Librairie théâtrale (p. 8-11).

Scène première

FOLLAVOINE, puis ROSE

Au lever du rideau. Follavoine, penché sur sa table de travail, la jambe gauche repliée sur son fauteuil de bureau, la croupe sur le bras du fauteuil, compulse son dictionnaire.

Follavoine, son dictionnaire ouvert devant lui sur la table.

Voyons : « Îles Hébrides ?… Îles Hébrides ?… Îles Hébrides ?… » (On frappe à la porte. — Sans relever la tête et avec humeur.) Zut ! entrez ! (À Rose qui paraît.) Quoi ? Qu’est-ce que vous voulez ?

Rose, arrivant du pan coupé de gauche.
C’est Madame qui demande Monsieur.
Follavoine, se replongeant dans son dictionnaire et avec brusquerie.
Eh ! bien, qu’elle vienne !… Si elle a à me parler, elle sait où je suis.
Rose, qui est descendue jusqu’au milieu de la scène.
Madame est occupée dans son cabinet de toilette ; elle ne peut pas se déranger.

Follavoine

Vraiment ? Eh bien, moi non plus ! Je regrette ! je travaille.

Rose, avec indifférence,

Bien, Monsieur.

Elle fait mine de remonter.
Follavoine, relevant la tête, sans lâcher son dictionnaire.
— Sur le même ton brusque.

D’abord, quoi ? Qu’est-ce qu’elle me veut ?

Rose, qui s’est arrêtée à l’interpellation de Follavoine.

Je ne sais pas, Monsieur.

Follavoine

Eh ! bien, allez lui demander !

Rose

Oui, Monsieur,

Elle remonte.
Follavoine

C’est vrai ça !… (Rappelant Rose au moment où elle va sortir.) Au fait, dites donc, vous…

Rose, redescendant.

Monsieur ?

Follavoine

Par hasard, les… les Hébrides… ?

Rose, qui ne comprend pas.

Comment ?

Follavoine

Les Hébrides ?… Vous ne savez pas où c’est ?

Rose, ahurie.

Les Hébrides ?

Follavoine

Oui ?

Rose

Ah ! non !… non !… (Comme pour se justifier.) C’est pas moi qui range ici !… c’est Madame.

Follavoine, se redressant en refermant son dictionnaire sur son index de façon à ne pas perdre la page.

Quoi ! quoi, « qui range »  ! les Hébrides !… des îles ! bougre d’ignare !… de la terre entourée d’eau… vous ne savez pas ce que c’est ?

Rose, ouvrant de grands yeux.

De la terre entourée d’eau ?

Follavoine

Oui ! de la terre entourée d’eau, comment ça s’appelle ?

Rose

De la boue ?

Follavoine, haussant les épaules.

Mais non, pas de la boue ? C’est de la boue quand il n’y a pas beaucoup de terre et pas beaucoup d’eau ; mais, quand il y a beaucoup de terre et beaucoup d’eau, ça s’appelle des îles !

Rose, abrutie,

Ah ?

Follavoine

Eh ! bien, les Hébrides, c’est ça ! c’est des îles ! par conséquent, c’est pas dans l’appartement.

Rose, voulant avoir compris.

Ah ! oui !… c’est dehors !

Follavoine, haussant les épaules.

Naturellement ! c’est dehors.

Rose

Ah ! ben, non ! non je les ai pas vues.

Follavoine, quittant son bureau et poussant familièrement Rose vers la porte pan coupé.

Oui, bon, merci, ça va bien !

Rose, comme pour se justifier.

Y a pas longtemps que je suis à Paris, n’est-ce pas… ?

Follavoine

Oui !… oui, oui !

Rose

Et je sors si peu !

Follavoine

Oui ! ça va bien ! allez… Allez retrouver Madame.

Rose

Oui, Monsieur !

Elle sort.
Follavoine

Elle ne sait rien cette fille ! Rien ! qu’est-ce qu’on lui a appris à l’école ? (Redescendant jusque devant la table contre laquelle il s’adosse.) « C’est pas elle qui a rangé les Hébrides »  ! Je te crois, parbleu ! (Se replongeant dans son dictionnaire.) « Z’Hébrides… Z’Hébrides… » (Au public.) C’est extraordinaire ! je trouve zèbre, zébré, zébrure, zébu !… Mais de Zhébrides, pas plus que dans mon œil ! Si ça y était, ce serait entre zébré et zébrure. On ne trouve rien dans ce dictionnaire !

Par acquit de conscience, il reparcourt des yeux la colonne qu’il vient de lire.