

Elle sort.

Olympe. — Où veux-tu en venir ?

Emilienne. — Où je veux en venir ! à me venger donc ! à nous venger, car tu vas venir avec moi.

Olympe. — Oh ! oui ! sans savoir ! Oui !

Emilienne. — Eh ! bien tu sauras, va ! tu sauras !

Trévelin. — Dis donc, chérie… Tiens, tu es levée !

Emilienne. — Je ne suis pas levée, j’ai passé une matinée.

Trévelin. — Tiens, veux-tu m’attacher ma cravate ?

Emilienne, empressée. — Mais comment donc !…

Trévelin. — C’est la troisième que je froisse ! je n’en viens pas à bout. Aïe ! mais voyons ! fais donc attention… tu m’étrangles.

Emilienne. — C’est pas bien ?

Trévelin, se dégageant. — Mais non ! C’est idiot !… et tiens ! encore une cravate gâchée ! Ah ! non pour ça, je n’avais pas besoin de toi.

Il entre furieux dans son cabinet de toilette.

Olympe. — Et alors ?

Emilienne. — Et alors ? et bien alors, puisque ce qui fait notre faiblesse auprès de ces messieurs, c’est d’être des honnêtes femmes ! puisqu’il leur faut des grues, eh bien ! nous serons des grues ! ou du moins, nous leur montrerons que nous sommes capables d’en faire autant qu’elles.

Olympe. — C’est très bien ! Je serai une grue ! Mais comment faudra-t-il faire ?

Emilienne. — Tu feras ce que je ferai. (S’interrompant à l’entrée de Noémie apportant ce qu’il faut pour s’habiller.) C’est bien, posez ça là ! (Sonnerie à l’extérieur.) Tenez, on sonne ! Allez ouvrir !

Noémie. — Oui, Madame. (Noémie sort rapidement.)

Emilienne, rageusement. — C’est elle ! C’est elle ! oh ! si je ne me retenais pas !

Noémie. — Madame, c’est la dame !

Emilienne. — Qu’elle entre ! qu’elle entre !

Noémie. — Ah ! Elle est gentille !

Emilienne. — Vous trouvez ?

Noémie. — Oh ! oui, sans me connaître elle m’a donné dix francs, en me disant que j’étais une brave fille… je ne sais pas en quoi.

Emilienne. — Oui ! Moi, je sais ! Allez ne faites pas attendre !

Noémie. — Si Madame veut entrer.

Scène VI

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Les Mêmes, Blanche puis Trévelin

Blanche, entrant en coup de vent. — Non. Mais mon vieux, dis donc, est-ce que tu… Ah !

Emilienne. — Bonjour, Madame

Blanche. — Oh ! pardon, Madame, je me serai trompée d’étage.

Emilienne. — Que, non pas, Madame, que non pas ! Vous êtes bien ici chez Monsieur Trévelin.

Blanche. — Hein ?

Emilienne. — C’est évidemment Monsieur Trévelin que vous venez chercher ; je vais vous l’appeler, Madame, je vais vous l’appeler.

Blanche. — Mais, madame !…

Emilienne. — Une seconde, une petite seconde. (Appelant.) Alcide !

Voix de Trévelin. — Qu’est-ce qu’il y a ?

Emilienne. — Quelqu’un pour toi, mon ami !

Voix de Trévelin. — Pour moi ?

Emilienne. — Oui, viens !

Blanche. — Madame, je…

Emilienne. — Voici votre amant, Madame.

Blanche. — Comment ?

Trévelin, entrant tout habillé. — Quelqu’un pour moi ! qu… (Il est allé donner dans le nez de Blanche.) Ah ! nom d’un chien !

Emilienne. — Qu’est-ce qu’il y a ?

Trévelin. — Hein ? Rien ! je ne sais pas ! Je ne connais pas Madame ! Madame, je vous salue bien ! Qu’est-ce qu’il y a pour votre service ? Je n’ai pas l’honneur !…

Blanche. — Mais, moi non plus, Monsieur ! Il y a erreur.

Emilienne. — Est-il possible ? Oh ! Oh ! Mais alors, je vais vous présenter ! (Présentant.) M. Trévelin, votre amant, madame de Mouzy, votre maîtresse.

Trévelin, inconsidérément. — Madame, enchanté… (Brusquement frappé par le sens des paroles de sa femme.) Euh ! hein ! quoi ?

Blanche. — Vous dites, Madame ?

Emilienne. — Vous avez parfaitement entendu.

Trévelin. — Ah ! çà, qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie ?

Blanche. — Ah ! Et puis zut, à la fin ! Si c’est pour m’amener ça que vous m’avez fait téléphoner…

Trévelin. — Moi ?

Emilienne. — Non ! c’est moi ! c’est moi ! Une attention ! Vous aviez une petite partie organisée.

Trévelin. — Quoi ? quoi ? Où çà ?

Emilienne. — Si, si ! vous deviez souper ensemble.

Olympe. — Chacun avec sa chacune !

Trévelin. — Qu’est-ce que vous dites, vous ?

Olympe. — Je dis : "Chacun avec sa chacune ! "

Trévelin. — Oui. Eh bien ! restez donc dans votre coin.

Emilienne. — Alors, pour faciliter les choses, pour vous éviter de faire le pied, le pied de grue ! Je vous ai téléphoné de passer ici.

Trévelin. — Ah ! C’est toi qui as fait ça ?

Emilienne. — C’est moi qui ai fait ça !

Trévelin. — Eh bien ! parfaitement ! C’est exact, je soupe avec Madame ! Et maintenant plus que jamais ! Ah ! tu t’imagines que tu me mèneras et que c’est avec ces procédés-là que tu auras raison de moi ! Eh bien ! tu te trompes, et, pour commencer : "Ton bras, Blanche, et partons ! "

Emilienne. — Mais allez donc ! Mais allez donc !

Olympe. — Oh !

Trévelin. — Mais oui ! mais oui !

Emilienne. — Seulement, je t’avertis : liberté pour liberté.

Trévelin. — Mais oui, mais oui !

Emilienne. — Tu t’en vas faire la fête ; moi je me lance dans la noce !

Trévelin. — Quoi ?

Olympe. — Parfaitement, et moi aussi !

Trévelin. — Eh ! vous, je m’en fous !

Emilienne. — Tu vas souper avec ta maîtresse ! Eh bien ! moi je vais aller chercher un amant.

Trévelin. — Vraiment ? Et où le prendras-tu ton amant ?

Emilienne. — Je ne sais pas, mais je trouverai bien. Je ferai comme ces dames. Tantôt, tu m’as défiée, n’est-ce pas ? Eh bien ! je relève le défi ! Nous verrons…

Trévelin. — Eh ! ne dis donc pas de bêtises ! Tu es ridicule !

Emilienne. — C’est possible, mais tantôt, c’est toi qui le seras, et, même, si tu veux me voir à l’œuvre, eh bien ! tu n’as qu’à venir au Jardin de Paris, j’y serai.

Trévelin. — Toi !

Olympe. — Oui, nous deux !

Trévelin, l’écartant. — Mais, foutez-moi la paix, vous (à sa femme) au Jardin de Paris, tiens tu me fais rire !

Emilienne. — Eh bien ! ris ! ris !

Trévelin. — Mais vas-y, à ton Jardin de Paris ! Vas-y ! Si tu crois que tu me fais peur avec tes menaces enfantines ! Je te défie d’y aller.

Emilienne : — Oui. Eh bien ! nous verrons ! Ce sera peut-être pour moi le moyen de te plaire ! Puisque tu n’en as que pour les grues, eh bien ! je me conduirai comme une grue.

Trévelin. — Eh bien ! c’est ça !

Blanche. — Ah ! mais dites donc, Madame, si c’est pour moi que vous dites ça…

Trévelin, à Blanche. — Ah ! et puis toi, ferme ça, hein ! Allez, Allez ! Marche !

Blanche. — Ah ! mais, dis donc…

Trévelin. — Oui, allez, allez ! pas d’histoire ! Passez ! Passez !

Emilienne. — Alcide, c’est bien entendu.

Trévelin. — Mais oui, mais oui !

Emilienne. — A ton aise !

Trévelin. — Au Jardin de Paris ! elle ! ssse ! je la vois.

Blanche. — Madame, je…

Trévelin. — Oui, va ! va !

Il sort en haussant les épaules.

Emilienne. — Ah ! tu me défies ! C’est très bien ! (Appelant.) Noémie ! Noémie ! ( A Olympe.) Ah ! Monsieur a des maîtresses et me les amène à domicile… (Appelant.) Noémie !

Olympe. — Oh ! Mais nous leur montrerons de quel bois nous nous chauffons.

Emilienne. — Ah ! oui, nous leur montrerons ! (Appelant.) Noémie !

Noémie, accourant. — Madame ?

Emilienne. — Eh bien ! venez quand je vous appelle ! Allez ! habillez-moi ! Je sors.

Noémie. — Oui Madame.

Olympe. — C’est ça ! dépêche-toi ! Oh ! il me tarde… !

Emilienne. — Vite, le fard !

Noémie. — Quel fard ?

Emilienne. — Eh bien ! le fard : le rouge, le noir, le blanc ! tout ce qu’on avait acheté pour le dîner de têtes chez la Marquise… Vous savez bien.

Noémie. — Ah ! oui, il est dans le tiroir, là.

Emilienne. — Ah ! bon !

Elle cherche dans le tiroir.

Noémie. — Mais Madame ne va pas se farder !

Emilienne. — Pourquoi ça, je ne vais pas me farder ?

Noémie. — Pour sortir ? Mais Madame aura l’air de quoi ?

Emilienne, tout en se fourrant du rouge. — D’une hétaïre, allez ! dites le mot !

Noémie. — Je ne connais pas ça.

Emilienne. — Ah ! bien. C’est ce que nous voulons !

Olympe. — Oh ! oui.

Emilienne. — Ces Messieurs se moquent de nous ! eh bien ! nous leur montrerons que nous sommes de force à leur répondre.

Olympe. — Pensez que mon mari.

Emilienne. — Oui, ça va bien… Ah ! plus souvent que nous garderons la chambre, pendant qu’ils vont courir la prétentaine.

Olympe. — Ah ! non par exemple !

Emilienne. — Ils nous préfèrent des maîtresses. Eh bien ! nous leur montrerons que nous pouvons en être aussi… et ça, pour d’autres.

Olympe. — Oui ! Oui ! Ce soir, je suis à prendre.

Emilienne. — Et puisqu’ils vont aller faire les jolis cœurs dans les cabinets de restaurants, nous, nous irons faire les doux yeux dans les pourtours des jardins publics ! Ah ! vous voulez faire les gigolos ! eh bien ! nous ! aïe donc ! on va faire la cocotte !

Noémie, ahurie par ce flux de paroles. — Ah !

Emilienne, à Olympe. — Tiens ! v’la le rouge !

Elle lui tend le pot de rouge et prend le blanc.

RIDEAU