Oiseaux de proies nocturnes ou strigidés

Texte établi par Librairie L. Hachette et Cie, Librairie L. Hachette et Cie.


LES TROIS RÈGNES DE LA NATURE
lectures d’histoire naturelle.

26 Novembre 1864.
No 48. — 15 centimes.

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Oiseaux de proie nocturnes ou strigidés. — Vol silencieux de ces oiseaux. — Préjugés. — Organisation particulière de leurs plumes. — Les Hiboux. — Le Grand-Duc. — Le Moyen-Duc. — Le Hibou brachyote.

Les noms français donnés aux diverses espèces de cette famille s’appliquent si peu aux caractères assignés aux différents groupes plus ou moins génériques qu’on a formés, qu’ils semblent plutôt des synonymes ou des équivalents d’une même appellation générale : telles sont les dénominations de Hiboux, de Chouettes, de Chats-huants, de Ducs, de Chevêches, etc. Quoique la science ait trouvé matière à l’établissement d’une vingtaine de sous-genres répartis en trois sous-familles, nous devons confondre leur histoire, la plupart de ces espèces d’oiseaux de proie nocturnes présentant une grande similitude de mœurs. Cependant nous distinguerons les Ducs ou Hiboux, munis d’un faisceau de plumes plus ou moins allongées au-dessus des yeux ; les Chouettes, qui n’ont pas ces aigrettes ; et les Effraies, parfaitement distinctes des autres par un disque facial complet et seulement échancré à sa partie supérieure.


1. — Chouette nébuleuse. Strix nebulosa. Forster
T. 0m 48. Amérique septentrionale.

2. — Hibou ascalaphe. Strix ascalaphus. Vieillot.
T. 0m 47. Afrique. Sicile. Sardaigne.

Le terme de nocturnes, quoique généralement admis par les ornithologistes, n’est pourtant point très-correct : aucun oiseau ne voit ni ne chasse dans une profonde obscurité. Le mieux, comme le dit le docteur Franklin, serait d’appeler cette troisième famille de rapaces, la famille des crépusculaires.

Les Strigidés sont en quelque sorte des Faucons organisés pour la chasse au crépuscule. Quiconque a, en effet, observé ces deux types d’oiseaux, a dû remarquer une grande ressemblance dans la forme du bec et des serres ; seulement l’œil des premiers se montre plus dilaté, comme celui de tous les animaux destinés à chercher leur nourriture au crépuscule ou pendant la nuit.

Les Accipitres nocturnes se distinguent des diurnes, par de gros yeux à fleur de tête, dirigés en avant et entourés d’un cercle de plumes sétacées, décomposées, rigides, formant, par leur rayonnement circulaire autour de la face, ce que l’on est convenu d’appeler le disque facial ; ils se distinguent encore par l’absence de cire à la base du bec, cette cire étant remplacée par une simple peau recouverte de poils allongés et dirigés en avant ; par des tarses et des doigts généralement courts, et, le plus souvent, emplumés jusqu’aux ongles, qui sont rétractiles, recourbés et acérés ; par un plumage épais, abondant, léger, soyeux, augmentant considérablement, par sa masse, l’aspect et le volume du corps et de la tête, qui est naturellement plus grosse et plus développée que celle des Accipitres diurnes.

Destinés à arrêter la trop grande multiplication des mammifères rongeurs ou fouisseurs, qui ne sortent de leurs retraites qu’après le coucher du soleil pour ravager les récoltes de toutes sortes, la nature a doué ces oiseaux de toutes les facultés qui pouvaient favoriser cette chasse nocturne. Ils ont une sensibilité de vue si grande, qu’ils paraissent, selon l’expression de Buffon, être éblouis par la clarté du jour, et entièrement aveuglés par les rayons du soleil ; il leur faut une lumière plus douce, telle que celle de l’aurore et du crépuscule. Le sens de l’ouïe est chez eux d’une finesse extrême, et il paraît, dit l’éloquent naturaliste, qu’ils ont ce sens supérieur à celui de tous les autres oiseaux, et peut-être même à celui de tous les animaux ; leur oreille est proportionnément très-grande, le pavillon, remplacé par des plumes très-mobiles, leur permet de fermer et d’ouvrir à volonté la conque auditive, ce qui n’est donné à aucun animal.

Le vol silencieux de ces oiseaux leur permet, en outre, de saisir furtivement leur proie durant les heures tranquilles où le moindre bruit donnerait l’éveil à toute la nature vivante. Ce silence complet dans le mouvement et l’exécution du vol dépend, d’une part, de la nature floconneuse de leurs plumes, qui, ne formant pas plaque par leur juxtaposition comme chez les rapaces diurnes, permet à l’air de passer entre elles, sans résistance ; et ; d’autre part, de la forme et de la flexibilité de leurs ailes.

En parlant des trois principales formes de l’aile chez les oiseaux de proie, d’après un savant naturaliste qui nous sert encore de guide ici, nous dirons que les ailes à pointe aiguë et celles à pointe mousse appartiennent aux Accipitres diurnes, tandis que les nocturnes ont l’aile arrondie et presque toujours uniformément concave. Des ailes de cette forme, avec une certaine ampleur, comme c’est le cas des Chouettes, des Hiboux, etc., peuvent permettre un vol soutenu, quoique toujours peu rapide. Ces chasseurs nocturnes ne peuvent, en effet, à cause de l’obscurité qui règne à l’heure où ils se mettent en campagne, apercevoir au loin leur proie, et il faut qu’ils fassent beaucoup de chemin pour la découvrir. Leurs mouvements, d’ailleurs, n’ont pas besoin d’être rapides, car les animaux qu’ils poursuivent fuient avec peu d’agilité, ou, à cette heure, ne songent pas à fuir. Sur la terre, c’est une Grenouille, un Mulot, une Souris ; sous la feuillée, et encore très-rarement et tout exceptionnellement, ce sont des oiseaux endormis ; mais encore faut-il approcher ces derniers sans bruit, car une fois éveillés ils échapperaient infailliblement. Les ailes des Strigidés frappent l’air sans produire le moindre bruit, et ils doivent cette faculté, comme nous venons de le dire, un peu à leur forme sans doute, mais surtout à la structure des plumes dont elles sont composées.

Si l’on examine de près une plume d’Oie, on voit que toutes les barbes d’un même côté se tiennent entre elles, et ne peuvent être séparées sans un certain effort. Les a-t-on désunies en les frottant du bout de la tige vers le tuyau, il suffit de passer la plume entre les doigts dans le sens normal pour que toutes ces barbes adhèrent de nouveau. Cela tient à ce que chacune d’elles est garnie de deux rangs de crochets à l’aide desquels elle se fixe à ses deux voisines, crochets qui, grâce à leur disposition et à leur élasticité, se replacent d’eux-mêmes dès que les barbes, accidentellement écartées, ont repris leur position naturelle. Chez le plus grand nombre des oiseaux, ces barbes, vers l’extrémité, s’amincissent, deviennent molles, et dans cette partie, portent, au lieu de crochets, de petites barbules soyeuses. Ce n’est pas le cas cependant chez les espèces dont le vol, brusque et impétueux, s’exécute au moyen d’une succession rapide de coups d’ailes. Là, chaque plume est, comme une bande de baleine, résistante et élastique jusque sur le bord ; les barbes, étroitement serrées, sont presque aussi fermes à la pointe qu’à la base, accrochées entre elles dans toute leur longueur ; enfin, toutes les pennes se recouvrent si exactement, qu’elles ne laissent à l’air aucun intervalle pour s’échapper. Telle est la disposition que nous présente l’aile des Colibris, dont le vol est accompagné d’un bruit qui ressemble à un bourdonnement. L’aile des Accipitres nocturnes, qui doit être silencieuse, offre une disposition différente. Ces oiseaux ont des rémiges larges ; mais leur tige, délicate et souple, n’a que des barbes lâches et molles. Les premières pennes même présentent cette particularité que, du côté interne, les barbes, au lieu d’être couchées à plat les unes sur les autres, se séparent vers le milieu de leur longueur, sont disjointes et onduleuses à leur extrémité, et laissent largement passer l’air. Aussi ces ailes, qui frappent l’air très-lentement, ne font entendre aucun bruit, et ne produisent, même de près, que la sensation d’un léger courant d’air. Enfin, la faculté qu’a leur tête énorme de se tourner facilement sur les vertèbres cervicales, permet à ces oiseaux myopes d’embrasser tout l’espace et de diriger leur face vers le dos sans le moindre mouvement du corps.

Tous les oiseaux de cette famille ont le plumage teinté de couleurs douces, de gris, de brun, de blanc et de roux plus ou moins vif. Quelques grosses espèces du cercle arctique deviennent complétement blanches, comme le Gerfaut des mêmes contrées.

Les Strigidés se trouvent répandus dans toutes les parties du monde, et il y a quelque chose de si mystérieux dans leurs habitudes, qu’ils ont généralement prêté partout à la superstition. Le peuple considérait autrefois le Hibou comme un oiseau de mauvais augure. C’était une ancienne coutume, en Angleterre, de lui faire la chasse la veille de Noël. De nos jours, quelques personnes croient encore que l’apparition soudaine d’un Hibou est un présage de mort pour la maison dans laquelle se trouve un malade. On commence heureusement à faire justice de ces préjugés ridicules, et l’on ne peut les expliquer que par ce qu’il y a de lugubre dans des cris nocturnes de cet oiseau et par ses mouvements silencieux, lorsque, comme un fantôme, il glisse dans l’air, et disparaît sans que l’œil ait pu le reconnaître ou le suivre. Et cependant, à l’exception de deux ou trois grandes espèces, d’ailleurs assez rares, il n’existe guère d’oiseaux plus inoffensifs, nous dirons même plus utiles que ces spectres de la gent ailée.

Ces préjugés sont répandus dans tous les pays, et ces précieux oiseaux sont généralement regardés comme malfaisants. Parmi les peuples de l’extrême Orient, les Malais désignent les oiseaux de nuit sous les noms de Hantou et de Pongo, qu’ils donnent aussi à des êtres imaginaires de mauvais augure ou à des esprits mortifères. On les appelle encore Oiseaux de la lune, parce que la superstition trouve que leurs cris ont pour but de faire paraître cet astre, puisqu’ils cessent de les faire entendre dès qu’il paraît, comme si leur silence dans ce cas dépendait de la satisfaction de leurs désirs. Les Indiens de l’Amérique du Sud les envisagent autrement, au dire de M. Morelet. Ils appellent l’oiseau de nuit Buho. Le Buho connaît tous les trésors cachés ; il peut enrichir son maître, le guérir de la maladie et lui gagner le cœur de la jeune fille qu’il aime. Une fois en possession du merveilleux oiseau, on doit l’entourer de soins très-attentifs ; car si sa mort résulte d’un mauvais procédé, ou même d’une négligence, elle est suivie de grands malheurs ; mais, pour s’en emparer dans de bonnes conditions, il faut un concours de circonstances rares.

Les Accipitres nocturnes ne prennent généralement pas la peine de se construire un nid ; car les quelques heures pendant lesquelles la plupart d’entre eux peuvent s’aventurer hors de leur refuge, le soir et le matin, sont absorbées par la chasse, et il ne leur reste pas un instant à employer à la recherche des matériaux nécessaires à la formation d’une aire pour leur progéniture. Ils déposent leurs œufs dans des trous, sur les vieux arbres, dans les ouvertures des murs, sur les tourelles et dans les ruines. Certaines espèces, qui nichent vers la fin de l’hiver, sont réduites à s’approprier quelquefois les anciens nids de Corbeaux, de Corneilles et de Pics. En éclosant, les petits sont couverts d’un duvet blanchâtre, épais et très-long. Ils mangent seuls assez promptement ; mais ils ne quittent le nid que lorsqu’ils sont en état de voler et de se procurer quelque aliment. Si l’on vient à les forcer à prendre leur essor pendant le jour, ils ne font que de courtes volées, et se jettent bien vite dans les branches les plus touffues d’un arbre, d’un taillis, ou dans quelque enfoncement de rocher, où ils attendent la nuit pour sortir. C’est le plus souvent cette situation critique qui attire autour d’eux les petits oiseaux du voisinage. Le premier de ceux-ci qui s’aperçoit de leur vol dérobé jette un cri d’alarme qui suffit pour réunir en un instant tous les autres ; et alors, à l’envi, ils accablent leur ennemi de leurs cris insultants. Surpris ainsi en plein jour, les nocturnes répondent à leurs assaillants par des attitudes très-curieuses : on les voit balancer lourdement, de droite à gauche, leur tête seule ou tout le corps à la fois, souffler horriblement, faire parfois craquer fortement leur bec, suivant que l’ardeur ou le nombre des combattants augmente, et enfler singulièrement toutes les plumes du corps, notamment des ailes, comme pour mieux réussir à les effrayer en se faisant paraître plus gros. La voix des rapaces nocturnes consiste en cris étouffés, tristes et lugubres, qu’on entend de fort loin pendant le silence de la nuit.


L’espèce la plus remarquable par sa taille est connue sous le nom de Grand-Duc ; elle est assez rare en France ; cependant on la trouve dans un assez grand nombre de localités, surtout dans l’Est et le Midi, dans le voisinage des montagnes et dans les forêts de sapins. Parfois le Grand-Duc s’éloigne assez de ses retraites favorites et se laisse surprendre par le jour de manière à ne pouvoir pas regagner son gîte habituel. Mais ces excursions lui sont le plus souvent fatales, et s’il est aperçu par de petits oiseaux, leur rassemblement et leur rumeur éveillent l’attention des chasseurs et des paysans, qui ne manquent pas l’occasion de lui faire un mauvais parti. Si, en s’aventurant au premier crépuscule, les Buses, les Corbeaux, ou l’Aigle fauve, son plus cruel ennemi, viennent à l’apercevoir, ils lui livrent bataille. Les Buses, et les Corbeaux donnent l’éveil par des cris d’alarme, ils le harcèlent et fondent tour à tour avec impétuosité jusque près de lui comme pour lui fermer la retraite ; mais le Grand-Duc résiste à ces assaillants avec tant de courage et d’opiniâtreté qu’il les force à se retirer. Ceux-ci, d’ailleurs, comprennent que c’est l’heure à laquelle ce rapace recouvre tous les avantages inhérents à son genre de vie nocturne : la vue, l’adresse et la force, et qu’il y aurait témérité de leur part à prolonger leurs assauts.

L’Aigle fauve ou royal livre aussi de terribles combats au Grand-Duc, quand il le rencontre dans les rochers ou dans les forêts. L’Aigle, qui provoque toujours, se jette avec violence sur cet adversaire. Le Grand-Duc, dont le courage et la force ne le cèdent guère à la puissance de l’Aigle, résiste vivement à ses assauts ; il sait même les parer en enflant singulièrement ses pennes alaires et en lui lançant de violents coups de serres. Ce combat, qui dure souvent plusieurs minutes, devient quelquefois funeste à tous les deux. Des voyageurs dignes de foi ont été témoins, il y a déjà plusieurs années, rapporte M. Bailly, d’un de ces combats, qui se livra sur un roc boisé qui borde la route principale de Moutiers, en Savoie. Ils ont vu ces deux rapaces, après s’être vivement meurtris à coups de serres, de bec et d’ailes, s’élancer brusquement l’un sur l’autre, s’enfoncer leurs serres si profondément dans les chairs, qu’ils ne purent les en retirer, et périrent sur place, épuisés de fatigue et de blessures. Les dépouilles de ces deux oiseaux furent, quelques jours après, envoyées en France par deux des spectateurs du combat.


3. — Chouette chevèchette. Strix passerina. Linné. T. 0m 16. Europe.

4. — Chouette caparacoch. Strix funerea. Gmelin.
T. 0m 38. Islande. Laponie.

5. — Chouette harfang. Strix nyctea. Linné T. 0m 54. Cercle arctique. Terre-Neuve.

6. — Chouette lapone, Strix lapponica. Retzius.
T. 0m 60. Laponie. Groenland.

Le Grand-Duc d’Europe, quoi qu’en dise Toussenel, est loin d’être le destructeur le plus acharné du Lièvre, de la Perdrix et de tout le menu gibier ; il s’accommode fort bien des rongeurs ou fouisseurs nocturnes, tels que Taupes, Mulots, etc. Aldrovande dit cependant de ces oiseaux, dont les dimensions approchent quelquefois de celles de certains Aigles, qu’ils pourvoient si abondamment à la nourriture de leurs petits, qu’une personne qui demeurerait près de leurs nids pourrait se procurer de bons morceaux, tels que des Levrauts et des Lapins, en partageant loyalement avec la nichée.

Le Grand-Duc de Virginie ou de Magellan enchérit encore sur ces chasses princières. Son morceau de prédilection, vers les rives de l’Ohio et du Mississipi, est le Dindon sauvage, qui pèse, en moyenne, de cinq à dix kilogrammes, et qu’il transporte au loin, malgré ce poids énorme. Les Dindons domestiques, qui juchent dans l’intérieur des fermes, ne sont même pas à l’abri des coups de main de ce larron ; et l’on sait qu’un ménage de Grands-Ducs un peu chargé de famille est le meilleur auxiliaire qu’un propriétaire de Lapins, embarrassé de ses richesses, puisse employer pour éclaircir la population de sa garenne.


7. — Hibou petit-duc. Strix scops. Linné. T. 0m 17. Europe.

8. — Hibou moyen-duc. Strix otus. Linné. T. 0m 35. Europe.

9. — Chouette tengmalm. Strix Tengmalmi. Gmelin. T. 0m 20. Europe. Alpes suisses.

10. — Chouette chevêche. Strix psilodaclyla. Linné. T. 0m 24. Islande. Europe.

Le Grand-Duc, si redoutable dans l’agression, ne l’est pas moins dans la défense. Les ongles rétractiles dont ses doigts sont armés font des blessures aussi terribles que la dent du Renard et la griffe du Chat sauvage. Ils se rejoignent à travers les chairs, à l’aide d’une puissance incroyable de contraction musculaire, et percent les guêtres de cuir et les empeignes les plus résistantes du soulier du chasseur.

Il fallait deux ou trois Faucons, et des Faucons de la plus grande espèce, pour lier cet oiseau dans les airs, et ce vol était une des scènes les plus curieuses de la fauconnerie. L’oiseau chasse, au lieu de fuir en ligne droite, multiplie les ascensions et les culbutes, ne cherchant qu’à prendre le dessus sur ses adversaires, de manière à les saisir par le dos. Blessé d’un coup de feu dans les ailes et forcé de s’abattre, il imite le stratagème du Blaireau assailli par de nombreux ennemis et décidé à vendre très-chèrement sa vie. Il se renverse sur le dos, attend les Chiens, la serre ouverte et haute, et exécute avec son bec une sorte de moulinet à quatre faces qui protège tout son corps. Tous ses mouvements étranges sont accompagnés de roulements d’yeux féroces et d’une espèce de jeu de castagnettes avec son bec. Cet organe est en effet mobile dans ses deux parties, comme le bec des Perroquets ; et c’est par la facilité de ces deux mouvements que les nocturnes font si souvent claquer ainsi leur bec. Pour prouver la supériorité : de cette défense, il suffira de dire que Toussenel a vu plus d’une fois le chien d’arrêt le plus impétueux se calmer spontanément à la vue des préparatifs de défense du Grand-Duc, et devenir très-prudent.

Les fauconniers se servaient autrefois du Grand-Duc pour attirer le Milan : on attachait au nocturne une queue de Renard, pour rendre sa forme plus extraordinaire ; il volait à fleur de terre, et se posait dans la campagne, sans se percher sur aucun arbre ; le Milan, qui l’apercevait de loin, arrivait jusque sur lui et laissait aux chasseurs le temps de lui jeter deux ou trois Faucons.

Dans le voisinage des grandes faisanderies, on place généralement un Duc dans une cage élevée sur un poteau, pour attirer les oiseaux de proie, et permettre au garde de les détruire à coup sûr. Le Grand-Duc est aussi employé pour la chasse à divers oiseaux. L’oiseleur l’attache à un pieu planté dans le sol, et se cache à une petite distance, dans une hutte de terre pourvue de meurtrières. Bientôt les Corbeaux, les Pies, les Faucons, etc., s’assemblent en troupe autour du captif, et se livrent ainsi eux-mêmes au plomb du chasseur.

Le Grand-Duc se soumet assez bien à la captivité : on sait que c’est, de tous les nocturnes, celui que les marchands ambulants, préfèrent pour fixer l’attention des passants, on obtient même de lui, en certains cas, une véritable domestication. Il sort de la maison de son maître et va s’établir à peu de distance, sur le haut d’une cheminée ou, au milieu des branches d’un arbre touffu ; puis il revient chaque fois qu’on l’appelle par le nom auquel on l’a habitué et quand il veut manger. Si un inconnu pour lui veut l’agacer, il commence par enfler ses ailes et toutes ses plumes d’une façon vraiment curieuse ; il tourne lourdement la tête et tout le corps à la fois à droite et à gauche, en soufflant horriblement et en faisant claquer son bec. Enfin, il lance à celui qui l’approche des coups de bec et de serres. On peut, lorsqu’il est bien apprivoisé, le laisser jouir d’une assez grande liberté. Une paire de ces magnifiques oiseaux existait encore, il y a une dizaine d’années, à Arondel-Castle, comté de Sussex, dans une condition peu différente de l’état de nature. Ils habitaient un espace considérable, bordé par les murs du donjon, murs épais, couverts de lierre, et dans les profondes fissures desquels ils se retiraient pendant le jour, et d’où ils sortaient quand venait le soir. Ces animaux, dans leur prison, avaient accompli les devoirs de l’incubation et élevé leurs petits : seul exemple, croyons-nous, d’oiseaux de proie nocturnes couvant en captivité ; car des tentatives semblables n’ont jamais réussi, pas plus au Jardin des Plantes de Paris qu’au Jardin zoologique de Londres, qui compte cependant tant de succès en ce genre.

Frisch raconte qu’il a eu deux fois des Grands-Ducs vivants, et qu’il les a conservés longtemps ; il les nourrissait de chair et de foie de bœuf, dont ils avalaient souvent de fort gros morceaux. Lorsqu’on jetait des Souris ou des Rats à ces oiseaux, ils leur brisaient les côtes et les autres os avec leur bec, puis ils les avalaient. Quelques heures après, ils rejetaient par le bec une pelote composée des poils et des os non digérés. À défaut d’autre pâture, ils mangeaient des poissons, et rejetaient après une pelote composée des arêtes et des écailles. Ils ont vécu sans boire, et cette observation s’applique aussi à quelques autres oiseaux rapaces diurnes.

La domesticité cependant n’adoucit pas toujours les mœurs sauvages de cet oiseau ; témoin le fait suivant, rapporté par Toussenel : Un procureur du roi de l’Aveyron nourrissait un Grand-Duc, il y a de cela près de vingt ans. Des gens de la campagne lui apportent deux jeunes de la même espèce couverts encore de leur premier duvet. Le magistrat confia à tout hasard l’éducation de ces jeunes prisonniers à son pensionnaire, qui était un mâle, et qui s’acquitta des devoirs de sa charge avec un zèle tout maternel et digne d’un meilleur sort ; car le premier essai que les deux élèves, parvenus à l’adolescence, firent de leur force, fut de tuer le père nourricier pendant son sommeil et de le dévorer. Bientôt après, le plus fort des deux, la femelle, tua son frère, et le mangea sans considération. Le procureur, effrayé de tant de perversité dans un âge aussi tendre, et ne pouvant plus désormais supporter la vue de la scélérate Duchesse, s’en défit en faveur d’un savant de ses amis qui habitait Toulouse, et qui était précisément en quête d’une épouse pour un jeune mâle qu’il avait élevé. La présentation se fit sous les plus favorables auspices ; mais l’habitude est une seconde nature, et il n’y avait guère à espérer que celle qui avait débuté dans la vie par le parricide et le fratricide reculât devant un nouveau crime. En effet, elle saisit la première occasion de tuer son époux. L’histoire ajoute qu’elle ne jouit pas longtemps du fruit de ses forfaits, et qu’elle mourut peu de jours après son dernier attentat, non de remords, mais d’un boyau de veau trop long qu’elle ne put avaler, et qui l’étouffa.

Le Grand-Duc donne souvent la preuve de son attachement pour ses petits. Le docteur Stanley, évêque de Norwich, parle d’une paire de ces oiseaux qui portaient toutes les nuits une pièce de gibier à un de leurs petits pris et mis en cage. De jeunes Ducs, qui étaient assez familiers pour recevoir la nourriture de la main de leur maître, perdirent un jour toute cette familiarité, et l’on attribua ce changement à ce que la cage de ces oiseaux avait été suspendue, pendant la nuit, en dehors de la fenêtre, et à ce que leurs parents étaient venus leur apporter quelque nourriture au crépuscule. Un autre exemple, rapporté par le docteur J. Franklin, de la même sollicitude maternelle, vient confirmer cette supposition. Un gentilhomme suédois résidait dans une ferme située au pied d’une montagne sur le sommet de laquelle deux Grands-Ducs avaient fait leur nid. Un jour du mois de juillet, un des jeunes ayant quitté le nid fut pris par des domestiques. Cet oiseau était déjà couvert de plumes, mais le duvet se montrait encore. Le jeune Duc fut enfermé immédiatement dans une grande cage à poulets. Le lendemain matin, à la grande surprise des gens de la ferme, on trouva une belle Perdrix morte qui gisait devant la cage. Elle avait été apportée par les parents de l’oiseau, qui avaient sans doute chassé durant la nuit au profit de leur enfant perdu. C’était bien la vérité, car de nuit en nuit, pendant deux semaines, cette marque d’attention fut renouvelée par les pourvoyeurs invisibles. Le gibier si mystérieusement déposé à la porte de la cage consistait surtout en Perdrix pour la plupart nouvellement tuées ; une fois pourtant ce fut un Coq de bruyère, et une autre fois encore les débris d’un agneau. Le gentilhomme suédois et ses domestiques veillèrent pendant plusieurs nuits, se tenant en observation à une fenêtre, afin de voir quand et comment ces provisions étaient apportées ; mais en vain : il paraît que les Ducs attendaient le moment où la surveillance des guetteurs était en défaut, car la nourriture fut trouvée comme à l’ordinaire devant la cage. Au mois d’août, la providence nocturne qui nourrissait le jeune captif cessa ses attentions. On peut voir par cet exemple la quantité de gibier que peut détruire cette grande espèce de Duc.


Le Moyen-Duc, qui est notre Hibou commun, a des habitudes bien différentes : il rôde autour des habitations ; il fréquente les greniers, les granges et les hangars. À l’approche du crépuscule, ces oiseaux s’élancent de l’endroit où ils perchent et battent les champs, les plaines, les haies avec la plus grande attention. On les voit fondre de temps en temps, avec une rapidité de vol et une sûreté de coup d’œil extraordinaire, sur leur gibier, qu’ils saisissent et qu’ils dévorent aussitôt. Ils ne prennent même pas la peine de le déchirer avec leurs griffes. Si pourtant ils ont des jeunes, ils emportent la proie dans leurs serres, et leur adresse, en ce cas, est extraordinaire. Cette proie consiste surtout en Souris. Il est à remarquer qu’au moment d’arriver au nid, ces oiseaux font passer leur proie des serres au bec pour pouvoir se servir de leurs pattes. La nourriture du Moyen-Duc ne se borne pas à des Souris : il vit aussi de Campagnols, de Grenouilles, de Crapauds, et même de divers insectes de tous les ordres.

Le Moyen-Duc est très-commun en France, et il y est sédentaire, tandis que le Grand-Duc ne se montre généralement que pendant l’hiver. On s’en sert avec succès pour la chasse à la pipée, ainsi que d’autres espèces plus petites. Pris jeune, le Moyen-Duc s’apprivoise facilement. Un des amis du docteur Franklin avait un de ces oiseaux aussi familier qu’un chat, et il ne pouvait descendre dans sa cave sans être suivi par ce fidèle compagnon. Il connaissait son nom et venait recevoir la nourriture de la main de son maître.


Le Hibou Brachuyote ou à aigrettes courtes recherche moins habituellement que le Moyen-Duc le voisinage de l’homme ; il préfère, pendant l’été, les lieux montagneux et boisés à l’intérieur des villes et des villages, où se plaisent plusieurs autres nocturnes ; il n’aime pas à se tenir dans les bois de haute futaie, mais plutôt dans les carrières, dans les ruines, et, surtout en automne, à l’époque de ses migrations, dans les jeunes arbres verts, les taillis et les broussailles ou sur le bord des grands bois. Il se retire même sur les terres cultivées, dans les buissons qui bordent les marais et les rivières, et jusqu’au milieu des joncs et des roseaux, où les chasseurs le surprennent quelquefois occupé de la recherche des Grenouilles. Il se laisse approcher au point de ne partir qu’aux pieds du chasseur et au nez des chiens qui l’arrêtent ; Il se nourrit aussi de petits poissons qu’il tire de l’eau avec ses serres ou qu’il trouve morts sur les bords des fossés et des rivières, et ne néglige pas les Rats, les Souris et les Campagnols, dont il fait une grande consommation.

Le Brachyote est remarquable par ses habitudes presque diurnes et terrestres, et par son mode de nidification, qui varierait selon les localités. Ainsi, en France et en Savoie, il se retire dans les antres, les anfractuosités des rochers, les crevasses des bâtiments en ruine et situés dans le voisinage des lacs, des étangs, des torrents et des prairies marécageuses, autour desquels il séjourne pour y chasser une bonne partie de la nuit. La femelle dépose ses œufs sur la pierre, sur le gravier ou sur la terre, quelquefois dans les nids abandonnés des Cresserelles et des Corbeaux. Dans le Nord, et notamment en Irlande, il niche exclusivement dans des trous à terre. Le capitaine Portloch a publié sur cet oiseau quelques observations faites en 1837 par le capitaine Neely pendant ses excursions pour dresser la carte de l’Irlande. Cette espèce, dit M. Portloch, montre des habitudes particulières qui tracent entre elle et ses congénères d’Europe une ligne de démarcation assez prononcée. La pointe de Magilligan, qui forme le rivage de Derry, à l’embouchure du Longh-Foyle dans la mer, est semée à son extrémité de nombreuses collines de sables où les Lapins creusent des terriers et où les oiseaux aquatiques font leurs nids. Mais ici les terriers sont souvent habités par des Brachyotes. Ces oiseaux apparaissent régulièrement en automne, et on les aperçoit à l’entrée des terriers, au fond desquels ils se réfugient quand on les inquiète. Cette observation intéressante, et dont aucune ornithologie européenne ne parle, rappelle un fait semblable que l’on croyait exclusivement particulier à une espèce de Chouette de l’Amérique, la Chouette à terrier (Noctua cunicularia). Cette Chouette est très-répandue sur le continent américain, soit au nord, soit au midi, quoiqu’on la rencontre seulement dans les parties du Nouveau Monde qui conviennent à son genre de vie. Son nom dérive de la nature des retraites qu’elle préfère. Les autres oiseaux de cette famille recherchent uniquement les endroits retirés dans les bois, les forêts, les édifices en ruine ; la Chouette dont il s’agit aime, au contraire, à demeurer dans les plaines ouvertes, en compagnie d’autres animaux
11. — Hibou Grand-Duc. Strix lubo. Linné. T. 0m 60. Europe.
remarquables par leurs dispositions sociables. Au lieu de planer mystérieusement au crépuscule du soir ou du matin pour se retirer ensuite dans son repaire, cet oiseau aime la franche lumière du soleil et le milieu de la journée. Il vole alors rapidement pour chercher sa nourriture ou suivre son bon plaisir, puis il retourne alors à sa demeure souterraine. S’il ne se creuse pas positivement de terrier, comme la Marmotte de prairie, il occupe ceux qui ont été creusés par les Tatous et les Viscaches.

Ces Chouettes ont été observées par Molina, par d’Azara, par d’Orbigny et par M. Gay ; si on les surprend dans le voisinage de leurs terriers, ou elles s’envolent seulement à quelque petite distance, ou elles s’enfoncent au fond des trous, d’où il est ensuite très-difficile de les déloger.

Un voyageur anglais, le capitaine sir Francis Head, observa aussi ces Chouettes vivant en compagnie des Viscaches dans les Pampas de l’Amérique du Sud. « Vers le soir, dit-il, les Viscaches se tiennent hors de leurs terriers, avec un air sérieux comme des philosophes ou des moralistes, graves et réfléchis. Mais, pendant la journée, les ouvertures des gîtes souterrains sont gardées par des Chouettes qui ne quittent pas leur poste. Pendant que les voyageurs galopaient dans la plaine, elles continuaient leur faction, les regardant passer, et hochant, les unes après les autres, leurs têtes vénérables d’une manière presque ridicule à force d’être solennelle. Lorsque les cavaliers passaient très-près d’elles, les sentinelles perdaient beaucoup de leur air de dignité et se précipitaient dans les trous. » « Cette association, dit le docteur Franklin, entre des animaux d’une nature si différente, a lieu de fixer l’attention des naturalistes. »

Cette Chouette, que d’Azara nomme Urucurea, marche avec agilité et à pas précipités ; c’est, de tous les oiseaux de nuit, le moins nocturne ; on le voit presque à toute heure hors de sa demeure souterraine, qu’il partage avec sa femelle et sa couvée. Aussitôt que les petits sont assez forts, ils arrivent à l’ouverture du terrier pour se tenir au soleil, et ne tardent pas à chercher un autre trou pour se loger. Quelquefois cette Chouette se perche sur les troncs d’arbres brisés, jamais ailleurs. Les Rats, les Grillons et d’autres insectes forment le fond de sa nourriture. Le même voyageur a vu quelques oiseaux de cette espèce que l’on élevait dans les maisons ; on les y nourrissait avec de la chair crue, et il a observé qu’ils refusaient de manger de la viande cuite et de la graisse. Une autre espèce de l’Amérique du Nord, Strix hypogœa, niche dans les terriers des petits rongeurs connus sous le nom de Spermophiles.

Nous avons vu le Moyen-Duc et le Brachyote se nourrir accessoirement de poissons. Il est une autre espèce, le Kétupu de Ceylan, qui, par ses mœurs et ses habitudes, représente, parmi les Rapaces nocturnes, le Balbuzard, dont nous parlerons dans un prochain numéro. Avec les deux aigrettes caractéristiques du groupe, cet oiseau a le tarse nu et granulé du Balbuzard et pêche comme celui-ci. C’est ce que sont venues confirmer les observations du major Hodgson. Les Kétupus fréquentent souvent en effet les bords des rivières : aussi les poissons et les Crabes entrent-ils pour une grande part dans leur nourriture. Les caractères extérieurs de ces oiseaux leur donnent l’aspect d’une Effraie qui aurait des aigrettes.


LES TROIS RÈGNES DE LA NATURE
lectures d’histoire naturelle.

31 Novembre 1864.
No 53. — 15 centimes.

Ce Recueil paraît une fois par semaine. — On s’abonne à Paris, à la Librairie L. Hachette et Cie, boulevard Saint-Germain, No 77. Les abonnements se prennent du 1er  de chaque mois. — Paris, six mois, 4 fr. ; un an, 8 fr. : — Départements, six mois, 5 fr. ; un an, 10 fr.

Suite des Oiseaux de proie nocturnes. — L’Effraie, utilité de cet oiseau.

« Sur les ruines d’un vieil édifice auquel se rattachaient des traditions historiques, je fis élever une tour carrée, large d’environ quatre pieds, et fixai dans la maçonnerie un gros chêne dépouillé de son feuillage. D’énormes masses de lierre recouvrent maintenant cette construction. Un mois environ après que l’ouvrage était terminé, un couple d’Effraies vint y établir son domicile. Je menaçai d’étrangler le garde-chasse, si désormais il s’avisait de molester ces oiseaux, et j’assurai la ménagère que je prenais sur moi-même la responsabilité de toutes les maladies, de tous les sorts et de toutes les catastrophes que les nouveaux locataires pourraient 1. — Chouette rousse. Strix rufa. Gould. T. 0m 26. Australie. 2. — Chouette hulotte. Strix aluco. Linné. T. 0m 40. Europe.
3. — Chouette chevêchette. Strix passerina. Linné. T. 0m 47. Europe.
attirer sur les habitants du village. Elle fit une profonde révérence comme pour dire : « Monsieur, je me soumets à votre volonté et à votre bon plaisir ; » mais je lus dans ses yeux qu’elle s’attendait à des choses terribles et monstrueuses. Dans sa pensée, tous les fléaux allaient fondre sur nos terres. Je ne crois pas que depuis ce jour-là jusqu’à la mort de la vieille, qui arriva pour elle à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans, elle ait jamais regardé avec plaisir les Effraies volant sur les sycomores qui croissaient près de la vieille tour en ruine. Lorsque je vis que le premier essai avait si bien réussi, je formai d’autres établissements. Cette année 1836, j’ai eu quatre couvées, et j’ai la confiance d’en obtenir neuf l’été prochain. Ce sera là un bel accroissement, et mes élèves seront à même de prendre la place des Chouettes, qui, dans mon voisinage, sont encore condamnées à mort par la cruauté et la superstition. Nous pouvons maintenant avoir toujours l’œil sur les Chouettes dans leur habitation sur la vieille porte en ruine, de quelque côté que nous choisissions notre point de vue. Sur cette ruine est fixée une perche située à environ un pied du trou dans lequel entrent les Effraies. Quelquefois, au milieu du jour, lorsque le temps est couvert, vous pourriez voir sur ce belvédère une Chouette qui semble se rafraîchir à la brise. Cette année encore un couple d’Effraies a élevé ses jeunes dans un sycomore à côté de la ruine. Si cet utile oiseau prenait sa nourriture pendant le jour, au lieu de chasser pendant la nuit, on aurait pu s’assurer par ses yeux que la Chouette, bien loin d’être nuisible, rend, au contraire, d’immenses services en faisant la guerre aux Souris. Elle eût alors été protégée et encouragée partout. La Chouette eût été parmi nous ce qu’était l’Ibis chez les Égyptiens, un oiseau sacré. Lorsqu’elle a des jeunes, elle porte une Souris au nid environ toutes les douze ou quinze minutes. Mais, pour avoir une idée de l’énorme quantité d’animaux malfaisants que détruit cet oiseau, il faut examiner les pelotes qu’il rejette de son estomac dans l’endroit qui lui sert de retraite. Chaque pelote contient de quatre à cinq squelettes de Souris. En seize mois, depuis que le logement des Chouettes a été élevé sur ma vieille tour, il a été déposé plus d’une mesure de ces pelotes. »


4. — Chouette caparacoch. Strix funerea. Gmelin. T. 0m 38. Cercle arctique.
5. — Oreille de moyen-duc.
 
6. — Hibou petit-duc. Strix scops. Linné. T. 0m 17. Europe.
7. — Effraie de Java. Strix javanica. Gould. T. 0m 34. Java. 8. — Hibou ascalaphe. Strix ascalaphus. Vieillot. T. 0m 47. Afrique.
9. — Chouette de l’oural. Strix uralensis. Losson. T. 0m 57. Cercle arctique.

Nous pouvons confirmer ce fait par nos propres observations. Depuis près de vingt ans que nous étudions les habitudes de l’Effraie sur les individus dont nous favorisons la conservation et la multiplication dans nos ruines de Saint-Jean, nous n’avons jamais trouvé dans ces boulettes ou plutôt dans ces pelotes que des têtes complètes et des restes de Rongeurs ; car cela ne se borne pas à des Souris : il s’y trouve des Mulots ou des Musaraignes, et, chose remarquable, pas la moindre trace d’oiseaux. L’Effraie attaque et enlève aussi les Rats. « Un soir, dit le docteur Franklin, je me tenais sous un hangar où je venais de tuer un gros Rat au moment où il sortait de son trou. Je ne le relevai point, espérant avoir l’occasion de tirer un autre coup de fusil sur un second Rat. Pendant ce temps, une Effraie fondit sur lui et s’envola, emportant la victime.

« On a dit que cet oiseau prenait des Poissons. Il y a quelques années, par une belle soirée de juillet, longtemps avant l’obscurité, je me tenais debout sur le milieu d’un pont et je surveillais avec une lorgnette les mouvements d’une Chouette au moment où elle venait d’apporter une Souris dans son nid : soudain je la vis plonger perpendiculairement dans l’eau. Croyant qu’elle était tombée là par suite d’une attaque d’épilepsie, ma première pensée fut d’aller quérir le bateau ; mais immédiatement j’aperçus la Chouette qui sortait de l’eau avec un Poisson dans ses serres, et elle le porta dans son nid.


10. — Chouette harfang.

11. — Chouette Tengmalm.

12. — Chouette nébuleuse.

13. — Chouette boobook. Strix boobook. Gould. T. 0m 26. Australie.

14. — Hibou brachyote.

15. — Chouette caparacoch.

16. — Chouette hulotte.

17. — Chouette nébuleuse. Strix nebulosa. Forster. T. 0m 48. Amérique septentrionale.

18. — Chouette chevêche. Strix psilodactyla. Linné. T. 0m 24. Europe.

19. — Chouette lapone. Strix lapponica. Retzius. T. 0m 60. Laponie.

« Lorsque les fermiers disent que l’Effraie détruit les œufs de leurs Pigeons, ils posent, comme on dit proverbialement en Angleterre, la selle sur le mauvais cheval ; ils devraient la placer sur le Rat. Autrefois j’avais très-peu de Pigeons ; mais, depuis que les Rats ne peuvent plus pénétrer dans le colombier et que j’ai détruit cette peste vivante, mes Pigeons ont produit chaque année en abondance, et cela, malgré les Effraies qui fréquentent le colombier. Je les y encourage même de toutes mes forces. L’Effraie ne s’introduit dans la demeure des Pigeons que pour s’y reposer ; elle leur demande simplement le toit et le couvert ; elle n’y vient point avec de mauvaises intentions ; elle s’y cache, voilà tout. Si la Chouette était réellement un ennemi du colombier ou même un hôte suspect, les Pigeons nous l’indiqueraient par leur émoi et par leur fuite, tandis qu’il est constaté qu’ils n’y font aucune attention, et leur calme en est la preuve la plus positive ; mais qu’un Épervier ou tout autre véritable oiseau de proie fasse son apparition, et soudain toute la bande de Pigeons se lève à la fois et manifeste la plus grande frayeur. »

« Jusqu’à ces derniers temps on avait toujours établi une distinction entre le cri et la huée des Chouettes. Il n’y a qu’une espèce de Chouette qui hue, et, lorsque je me trouve dans les bois après le départ des braconniers, environ une heure avant le point du jour, j’entends, avec un extrême plaisir, les notes perçantes, claires et sonores de cet oiseau, qui résonnent de près ou de loin à travers la montagne ou la vallée. Le cri de l’Effraie est bien différent de ces notes. On peut entendre ici ce dernier oiseau crier perpétuellement sur la tour et sur le grand sycomore qui se trouve près de la maison. Il crie également lorsque le clair de lune brille sur la vallée silencieuse et lorsque la nuit est sombre et nuageuse. Cette voix des nuits, toute triste qu’elle est, n’a rien de désagréable pour les oreilles qui aiment les grandes harmonies de la création. La nature n’étant que la réalisation extérieure des idées et des sentiments qui sont en nous, le cri de la Chouette répond aux notes brisées et lamentables de notre cœur. Je suis amplement récompensé de mes peines pour protéger et encourager les Effraies. Cet oiseau me paye cent fois de mes soins et de ma bonne volonté par l’énorme quantité de Souris qu’il détruit pendant l’année. Les domestiques de mon cottage ne désirent plus le persécuter. Souvent, par un beau soir d’été, je vois avec délice les villageois s’attarder autour du sycomore, afin de jeter un regard sur l’Effraie au moment où cet oiseau quitte le lierre de la tour. Heureuse mon amie la Chouette, si au lieu de s’exposer elle-même au danger des excursions dans le reste du pays, elle se contentait de passer les nuits dans ma tranquille vallée ; car ici le père de la nature, qui a pitié de moi, m’a appris à avoir pitié de tous les autres êtres vivants.


20. — Hibou grand-duc.

21. — Petit-duc.

22. — Effraie.

23. — Effraie. Strix flammæ. Linné.

24. — Hibou moyen-duc.

25. — Hibou ascalaphe.

26. — Chouette chevêche.

« Les fermiers finiront peut-être par être convaincus qu’ils ne doivent pas s’en prendre à l’Effraie de certaines disparitions de volailles et de Pigeons, et que les services si hautement vantés d’un Chat contre les Rats et les Souris sont loin de valoir ceux que leur rend cet utile et vaillant oiseau. Aussi y a-t-il lieu d’espérer qu’il arrivera enfin à obtenir la protection et l’encouragement auxquels il a des droits incontestables. » L’exemple du docteur Franklin a été suivi par les fermiers du comté de Sussex, et il serait à désirer que les fermiers de notre belle et riche France fussent aussi bien inspirés.

O. Desmurs.