On n’est pas des bœufs/Tonton dans le monde


TONTON DANS LE MONDE


Tonton, six ans, est en visite chez madame Durand, avec son père et sa mère. Parfaitement insupportable, d’ailleurs, il a découvert le bouton qui commande l’éclairage électrique du salon, et s’amuse, tour à tour, à faire l’ombre et la lumière.


Le papa. — Tonton, reste tranquille, ou je vais me fâcher.

Tonton, continuant son jeu. — Le jour… la nuit… le jour… la nuit. J’connais rien de plus rigolo que ce truc-là !

Le papa. — Tu trouveras peut-être moins rigolo les calottes que je vais t’envoyer, si tu continues.

Tonton. — Probable !… C’est rudement commode, tout de même, d’avoir qu’un petit bouton à tourner pour s’éclairer !… Pourquoi qu’y en a pas comme ça à la maison ?

Le papa. — Parce qu’il n’y a pas d’électricité dans la maison.

Tonton. — Eh ben ! on la met, parbleu, c’te malice ! Madame Durand l’a bien, pourquoi que nous ne l’aurions pas ?… Elle est pas plus maligne que nous, madame Durand…


Tonton est ramené par de vives réprimandes au sentiment des convenances ; mais la question de l’électricité continue à le passionner.


Tonton. — Alors, l’élé… l’élé…

Le papa. — L’électricité.

Tonton. — Oui, l’élétrixité, c’est donc pas un truc comme le gaz ? Ça vient pas dans des tuyaux.

Le papa. — Non, mon ami.

Tonton. — Dans quoi qu’ça vient, alors ?

Le papa. — Ça serait trop long à t’expliquer. Tu apprendras ça au collège.

Tonton. — On apprend ça au collège ? Est-ce qu’on apprend aussi à ramoner des cheminées ?

Le papa. — Comment… ramoner des cheminées ? Tu es fou !

Tonton. — Dame ! Puisqu’on apprend des machins d’éclairage, on pourrait bien apprendre aussi des trucs de chauffage !


Écrasé par cette logique infantile, le père ne trouve rien à répondre. Il consulte sa montre et opine pour le départ


Le papa, à la maman. — Si tu veux, chère amie, nous allons nous retirer. Nous dînons chez ta mère, et tu sais qu’au moindre retard, cette personne nous réserve un accueil plutôt grinçant.

Tonton. — Dis donc, papa ?

Le papa. — Quoi, mon ami ?

Tonton. — Quand grand’mère crie, pourquoi que tu lui mets pas une goutte d’huile ?

Le papa, ahuri. — Une goutte d’huile ?

Tonton. — Oui, comme t’as fait, l’autre jour, à la serrure. (il se tord.)


On prend congé de madame Durand. Tonton met à profit ce laps pour se livrer éperdument à des fouilles nasales du plus mauvais goût. Le papa s’en aperçoit.


Le papa, indigné. — Veux-tu que je t’aide, polisson ?

Tonton. — Tu pourrais pas, t’as les doigts trop gros.

Le papa. — C’est dégoûtant, mon ami, de se retirer ainsi les crottes du nez !

Tonton, froidement. — C’est bon, je vais les remettre !