Ohé ! l’artiste/Texte entier

Tresse & Stock (p. np-139).

HENRI BEAUCLAIR

OHÉ ! L’ARTISTE
PARIS
TRESSE & STOCK
Libraires-Éditeurs
8, 9, 10, 11, galerie du théâtre-français
PALAIS-ROYAL
1887
Tous droits réservés



        Il a été tiré à part, de cet ouvrage, dix
exemplaires sur papier de Hollande numé-
rotés à la presse.


L’ÉCLOSION

I


Tu n’es pas honteux de rentrer à trois heures du matin ? Dis ? Réponds ! Hein ? Les cafés ferment à onze heures. Où peux-tu aller ? Chez des filles ? C’est dégoûtant ! Va te coucher !

Et Jean Picot, que son père, en chemise, un bougeoir à la main, dans l’encadrement de la porte ouverte sur le palier, admonestait de la sorte, entra dans sa chambre en haussant les épaules.

— Nous n’en ferons rien de bon, dit le père, en se coulant entre les draps, auprès de sa femme.

Mme Picot, qui sommeillait, ne répondit rien. Son mari en fut fâché.

— Oh ! d’ailleurs, tu le soutiens, tu trouves pain bénit tout ce qu’il fait. Mais tu verras !

Et, tout en bougonnant, il s’endormit, pendant que Jean, penché sur la table, notait ses impressions de la journée.

Jean avait appris que certains hommes de lettres ne manquaient pas de faire ainsi, avant de se coucher. Et il écrivait fiévreusement, cherchant des phrases poétiques, inventant, embellissant, laissant courir son imagination.

Qu’avait-il fait ce soir-là ? Il était allé après dîner chez son ami Varrée.

Ils avaient lu ensemble divers volumes de vers que Varrée avait fait venir de Caen.

Puis il avait dit une pièce composée dans la matinée, aux bords de la Dives. Ensuite, s’était promené seul dans les rues de Saint-Pierre-sur-Dives.

Mais quelle bonne farce il avait jouée à Varrée ! Étant arrivé, à force de lire Les Nuits, de Musset, à les pasticher passablement et, ajoutant une Nuit de Février au calendrier de ces imitations, il l’avait lue à son ami qui, peu sagace, l’applaudit, lorsqu’il la lui donnait comme une œuvre posthume et inédite du poète. Varrée s’était pâmé devant ses vers en y trouvant des beautés. Picot en concluait qu’il était un grand poète, ce qu’il n’avait osé penser jusqu’alors, étant modeste.

— Et moi aussi, je suis poète !

Et se rappelant des détails de l’enfance de nos grands hommes, appris dans leurs souvenirs, une de ses lectures préférées, il convenait que de pareils événements avaient marqué ses années de collège. N’était-ce pas un Signe ? Et n’était-il pas prédestiné ?

Tout jeune, à quatre ans, il avait de remarquables dispositions, ainsi que disaient les Frères. Les Ignorantins, dans les petites villes, faisaient alors des visites de maisons en maisons, quelques jours avant la fin des vacances, ils cherchaient, dans les ménages, un enfant en âge de commencer ses classes, et quand ils l’avaient trouvé, lui offraient des bonbons, causaient avec les parents, les complimentaient sur leur progéniture et demandaient s’ils songeaient à lui apprendre à lire. Le bambin était toujours trouvé charmant et intelligent, jamais trop jeune. Car il fallait le soustraire à l’école primaire.

Et Jean, dès l’âge de quatre ans, apprenait l’alphabet à l’école chrétienne. Il gardait un bon souvenir de ces maîtres qui pendant sept ans l’avaient instruit. Chez eux, il remportait tous les seconds prix.

À onze ans, il concourait avec succès pour une place de boursier au lycée de Caen. Son père, petit marchand de porcelaines et accessoires de ménage, n’avait pas vu d’un bon œil cet éloignement du toit paternel, mais Mme Picot était flattée de ce triomphe, jalousé par les mères des camarades et dont se réjouissaient les frères — le concurrent de l’école primaire ayant échoué.

Jean devait faire ses classes de français. Mme Picot, ambitieuse, désirait que son fils fût médecin. Les frères lui firent comprendre que Jean devait apprendre le latin. Jean, pendant les vacances, ayant pris quelques leçons avec un des ignorantins qui avait séjourné au séminaire, jusqu’à son diaconat, put, grâce à la protection du recteur de l’académie, un brave curé, enfreindre les règlements et entrer en septième dès son arrivée au lycée.

Le latin, le grec et l’histoire l’intéressèrent, mais, bien qu’il eût une grande facilité, Jean ne put comprendre un théorème. Une discussion avec le professeur de mathématiques, qui l’avait traité d’âne, le dégoûta du lycée, et il déclara nettement que, l’examen de grammaire, passé à la fin de sa quatrième, suffisant pour être officier de santé, il s’en tenait là.

Son père n’était pas fâché de cette décision, trouvant la science inutile, et surtout, voyant arriver le moment où, les quatre années de gratuité obtenues par le concours, expirées, il lui faudrait payer pour Jean, ce que monsieur le maire crachait pour son fils, — des sommes folles.

Mme  Picot voulut bien croire ce que lui disait Jean. Puisque cela lui suffisait pour être M. le docteur ! Officier de santé ou médecin ? Point de différence.

Et Jean devait retourner à Caen dans quelques jours pour étudier la médecine.

Cela, c’était sa vie visible, celle que tout le monde connaissait. Mais, sa vie intérieure, cachée à tous, avec une inconsciente pudeur, que son tact naturel lui conseillait de voiler, voilà ce qu’il se rappelait en ce moment.

D’abord, son enfance : Il avait souvenir de son grand-père, un vieillard sec, plein de rides, avec un air doux et triste. Que c’était loin !

Jean allait souvent se promener avec grand papa, sur la route d’Orbec. Bien loin, bien loin, à petits pas, tous deux marchaient, jusqu’à une auberge à façade rose, entourée de salles vertes ; des bancs et des tables en chêne, sous un dôme de verdure, un jeu de quilles étaient dans la cour. Là se trouvaient pendant la semaine les soleils, gens employés à la halle, ne travaillant que le matin, qui passaient l’après-midi à boire et à chanter avec des filles en cheveux.

Le grand-père s’asseyait sur un banc et demandait à la servante une bouteille de cidre qu’il buvait à petits verres, en faisant goûter à Jean qui trouvait ça bien meilleur que chez lui.

Puis, Jean allait voir de plus près les joueurs de quilles, pendant que le grand-père regardait passer les voitures, sur la route, en causant avec des vieux comme lui.

On rentrait à Saint-Pierre-sur-Dives, à l’heure du dîner, et, avant d’arriver à la maison, le grand-père ne manquait point de dire : « Surtout, Jean, ne raconte pas que nous sommes allés chez Joséphine ! » Joséphine était la patronne du cabaret.

Combien ce lointain souvenir lui était doux, du grand-père, un homme, autrefois presque riche, puis, presque malheureux — parce qu’il était trop bon !

Plus tard, de cinq à dix ans, Jean avait été envoyé, pendant les vacances, chez un oncle — Regallard, dit Lasuie, — un frère de sa mère, qui demeurait au Billot, un petit village à trois heures de Saint-Pierre-sur-Dives.

On devait hériter du vieux propriétaire, épicier retiré des affaires, et, pour lui faire plaisir, les Picot lui confiaient le petit Jean, qu’il aimait beaucoup, aimant à dire que, plus tard, ce serait lui qui mangerait ses rentes, Jean étant fils unique et les Picot seuls héritiers.

Au Billot, Jean avait passé de bons jours, courant dans les herbes hautes, pêchant dans les ruisseaux, cueillant des fleurs, mangeant des fruits aux arbres et revenant chaque soir, fatigué, crotté, heureux, à la ferme.

L’oncle Regallard était affligé d’un nez énorme, rouge et bourgeonné, semblable à une belle fraise. Ce nez déplaisait à Jean, à ce point qu’en rentrant, toutes les bonnes impressions du jour s’effaçaient. Jean allait se coucher, boudant presque l’ancien épicier, qui s’en étonnait ; au fond, il se traitait d’ingrat, mais n’y pouvait rien.

Plus tard étaient venues les années de collège. Cette vie claustrale ne l’avait pas ennuyé. Jean travaillait assez pour n’être pas puni, mais ne se fatiguant point trop, dévorant tous les volumes qu’il trouvait. Un élève avait un énorme dictionnaire. Jean le lui empruntait et le lisait constamment. De la sorte, il avait appris beaucoup, bourrant sa tête de mots, de définitions et de citations, grâce à une mémoire sûre. L’intuition chez lui aidait au savoir. Il était, comme intelligence générale, bien supérieur à ses camarades qu’il fréquentait peu, ne jouant pas et restant dans un coin de la cour pendant les récréations, n’aimant ni les exercices violents qui l’essoufflaient, ni la gymnastique, ni les courses, mais simplement les marches du jeudi, à condition que ce fût en pleine campagne.

Il ignorait la femme et l’immoralité précoce de certains de ses compagnons ne l’avait pas gagné.

Les vacances, pendant cette époque, ne se passaient plus chez l’oncle Regallard, mais chez ses parents. Là, son esprit délicat avait souvent été froissé. Les compliments bêtes des amis de sa famille le faisaient rougir. Son père et sa mère qu’il aimait certes, et de qui il était aimé, ne soupçonnaient pas chez lui une telle sensibilité.

Un soir qu’il venait de lire un volume : la Mère, dont l’héroïne souffre de ses fils méchants, il fut pris d’un besoin de tendresse, et alla dans le magasin où Mme Picot faisait les comptes de fin de mois ; il s’approcha d’elle et, caressant, l’embrassa. La mère, arrêtée au milieu d’une addition, lui dit brusquement : « Tu m’ennuies ! Tu me déranges ! » Il ne répondit pas, mais alla pleurer dans un coin.

Quand il redescendit, il avait les yeux rouges. Ce qui fut remarqué. Comme il ne voulait pas avouer la cause de sa peine, son père le traita « d’original et d’idiot. » Ç’avait été un des chagrins de sa jeunesse. Il y avait dix ans de cela !

Et ce soir encore, pour un rien, parce qu’il était rentré un peu tard, son père l’avait malmené ! Lui qui allait sur ses dix-sept ans ! Il n’était pourtant plus un gamin !

Son cœur bondissait. Le sang congestionnait sa face. Sentant une chaleur lui monter au front, Jean se regarda dans la glace et, avec complaisance, s’y arrêta, trouvant qu’il avait quelque ressemblance avec lord Byron. Même regard, même teint… pas tout à fait cependant, il était un peu trop rosé. Seuls, les cheveux n’étaient point ceux du poète. Il se dit qu’il les laisserait pousser.

Alors, il ouvrit la fenêtre, car il étouffait.

La chambre donnait sur un jardin potager, au fond duquel une haie s’élevait, le séparant de la route d’Orbec. La maison, située à l’extrémité de la ville, était presque en pleine campagne.

Jean, qui avait allumé une pipe, s’accouda sur la barre d’appui et songea. L’été finissait. Des odeurs de foin venaient de la côte, en face, plus pénétrantes pendant cette nuit orageuse. Au ciel, passaient de gros nuages gris, à travers lesquels s’épandait faiblement une clarté.

Jean regardait la route, claire entre les haies sombres. Un passant attardé s’éloignait, rhythmant sa marche avec un bâton qui sonnait sur les cailloux, et les roquets réveillés poussaient des jappements, repris de loin en loin, à chaque ferme. Son chien, dans le jardin, après avoir aboyé longuement, rentra dans la niche, en agitant la chaîne qui roula sur le bois avec un bruit lugubre. Puis, un froissement de paille remuée.

Et, plus un bruit. Le vent soufflait doucement dans les arbres. Jean frissonna. Le froid le saisissait, en même temps que la tristesse lui emplissait le cœur. Hé quoi ! Tous ses beaux rêves avorteraient peut-être ! Il avait peur de vivre au milieu d’êtres mesquins, lui qui se découvrait, sans pouvoir les préciser, des besoins d’activités et de grandeurs. Il comprenait que c’était peut-être absurde, mais pourquoi une ambition inavouable l’avait-elle pris ainsi ? Ne sentait-il pas autrement que tous ceux qu’il fréquentait ? Il se dit : Je serai quelqu’un.

Avec un geste de comédien il tendit le bras vers la vallée, dans la direction de Paris, dont il voyait, certes, le flamboiement, et il dit :

— C’est là qu’il faut aller !

— Jean ! Jean ! Vas-tu bientôt te coucher !

Il tressaillit. Dans son exaltation, il avait parlé haut et le père Picot s’était réveillé.

II

Jean suivait les cours d’anatomie. Il avait accepté de faire sa médecine, parce que cet état ne lui déplaisait point, entrevoyant une vie de loisirs et d’occupations intelligentes. Il aurait refusé de passer ses jours derrière un comptoir ou de se livrer à un travail manuel. Mais le médecin est un Monsieur dans une petite ville. L’artiste, le littérateur et le savant lui paraissaient les seuls hommes dignes d’intérêt dans la société. Le médecin est un savant.

Il s’était dit que la médecine ne prendrait pas tout son temps. Rien ne l’empêcherait de continuer ses études littéraires, ni surtout de se livrer aux Muses.

Jean avait arrêté déjà, en pensée, l’installation de la maison qu’il habiterait :

Un petit hôtel avec perron et quatre fenêtres de façade ; au milieu une porte donnant sur un couloir. À droite serait l’habitation du médecin, à gauche celle du poète.

Le cabinet de consultation serait tendu d’étoffes vert-sombre. Un grand bureau dans un coin, un fauteuil, deux chaises et un canapé large et bas, formeraient l’ameublement. Le long des murs, tout autour, seraient placés des rayons chargés de volumes scientifiques, avec reliure à bon marché, dos en toile noire et lettres en or. L’aspect en serait simple, imposant, sévère et de bon goût.

Quant au cabinet du poète, il y songeait avec amour ! Oh ! le délicieux réduit ! Aux fenêtres, des vitraux de couleurs vives, avec lamelles de plomb, des portières taillées dans une tapisserie ancienne ; le plafond peint en bleu, chargé de fleurs de lis ; les murs tendus d’étoffes rouges ; quelques tableaux copiés de l’école espagnole ; des armures et des panoplies ; la Vénus de Milo, une grande table Louis XIII ; un fauteuil en chêne, de même style ; des divans couverts d’étoffes d’Orient ; des brûle-parfums ; un râtelier de pipes ; sur le parquet on étendrait des nattes du japon ; enfin, dans un coin, serait dressée une vieille armoire normande, haute de deux mètres, dont il percerait à jour les panneaux, remplacés par une glace sans tain, à travers laquelle on pourrait voir une belle collection de romantiques, première édition, de chez Reuduel, tous les volumes reliés en maroquin bleu, avec coins et ferrure à ses initiales et tranches coloriées en rouge.

L’homme double qu’il était serait confortablement installé. Puis, précaution symbolique, la salle à manger, qui se trouverait au fond du couloir, aurait entrée également sur le cabinet du médecin et celui du poète.

Et sa vie serait charmante. Le matin, les visites aux malades, lecture des journaux de médecine pour se tenir au courant des découvertes nouvelles ; puis, la consultation. Toute la prose de sa vie.

De là, il passerait dans la salle à manger pour déjeuner.

Au moment de prendre le café, il entrerait dans le cabinet du poète, pour s’étendre sur le divan, fumer, boire quelques liqueurs, rêver en lisant ses chers volumes. Toute la poésie de son existence.

Jean avait pris ce parti pour une bonne raison. Le père Picot n’était pas riche — un millier de francs de rentes, tout au plus — mais, quand mourrait l’oncle Regallard, la fortune s’augmenterait de trois mille francs de rentes et de la jouissance de la maison-ferme du Billot. Alors seulement, Jean pourrait vivre selon ses anciens rêves. Mais il ne songeait que rarement à cette époque, que, d’ailleurs, il désirait lointaine. Jusqu’alors il lui fallait bien travailler pour vivre.

Les poètes, il le savait — d’après des lectures — gagnent peu d’argent et son bon sens lui faisait comprendre que le riche seul peut entrer dans la société en chantant. Tout autre peut craindre la misère.

Jean la redoutait, sans que pour cela il eût l’intention de maudire le sort sur sa naissance dans une famille peu fortunée.

La médecine ne l’empêchait point de se livrer à la littérature, elle lui assurait l’existence matérielle et ses désirs mal définis de célébrité n’étaient point contrariés par cette dualité de vie.

— Le Dante, se disait-il, était apothicaire et Rabelais fut médecin.

III

— Enfin, tu peux donc rentrer chez toi à l’heure qu’il te plaît ! dit le père Picot à son fils qu’il était venu voir dans sa nouvelle installation.

— Je n’en abuse pas, répondit l’étudiant en médecine.

— Es-tu content ? Travailles-tu bien ? Ce sera long. Quatre ans ! Nous faisons des sacrifices pour toi. Je compte bien que tu nous en récompenseras. Ta mère sera bien contente le jour où tu seras médecin. Quant à moi, tu sais que j’aurais mieux aimé te voir chez nous, prendre la suite de mes affaires. Mais tu as visé haut. Ça te regarde. Enfin ! comme on fait son lit, on se couche, tâche de bien réussir.

Le père Picot n’était pas satisfait. Pendant quatre années, il lui faudrait payer une pension de cent francs par mois à l’étudiant. Cent francs, cela fait une somme ! Ses rentes y passeraient et même un peu plus. Il ne pourrait rien mettre de côté. Les affaires allaient mal. Heureusement, l’oncle Regallard avait proposé de compléter, avec cinquante francs qu’il enverrait à Jean, chaque mois, la somme nécessaire à l’entretien d’un jeune homme, en province.

Quand M. Picot l’eut quitté, Jean sourit. Ainsi, son père n’avait trouvé que cela à lui dire ! Pas un encouragement ! Pas un mot aimable ! Mais des reproches presque. Il lui faisait sentir la valeur du sacrifice ! Il lui rappelait son existence dans la famille. Rentrer à l’heure qu’il lui plaisait ! Mais parbleu, chose curieuse, depuis qu’il était son maître, il rentrait régulièrement chez lui après la fermeture du café. Jamais après onze heures du soir.

Son existence actuelle ne lui déplaisait point.

Le jour de son retour à Caen, d’anciens amis du lycée, étudiants, comme lui, l’avaient emmené au café du Grand Balcon et, dès cette soirée, Jean était initié à la vie des étudiants de province.

Le matin, on suivait les cours à l’hôpital ; à onze heures, on prenait l’apéritif ; à midi, déjeuner à la table d’hôte d’un hôtel. À une heure, on revenait au Grand-Balcon siroter un café suivi de petits verres, de bocks absorbés pendant des parties de billard ou de piquet continuées jusqu’à cinq heures. Alors on prenait l’apéritif pour le dîner qui se faisait à sept heures, suivi du café, des liqueurs, des bocks et du jeu jusqu’à la fermeture de l’établissement.

Jean vit, dès le début, à quelles dépenses se livraient ses camarades. Parmi ceux-ci, plusieurs n’avaient guère plus de pension que lui. Ils accumulaient les dettes, à l’hôtel et au café, gardant pour monnaie de poche l’argent envoyé par la famille. Les dettes seraient payées par la famille après les examens.

Jean savait trop bien qu’il n’obtiendrait pas un sou de son père, même après ses examens, et était trop soucieux de sa tranquillité pour faire des dettes. Il suivait ses camarades partout où ils allaient. Au Grand-Balcon, il se contentait de prendre son café après le déjeuner et le dîner, sans y ajouter d’eau-de-vie ni de bocks. Quant aux apéritifs, il les refusait, sous prétexte qu’ils lui enlevaient l’appétit.

Mais, le soir, dans la fièvre des parties engagées, Jean, qui regardait les joueurs et marquait les points, prenait gratuitement sa part des tournées. Sa seule préoccupation était de savoir qui attraperait la culotte.

Quelques étudiants, après boire, parlaient de faire une visite à une maison, restée ouverte après les cafés, dans une rue déserte, près du fort, où l’on pouvait continuer à boire jusqu’au matin. Jean quittait alors la bande et rentrait seul.

— Ah ! ce Picot ! il n’a pas de tempérament ! disait un de ses amis.

Les journées se succédaient dans cette monotonie. Le dimanche, comme il n’y avait ni cours, ni visites à l’hôpital, Jean faisait la grasse matinée, puis, arrivait au Grand-Balcon pour y retrouver les étudiants, à l’heure du madère.

S’il faisait beau temps, la bande allait jusqu’au canal. Des barques étaient louées et, pendant l’après-midi, les canotiers allaient de l’un à l’autre des cabarets situés au bord de l’eau. Jean ne ramait jamais, craignant les ampoules. Il se contentait de tenir la barre, ce qui lui permettait de songer à son aise. Son imagination s’éveillait alors et, à la tombée du jour, quand la flottille rentrait à Caen, le soleil couchant teignant de rose les toits et les clochers de la ville normande, Jean se croyait transporté à Venise, sur une gondole du Grand Canal.

— Ohé ! l’artiste, tu vas nous faire chavirer !

Jean donnait parfois des coups de barre maladroits, oubliant sa fonction, dans son innocente rêverie.

Quelques cousettes ou modistes, invitées aux parties de campagne, se moquaient de l’artiste, à cause de sa timidité avec les femmes. Mais, il dédaignait les bonnes filles aux mains rouges et piquées. Ne vivait-il pas toujours en compagnie des Elvire, des Graziella, des Pepa, des Beatrice de ses lectures ? Il avait fait le serment de ne donner son cœur et son amour qu’à celle qui doit compter dans la vie de tout grand homme, et que, fatalement, il rencontrerait un jour.

Les étudiants le sentaient supérieur à eux. Bien qu’il eût peu d’éloquence, il s’exprimait correctement, avec facilité et, une question d’art ou de littérature étant soulevée, il s’aidait de sa mémoire pour placer à propos les phrases du Larousse ou d’une chronique lue autrefois. Comme Paris était le rêve de sa vie, il dévorait tous les journaux du café, depuis le Figaro jusqu’au Tintamarre. Et il connaissait tous les potins du boulevard, le nom de tous les gens de lettres, journalistes, comédiens et femmes galantes, s’intéressant aux succès, aux intrigues de gens dont il connaissait, disait-il, le caractère, d’après la physionomie. Car il avait distrait quelque argent de ses dépenses, pour acheter un stock de photographies, trouvé, par hasard, chez son bouquiniste.

IV

Ah ! c’est trop fort, s’écria le père Picot ! Quel vaurien ! Regarde ça !

Et il tendit à sa femme une lettre qu’il venait de lire. Blême, il s’élança vers le comptoir de l’autre côté duquel sa femme comptait une pile d’assiettes.

Dans sa précipitation, le marchand de porcelaines heurta du bras un échafaudage de verres qui roulèrent à terre en se brisant avec un fracas qui fit sortir de son échoppe le cordonnier d’en face.

Sa colère augmenta :

— Je te l’avais dit que nous n’en ferions rien et c’est de ta faute ! Avec tes idées de gloriole, tu l’as lancé dans les grandeurs. Tu as voulu en faire un médecin ! Tu n’en feras qu’un voyou !

Mme Picot, qui n’écoutait pas son mari, lisait la lettre et, à mesure qu’elle tournait les feuillets, rougissait. Des larmes lui coulant des yeux, elle tira son mouchoir.

Jean annonçait à sa famille qu’il ne continuait pas la médecine, pour laquelle il n’avait aucune vocation. Il voulait faire de la peinture !

En voilà une idée ! Peintre ! Où a-t-il pu prendre ça ! C’était bien la peine d’avoir dépensé tant d’argent à lui faire apprendre le latin ! reprit Picot. Tout ça ne va plus lui servir à rien du tout. Et les livres de classe qui encombrent le grenier ! Qui est-ce qui a bien pu lui donner cette idée-là !

V

Mme Picot était désolée. Son rêve d’avenir était brisé ! Elle avait voulu faire de son fils un monsieur, lui assurer une situation honorable et l’ingrat lui brisait ainsi le cœur.

Elle en connaissait, des peintres. À Saint-Pierre-sur-Dives, deux individus avaient passé un mois, pendant la dernière saison. Elle les avait vus en allant au Billot, sur le bord de la route, assis sur des pliants et peignant sur des toiles un mètre de cailloux. En voilà une occupation ! Ils étaient vêtus de vestons de velours, comme des charpentiers, coiffés de chapeaux mous, débraillés. Et quels noceurs ! Ils avaient révolutionné le bourg pendant qu’ils y séjournaient. La patronne de l’hôtel, où ils étaient descendus, les jeta à la porte un soir qu’ils avaient eu le toupet d’amener des filles de Caen et de faire dans leur chambre un bacchanal à tout scandaliser. Une orgie, quoi !

Ah ! le beau monde qu’il allait fréquenter son cher Jean ! Artiste ! lui ! Voilà ce qui lui avait tourné la tête : ses lectures ! Il passait des journées à feuilleter des collections de journaux illustrés et à lire des romans. Ah ! si les parents pouvaient prévoir tout cela !

Et ce qui la chagrinait le plus, c’est qu’elle voyait dans quelle vie de misère allait tomber l’Artiste. Tous des crève-la-faim, ces gens-là ! Avait-on idée d’un projet pareil !

Elle songeait, bouche ouverte. Ses yeux humides fixaient un angle du comptoir.

— Quand tu resteras là sans bouger, dit son mari brusquement, ça ne nous avancera pas. Qu’est-ce que tu penses de ça ! Ah ! oui, pleure maintenant ! Je vais lui répondre, attends un peu ! Il n’aura pas un liard de notre argent. Et il a le toupet de croire que je vais continuer à lui envoyer cent sous par jour, pour faire un métier de fainéant !

Le père Picot s’assit au comptoir et se mit à écrire pendant que sa femme montait à sa chambre en pleurant.

VI

Jean attendait impatiemment la réponse à sa lettre. Il n’était pas sans inquiétude sûr ce qui allait advenir de la décision, prise brusquement, presque sans réflexion.

Un soir qu’il étudiait l’anatomie, dans sa chambre, feuilletant les planches coloriées, il avait été pris d’une idée subite. Une vraie révélation !

Parbleu ! ce qu’il serait ? Peintre. Il comprenait merveilleusement la structure du corps humain. Ses cahiers de notes étaient chargés de reproductions anatomiques d’une correction absolue. Il avait là une carrière toute faite et pour laquelle il était certainement né. Tout jeune, il griffonnait, sur les murs, des bonshommes au charbon. En classe, il s’amusait à croquer les têtes des professeurs et des élèves. Et il n’y avait pas songé plus tôt ?

Il devait être un grand homme. Il le savait, mais ignorait dans quelle branche. Eh bien ! il venait de le découvrir : il serait un grand peintre. Peintre d’histoire, à la David.

Les études complémentaires seraient courtes. Pas d’anatomie à apprendre. Il la connaissait déjà ! Quant à sa littérature, elle lui serait précieuse. Ce qu’il allait rouler tous ces rapins, qui font des œuvres sans idées et sans métier, ainsi appréciées d’après les comptes rendus des Salons.

Restait à savoir si le père Picot comprendrait la valeur de la découverte qu’il venait de faire. Peut-être la famille se regimberait-elle. Ça s’est vu souvent. Mais, il lutterait !

Encore un point de ressemblance avec les grands hommes, dont la plupart ont eu les débuts difficiles et qui mangèrent de la vache enragée !

Mais qu’importe ! il était certain d’arriver ! Et alors, comme la famille serait glorieuse ! Le père Picot, forcé de convenir qu’il avait eu tort d’entraver la vocation de son fils, se mettrait à ses genoux !

Ainsi allait son imagination, toujours un peu trop vive.

VII

Hé bien, mes enfants, dit Regallard, en entrant chez les Picot, comment va la santé ? Mal ? Vous êtes joliment bons de vous faire du chagrin. Mon cher, je viens vous voir à cause de Jean. Écoutez, en deux mots, vous faites une bêtise en refusant de faire ce qu’il veut.

Picot se récria. Mais Regallard le prit par le bras :

— Vous savez que je l’aime beaucoup, l’héritier, je ne lui veux que du bien. Il est venu hier au Billot et m’a tout raconté. Voyant que vous ne lui répondiez pas, l’inquiétude l’a pris, avec la peur de vous avoir fâchés. Je suivrais ses projets, il a cent fois raison. Il est resté à la maison aujourd’hui, mais il viendra vous voir demain.

— Il peut bien rester où il est. La mère l’a déjà perdu avec ses toquades de grandeur, vous le gâtez trop.

Picot était respectueux avec le rentier et n’osait lui dire ce qu’il pensait de son intervention dans cette affaire.

— Hé bien, reprit Regallard, je trouve, moi, qu’il n’est pas fait pour travailler, comme nous toute sa vie. Il faut qu’il soit plus heureux que ses parents. On lui a donné de l’instruction, il veut en profiter et il a bien raison.

Mais Picot revenait à la charge déclarant que Jean serait médecin, ou bien qu’il reviendrait chez lui, pour vendre de la porcelaine. Sa femme ne disait rien.

— Mon parti est pris, conclut l’oncle, je paierai la moitié de ce qu’il lui faut. Et il ira à Paris !

— À Paris ! cria Mme Picot ! à Paris !

Elle n’avait pas songé à cela ! Non seulement il brisait sa carrière, son Jean, mais encore, voulait aller loin d’eux, dans cette ville où il ne connaissait personne et qu’elle avait en horreur.

— Mais oui ! à Paris ! disait l’oncle. Ah ça ! croyez-vous qu’il n’y ait en France que Caen et Saint-Pierre-sur-Dives ! Vous me faites rire, tous deux, ma parole. Vous ne savez pas ce que c’est qu’un peintre !

— Des crève-la-faim ! répondit Picot.

— Mais non, pas des crève-la-faim !

Et, tirant de sa poche un journal, l’oncle montra à Picot ébahi le compte rendu d’une vente de tableaux, où les prix de chaque toile variaient de dix à vingt mille francs.

Jean lui avait communiqué cette pièce qui plaidait fort en faveur de ses idées. L’oncle devenait plus pressant.

— Jean ira à Paris et, dans deux ans, trois ans, il exposera au Salon. Une médaille, la croix. Jean m’a expliqué tout ça ! Et puis, d’ailleurs, ça sera moins long que la médecine. Il a encore trois ans à faire à Caen, en admettant même qu’il ne rate pas ses examens. De plus, il ne pourra pas s’établir avant ses vingt-cinq ans. En trois ans d’études, à Paris, il deviendra un peintre gagnant plus d’argent en un an qu’un malheureux médecin n’en gagne en dix, à Saint-Pierre-sur-Dives ! Il me l’a prouvé, clair comme le jour. Allons ! laissez-vous faire. D’ailleurs c’est sa volonté bien décidée. Il est dégoûté de la médecine. Il trouve que c’est du charlatanisme. Ah ! il m’en a raconté de belles là-dessus ! Voyons, vous décidez-vous ?

Le père Picot ne répondait rien, craignant de froisser l’oncle qui paraissait tenir à gagner la partie.

— Qui ne dit mot consent ! Allons, Jean viendra demain vous voir et partira après-demain pour Paris !

Le lendemain, Jean, après un dîner d’adieux auquel assistait le père Regallard, attendait à la gare le train qui devait l’emmener.

Son père, sa mère et son oncle lui firent quelques recommandations.

— Tu tiens à t’en aller ? dit Picot, c’est bien décidé ? Tu crois que tu ne ferais pas mieux de rester à la maison et de prendre ma place ?

— Nous allons être bien seuls, maintenant que tu t’en vas, reprit sa mère.

— Il ne faut pas contrarier une vocation, fit l’oncle sentencieux. Je t’ai aidé dans tes projets. Mais, je suis sûr de toi. Va, l’héritier, et porte-toi bien !

À l’appel d’un employé, Jean s’arracha aux embrassement de sa mère et monta dans un wagon de troisième où il se trouva seul.

Il était étonné de ne pas se sentir plus heureux, à ce moment où il réalisait un rêve longtemps caressé. La liberté ! il l’avait, complète ! ses parents avaient presque consenti à son départ. Il croyait qu’il rencontrerait plus de difficultés. Et son cœur n’éclatait pas de joie ?

— En est-il ainsi de tous les projets réalisés ? se dit-il.

Et une larme lui vint aux yeux, vite refoulée.


LE PEINTRE

I


Il se fiche de moi, ce vieux serin, murmura Jean, lorsque le peintre Duranna, son maître à l’école des Beaux-Arts, lui recommanda de venir plus fréquemment à la salle des Antiques et de copier les grands modèles.

Jean ne s’attendait pas à cette monotonie des débuts. Hé quoi ? toujours copier des bras, des torses, des jambes, depuis six mois qu’il était là.

Pourquoi ne pas lui faire dessiner des nez, comme à l’école primaire ? Son anatomie ? Il la connaissait mieux que son professeur. Les lignes ? Il les avait toutes dans l’œil. Et la peinture ? Des ânes, ces professeurs, et des idiots, les élèves qui les écoutaient.

Ces rapins, frais sortis du collège, affectant des airs voyous, et trouvant spirituelles des farces sans nom, ne l’intéressaient que médiocrement. Tous les jours, c’étaient à l’atelier des charges, dont il était victime en sa qualité de nouveau. Avec ses poings solides, il aurait taloché ces galopins, mais il dédaignait d’user de ce moyen.

Non, il ne s’attendait pas à cette vie stupide des premières années de l’école. Et il était bien décidé à la quitter. C’est ce qu’il fit.

Jean achèterait des toiles et des couleurs. Il louerait un atelier à bon marché, vers Montparnasse. Et, sans autre maître que les grands peintres morts, dont il irait souvent voir les œuvres au Louvre, il travaillerait, libre de faire à sa convenance.

Le Salon était là, n’est-ce pas ? Le public et les artistes le jugeraient.

Mais, en ce moment, il ne fallait pas songer à l’atelier.

Les premiers mois de séjour à Paris lui avaient coûté cher. Il avait trouvé, rue Jacob, un mastroquet qui lui faisait crédit pour sa nourriture, et, bien malgré lui, Jean avait dépensé son argent en livres, en cigares, en journaux, en dessins, en habits et en courses de voitures.

Il fallait bien qu’il s’habillât plus élégamment qu’à Saint-Pierre-sur-Dives, qu’il lût les plus récentes productions littéraires et qu’il connût toutes les rues de ce Paris qu’il conquerrait.

Depuis sa sortie de l’école des Beaux-Arts, Jean menait un train de vie qui plaisait à sa paresse. Il se levait à dix heures du matin, déjeunait, puis, après le café pris, en lisant les journaux, commençait ses courses dans Paris.

En sortant de la rue Jacob, il allait sur les quais, où les étalages des bouquinistes le retenaient quelque temps ; puis, en passant sur les ponts où des attroupements se formaient, il s’arrêtait pour voir des gens baignant des chiens. Son amour de la flânerie l’invitait à descendre sur la berge, et il marchait lentement, chauffé par le soleil, étonné de voir couchés, au bord de l’eau, des hommes déguenillés, dont la misère l’intéressait et dont il pressentait les mœurs, s’amusant à bâtir un roman et reconstituer une vie sur une physionomie. Parfois, il prenait le bateau et descendait au bout du parcours, à Bercy ou au Point-du-jour.

Ce dernier endroit lui plaisait davantage, parce que là il retrouvait la campagne. Il suivait les fortifications et poussait jusqu’au bois de Boulogne, longeait les allées fréquentées par le monde élégant et revenait à pied par l’avenue des Champs-Élysées, la rue Royale et les boulevards. Si quelque affiche de théâtre attirait ses yeux, il décidait de l’emploi de sa soirée et allait jusqu’aux cafés fréquentés pour prendre l’absinthe.

Il avait souvent eu le désir d’entrer à Tortoni, où il savait que se réunissaient nombre de Parisiens connus, mais une timidité le retenait et il restait sur la terrasse. En prenant son absinthe, il se nommait tout bas les gens qui allaient et venaient et qu’il connaissait d’après son stock de photographies.

Après le dîner, avalé à la hâte, dans quelque restaurant à vingt-cinq sous, Jean allait prendre la queue à un théâtre où il se plaçait au parterre. Le Français, la Porte-Saint-Martin, l’Opéra-Comique étaient les seules scènes qui lui plaisaient. L’Opéra l’ennuyait ; au Palais-Royal, on ne jouait que des pièces dont la fantaisie exubérante choquait son bon sens, et les opéras-bouffes, joués sur les petits théâtres, lui semblaient une insulte à l’art sacré.

D’autres journées se passaient à flâner aux Tuileries, au Luxembourg, pendant l’après-midi. Deux fois seulement, il était allé visiter le musée du Louvre, mais il avait été étonné de constater que la peinture l’y intéressait moins que les collections égyptiennes. Il était resté de longues heures à rêver devant les sphynx et les momies, songeant à ces civilisations disparues.

Une mélancolie douce s’était emparée de lui.

Depuis quelque temps, Jean, qui ne connaissait personne à Paris, avait, non pas la nostalgie de son pays, mais une très légère souffrance de sa solitude et, sans regretter d’avoir quitté sa famille, il se surprenait à désirer qu’il pût être à la fois à Paris et à Saint-Pierre-sur-Dives. Il était pris des besoins de tendresse, écrivant à sa mère et à son oncle des lettres courtes mais où de la douceur chantait dans les mots. Jean ne parlait point de la peinture, ni de ce qu’il faisait, mais simplement, il renouvelait l’assurance de ses succès futurs et disait à ses parents combien il serait alors heureux du bonheur dont il les entourerait.

L’oncle répondait : « Travaille, l’héritier, travaille et tu nous feras plaisir. »

La mère n’avait qu’une formule. « Je veux bien croire tout ce que tu nous dis, mais j’ai bien peur que tu ne réussisses pas et peut-être tu aurais mieux fait de rester à la médecine. Enfin, j’espère et t’embrasse comme je t’aime, ainsi que ton père, qui est bien triste, depuis ton départ. »

Jean recevait régulièrement son mois.

Il était peintre ! Et pourtant il n’avait pas encore touché un pinceau. Il avait gardé, dans un carton, toutes ses études au crayon, faites à l’école des Beaux-Arts. Sa boîte à tubes, sa palette et ses pinceaux, achetés à son arrivée à Paris, étaient déposés dans un tiroir de la commode. Il aurait bien barbouillé quelques toiles, dans sa chambre, copié des natures mortes, mais ne valait-il pas mieux attendre qu’il eût un atelier, bien éclairé, pour commencer le travail. Dans cette chambre d’hôtel meublé, sombre, triste, donnant sur une cour étroite et sale, il n’avait pas de cœur au travail.

Quand il aurait de l’argent, il prendrait des modèles, et, du coup, accoucherait d’une œuvre à effet qu’il avait composée pendant ses insomnies. Il faut débuter carrément. Il était peintre d’histoire, il ferait, sur une toile de sept mètres de large sur quatre de hauteur :

Tamerlan guidant les Tartares à la conquête du Khoraçan

Voici le sujet à traiter :

« Tamerlan, à cheval (entouré d’un brillant état-major), contemple l’égorgement, qu’il a ordonné, de deux mille vierges, que les habitants ont envoyées à sa rencontre pour le fléchir. »

Jean y mettrait toute la poésie de l’Orient.

II

Une lettre arriva, un matin, de Saint-Pierre-sur-Dives :

« Mon cher fils,

« Voilà un an que nous ne t’avons pas vu. Je m’ennuie bien. Tu n’as donc pas de vacances à l’école des Beaux-Arts, que tu ne nous parles pas de venir nous voir ? Je sais bien que tu es à Paris où tu te plais et que tu ne tiens peut-être pas beaucoup à venir à Saint-Pierre-sur-Dives, mais il me semble que tu ne dois pas nous oublier.

« Pour les sacrifices que nous faisons, tu nous dois bien d’être gentil avec nous. Tu viendras, d’autant plus que ton père est un peu souffrant, car il t’aime beaucoup au fond et serait bien content si tu réussissais. Ton oncle aussi voudrait te voir.

« À ce propos, il a parlé à M. Darel, qui est le maire de Saint-Pierre-sur-Dives et il lui a dit que tu étais peintre. M. Darel a dit que nous avions eu tort de ne pas le prévenir.

« S’il avait su cela, il nous a dit qu’il aurait fait quelque chose pour nous, que voilà. Il aurait fait voter par le conseil municipal une somme qui te permettrait de travailler tes études, ça se fait toujours pour les peintres, paraît-il. Ton père compte que tu ne manqueras pas de venir.

« En faisant le portrait de M. Darel, pour qu’il voie ce que tu sais, il fera voter l’argent par le Conseil. Ce sera une bonne économie pour nous. C’est entendu, tu viendras passer quinze jours à Saint-Pierre-sur-Dives. Nous t’attendons.

« Ta mère qui t’aime. »

Jean resta songeur.

— Hé bien, l’artiste ! Vous vous êtes décidé à quitter la capitale ? dit le maire de Saint-Pierre-sur-Dives à Jean, qui venait lui faire une visite.

— Mais, monsieur le maire, je ne pouvais manquer d’accourir à votre aimable proposition.

— C’est tout ce qu’il y a de plus simple, comment donc ! J’ai toujours aimé les artistes dont les productions embellissent la vie. Tenez, encore dernièrement, j’ai acheté ces deux toiles-là, pour garnir ma salle à manger. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Jean regarda :

— Mais ce sont deux chromolithographies !

— Je ne sais pas, j’ai acheté ça 25 francs ! Est-ce que j’aurais été volé ?

— Oh ! pas du tout ! C’est très intéressant.

L’un des tableaux représentait le Départ pour la chasse, l’autre, le Retour.

— N’est-ce pas, reprit le maire, il a bonne tête, ce chasseur qui revient bredouille ! Celui qui a fait cela n’était pas un imbécile !

— Peintre de genre, fit dédaigneusement l’artiste.

— Ah ! ce n’est pas votre partie, je sais, vous êtes peintre d’histoire à ce que m’a dit votre oncle, c’est plus relevé : Et vous avez quelque chose en train ?

— Oui, une grande machine, très grande… Un épisode de la vie de Tamerlan !

— Ah ! fit le maire, qui ne comprenait pas !… Ah ! oui, très bien. Et qu’est-ce que ça représente ?

Jean se mit à parler, décrivant son tableau : Tamerlan, à cheval, entouré d’une nuée de soldats, fait égorger deux mille vierges…

— Diable ! fit le maire, vous y allez bien ! Un gaillard, ce Tamerlan ! Et c’est avancé ?

— Oui, presque fini, répondit-il avec aplomb, je l’exposerai au prochain Salon.

— C’est une bonne idée, très bien, très…

Un silence se fit. Jean savait ce qu’allait lui demander le maire : faire son portrait. C’est ça qui allait l’amuser ! Il était venu là pour être agréable à ses parents, simplement. Mais, en vérité, être peintre d’histoire, rêver des œuvres gigantesques, où faire revivre une barbarie disparue, être à la fois peintre et philosophe — car son tableau serait une révolution dans l’art, — et se voir forcé de reproduire les traits de cet imbécile à face rougeaude et béate : Monsieur le maire de Saint-Pierre-sur-Dives !

Ce fut lui qui rompit le silence :

— Monsieur le maire, ce sera un grand plaisir pour moi de vous montrer ce que je peux faire. Quand serez-vous libre pour poser ?

— Ah ! votre père vous a parlé de cela ! Vraiment, j’ai trop peur de vous retenir, vous êtes bien bon, quand vous voudrez…

Le maire était enchanté. La tête fine et distinguée de Jean, son élocution facile l’avaient conquis…

— Ah ! quand je me rappelle vous avoir couronné, aux distributions, chez les frères ! Qui se serait douté de cela ! Et votre concours pour la bourse du lycée ! Vous avez toujours eu du succès, vous ! Et le travail est récompensé. Voyez, si vous n’aviez pas travaillé, point de bourse au lycée, point de hautes études, pas de peinture ! Et puisque nous parlons de ça, vous savez qu’à la reprise des séances du conseil, je propose une subvention pour vous. Ah ! ne vous récriez pas, il faut encourager les artistes !

Ils prirent rendez-vous pour le surlendemain et Jean commencerait le portrait de M. le maire.

Jean était sûr de lui. Les traits du modèle étaient bien arrêtés ; de gros yeux en boule de loto, le front garni de rares cheveux qu’il ramenait, une bouche large aux lèvres épaisses, de grandes oreilles, et enfin, un nez assez important, quelque peu fleuri. Il était sûr de son dessin. Quant à la couleur, il n’avait qu’à reproduire la nature.

En sortant de sa visite, Jean regarda sa montre. Il avait encore une heure à passer pour attendre le dîner. Il prit la route qui conduit à la gare, située à une demi-lieue. Le soir tombait. De larges raies rosées coupaient l’opale de l’horizon, dont les reflets couvraient de brumes violettes les arbres dans la campagne. Jean s’extasiait. Quels tons ! ah, il les comprenait bien. Quel coloriste il était ! Il n’avait pas besoin de prendre des études, lui. Mais son cerveau enregistrait tout et, le jour voulu, il sortirait ce Soir d’été de son cerveau, sans oublier la valeur d’une teinte. Tiens ! juste ! il en ferait le ciel de son Tamerlan, ce tableau qu’il commencerait dès son retour à Paris, lorsqu’il pourrait louer un atelier avec la subvention du conseil municipal.

Et, confiant en l’avenir, il rentra chez lui. La soupe fumait sur la table, dans le fond du magasin où son père et sa mère l’attendaient :

— Hé bien ! tu as vu M. Darel ?

— Oui, c’est entendu, je commence son portrait après-demain.

Et Mme  Picot eut un éclair d’orgueil dans le regard. Mais elle ne voulait pas montrer son contentement, tenant toujours à déclarer que Jean aurait mieux fait en continuant sa médecine.

III

— Oh ! vous pouvez remuer, monsieur le maire, nous ne sommes pas chez le photographe !

M. Darel, la face congestionnée par l’immobilité, fut pris d’une quinte de toux qui dura cinq minutes. Un faux col trop empesé et trop étroit lui serrant le cou, comme un carcan, et sa redingote boutonnée jusqu’au haut le gênaient.

— Voulez-vous vous reposer un moment ? fit Jean.

— C’est une idée, répondit M. Darel en quittant le fauteuil.

M. le maire vint se poser devant la toile et, après l’avoir regardée attentivement, il planta son regard fixe dans les yeux de Jean qui rougit.

— Ah ! vous trouvez, je parie, que ça ne va pas vite ! je vous l’ai déjà dit, nous ne sommes pas chez le photographe !

Ceci se passait au cours de la huitième séance. Pendant les trois premières tout avait bien marché. Jean était, en effet, assez sûr de son dessin. Il avait d’abord fait un portrait du maire, au crayon. Avec un toupet superbe, il avait déclaré que c’était la nouvelle méthode. Il ne s’agissait plus que de plaquer de la couleur. C’est ainsi, que, tout jeune, il coloriait les illustrations de son histoire de France. Mais depuis cinq jours, Jean vidait en vain ses tubes sur la palette, l’œuvre ratait, il ne pouvait se le dissimuler. Ignorant les plus simples trucs, la valeur des tons, il se livrait à une débauche de plaques criardes, râclant et ajoutant la pâte, appelant en vain l’inspiration sur laquelle il avait compté.

— Combien de séances encore ? fit M. Darel.

— Ce sera fini dans une heure, répondit Jean.

— Ah ça ! Vous me prenez pour un idiot ! cria M. le maire.

Depuis trois jours, M. Darel était inquiet. Il ne se voyait pas ainsi. Et ce barbouillage lui semblait extravagant. Comment, ce galopin avait eu le toupet de ne point se pâmer devant les tableaux de la salle à manger, les toisant avec des airs supérieurs, et il était de cette force-là ! Poli, il s’était contenu jusque-là, mais il en avait assez de passer ses habits de fête, chaque après-midi, négligeant sa mairie et désertant la pêche à la ligne, pour poser devant ce peintre de pacotille, qui lui avait fait une tête ridicule ! Il éclatait enfin !

— Voyons, reprit-il, vous ne répondez rien ! C’est tout ce que vous pouvez faire ! Attendez un peu que je vous fiche l’argent de la commune pour continuer de pareilles cochonneries ! Est-il comme ça, votre Tamerlan !

Attirés par le bruit, la servante et le jardinier étaient entrés dans le salon qui servait d’atelier.

Des rires éclatèrent.

Depuis l’arrivée du peintre, on avait expressément défendu que quelqu’un entrât dans le sanctuaire où s’opérait le travail artistique. Un portrait, avait dit Jean, ne doit être vu que quand il est fini. Aussi, les deux domestiques étaient intrigués et curieux, attendant impatiemment le jour où ils pourraient contempler la reproduction des traits de leur maître. Malgré la consigne, entendant des cris, ils étaient arrivés, effarés, et, en ouvrant la porte, ils se trouvaient devant le tableau, placé en pleine lumière, où s’étalait, lumineuse, criarde, la grotesque caricature de M. le Maire ! . — Ah ! not’maître ! Mais, ça n’est pas ressemblant !

Jean pâlit, le maire était violet et les deux domestiques se tenaient les côtes, s’esclaffant.

— Voyez-vous, hein ? rugit M. Darel ! Vous avez voulu vous moquer de moi ! Sortez d’ici !

Jean, décontenancé, mit les tubes dans sa boîte, avec la palette et les pinceaux et sortit en disant avec dignité :

— Je fais de la peinture et non de la photographie !

À peine était-il dehors qu’une fenêtre s’ouvrit. Il crut que le maire allait continuer à le poursuivre de ses cris, et il prit le pas de course, n’entendant pas M. Darel qui gueulait :

— Tenez ! Emportez votre croûte !

Le tableau, jeté dans la rue, s’étalait sur le trottoir. La fenêtre s’était refermée.

IV

L’aventure était mauvaise, Jean ne se le dissimulait pas et il voyait les conséquences qui seraient évidemment fâcheuses. Il prit vite son parti. Pour éviter l’orage qui éclaterait chez le père Picot, il s’en allait au Billot, voir l’oncle Regallard.

— Qu’est-ce que tu as ? Tu n’es point comme d’habitude ?

— Mais si, mon oncle, je vais très bien.

— Non… Il t’est arrivé quelque chose. Est-ce avec Picot ? S’il t’ennuie, dis-le moi. Ou avec ta mère ? Mais, réponds donc !

Jean raconta ce qui venait de se passer chez le maire de Saint-Pierre-sur-Dives.

— Ah ! mon pauvre garçon ! Est-ce possible ? Hé bien, tu vas voir ton père ! Ça va être gentil ! Mais comment se fait-il que tu aies fâché M. Darel ?

— Il trouvait que j’étais trop long à le faire poser. Et puis, il prétend que ça ne lui ressemble pas. Parbleu, il a une si sale tête qu’il ne veut pas reconnaître son type tout craché !

Jean se fâchait, se grisant de ses paroles, criant après le maire. Il oubliait que lui-même avait abandonné la partie.

— Cet idiot ! Il prétend que je ne suis pas de force à portraicturer un Normand bouffi, moi qui me suis mesuré avec une armée de Tartares et avec Tamerlan !

— Écoute, dit l’oncle, je vais aller à Saint-Pierre-sur-Dives arranger l’affaire. M. Darel est très violent, mais c’est un brave homme, au fond. Je suis tranquille là-dessus.

Et l’oncle Regallard, ayant fait atteler la charrette, partit, laissant Jean, un peu triste, à la maison.

L’artiste, devant le seuil regardait s’éloigner sur la route, le vieil oncle, qui, endossant sa redingote pour la visite au maire, l’avait recouverte d’une blouse en toile cirée bleue. La charrette en bois blanc roulait au petit trot d’un cheval nain, soulevant un peu de poussière sous ses sabots. Le soleil piquait juste au-dessus de la route, blanche, entre les haies d’un vert clair.

Jean pensa qu’il n’était peut-être pas bâti pour être peintre d’histoire, et que le paysage ferait bien mieux son affaire.

V

Son oncle ne devant pas rentrer avant la nuit, Jean se dit qu’il pouvait aller chasser un moment. Décrochant un fusil, il partit à travers les cours, ayant des attendrissements devant un arbre qu’il avait vu planter, devant un coin de haie, d’où partait une source.

Les chardonnerets piaillaient dans les pommiers. Jean en fit un massacre, les tirant à bout portant avec du plomb à tuer les lièvres,

— Ah ! monsieur Jean, dit un valet de ferme, vous allez mettre du grain dans les branches, ça leur donne la maladie, aux arbres !

Mais Jean, s’inquiétant peu de sa recommandation, continuait à tirer sur les oiseaux.

Et cette distraction lui avait fait oublier sa mésaventure de la journée.

Le soir venait, Jean rentra à la maison, apportant le produit de sa chasse, dont il recommanda à la servante de faire un plat pour le dîner.

— Hé bien, cria-t-il à l’oncle qui rentrait ?

L’oncle hochait la tête.

— Ça ne va pas, l’héritier. Ton père est furieux, ta mère pleure.

Et il raconta ce qui s’était passé. Le maire avait jeté le portrait par la fenêtre, un gamin l’ayant ramassé et remis à ses parents, tout Saint-Pierre-sur-Dives en faisait des gorges chaudes. C’était un effondrement.

— Je l’ai vu le portrait, tes parents aussi… Ça n’est pas ressemblant, au fond, dit l’oncle avec douceur…

Le père Regallard voulait conserver quelque espoir sur les aptitudes de Jean. Il n’en était pas de même des Picot qui voulaient faire réintégrer à l’artiste le toit paternel.

— Tu sais que ton père doit venir demain te voir, à moins que tu préfères aller toi-même à Saint-Pierre-sur-Dives. Mais je ne t’y engage pas. Tu serais remarqué dans les rues où on ne cause que de toi.

VI

L’explication fut courte entre M. Picot et Jean. Ce dernier, dont l’amour-propre eut beaucoup à souffrir dans l’entrevue, devait retourner à Saint-Pierre-sur-Dives, et entrer, comme commis, chez son père. Il resterait encore quelque temps au Billot, pour attendre que l’affaire du portrait fût oubliée.

— Voyons, l’héritier, disait l’oncle, le lendemain, sois franc avec moi. Pourquoi n’as-tu pas réussi le portrait du maire ? Tu ne travaillais donc pas, à Paris ?

— Mais si…

— Eh bien, alors, tu n’es pas capable de réussir ?

— Allons donc ! fit Jean, qui s’emportait peu à peu. Oui, je réussirai ! Je leur clouerai le bec à tous ces imbéciles qui sont furieux de voir un des leurs s’élever au-dessus d’eux. Partout, je sais que ces envieux me débinent. Ils sont enchantés que j’aie fait un four, pour une fois, ce qui arrive aux plus grands. Jamais aucun de mes maîtres n’a pu faire un bon portrait de certains hommes connus. Ça n’étonnerait pas un artiste, ce qui m’est arrivé. Mais, tous ces idiots-là, est-ce que je puis le leur expliquer ?

— J’ai une grande peur, mon pauvre Jean, c’est que ton père ne veuille pas te laisser repartir pour Paris, malgré tes explications.

Jean aussi avait cette crainte. Un autre, moins réfléchi, se serait passé de la permission et des fonds paternels et jeté dans la mêlée, quitte à sombrer, mais Jean réfléchit. Il se dit que l’important était de ne pas courber le front et de refuser le travail manuel auquel on voulait l’astreindre. Rentrer à Paris, sans un sou ! Il n’y songeait pas, ayant trop vu, dans ses courses où il les faisait causer, les promeneurs déguenillés, sur les bancs des boulevards extérieurs et le long des quais. Il savait que, sans argent, il ne pourrait que rejoindre ces désespérés. Il attendrait. Cette année de Paris avait un peu surexcité ses nerfs. Il se reposerait et reprendrait plus tard la lutte.

— Hé bien, dit l’oncle, qu’est-ce que tu vas faire ?

— Je n’en sais rien.

— Je te connais bien, va, tu ne tiens pas à rentrer chez ton père ?

Jean fit un geste de dénégation.

— Écoute, je ne peux pas, tout seul, t’envoyer assez d’argent à Paris — et il est entendu que ton père ne donnera plus rien de ses écus. Veux-tu rester ici ? Je me fais fatigué. Tu surveilleras la ferme, sans t’en occuper. Tu me rendras service, et ça ne t’empêchera pas de faire de la peinture. Ne m’as-tu pas dit hier soir que tu ferais du paysage ? Que c’était mieux dans tes goûts ? Crois-moi, reste au Billot, je ne t’ennuierai pas, moi, et, plus tard, — tu sais ce que je veux dire, l’héritier ! — tu seras ton maître et pourras retourner à Paris ! Va ça ne sera pas long.

Le vieux Regallard le regardait, attendant la réponse.

— Est-ce entendu ? hein ?

— Mon oncle, vous êtes bien gentil avec moi.

— Hé bien ! à partir d’aujourd’hui, tu es du Billot et je l’écrirai à ton père. Ah ! ah ! ça ne sera pas aussi drôle qu’à Paris, hein ? Mais est-ce que tu y as laissé tes affaires ? Pas de dettes ?

Jean n’osa répondre qu’il n’avait comme garde-robe que le vêtement qu’il portait, mais il eut le courage d’avouer une petite dette chez un hôtelier.

— Combien ?

— Presque rien, dans les cinquante francs.

— Est-ce qu’il sait où tu es ? Tu lui as donné ton adresse ?

— Non.

— Ah bien ! Est-ce que tu n’as pas laissé chez lui ton grand tableau ? Celui dont tu m’as parlé…

— Mon Tamerlan ?

— Oui… il est presque fini, tu m’as dit ? Et bien il se paiera avec ça.

Jean rentra dans sa chambre le soir, un peu triste. Vraiment, quelle fatalité l’avait appelé à Saint-Pierre-sur-Dives ? Mais il prendrait sa revanche, c’était un arrêt dans la marche. Il se reposerait et n’en bondirait que mieux ensuite.

Il alla vers la cheminée sur laquelle se trouvait une boîte à cigares, pour en prendre un. Il l’ouvrit. Alors, dans le calme de cette nuit chaude, vibra, doucement, comme avec des chevrottements de petite vieille, le chant de Mignon, pleurant sa patrie. Jean fut remué. — Une tristesse montait de cette boîte à musique. — Il eut comme un pressentiment que son exil serait long.


L’HOMME DE LETTRES

I


Je crois, mon cher Jean, dit l’oncle Regallard, que tu feras bien de rester avec moi au Billot. Ton père, que j’ai vu aujourd’hui à Saint-Pierre-sur-Dives, te réclame, mais il est assez exaspéré contre toi et il vaut mieux pour tous deux que vous ne vous voyiez pas souvent.

— Ah ! il est furieux ? et pourquoi ?

— Il prétend que tu rates ta vie. Il est moins furieux que mécontent, j’exagérais un peu. Au fond ton père et ta mère t’aiment beaucoup… et s’ils te tourmentent, c’est par excès d’amitié.

— Ah ! je le sais bien, ça a été toujours comme ça, mais ce qui m’ennuie, c’est que tout leur est dicté par la question d’argent !

— Va, je les connais aussi. Tu me diras que certains détails choquants enlèvent tout le bien d’une chose. S’ils rendent un service, ils le font sentir, et s’ils ont raison, c’est avec l’insolence des gens forts de leur droit. Moi aussi, l’héritier, j’ai eu à me plaindre d’eux. Autrefois, quand j’étais encore dans le commerce, j’ai eu à me plaindre de tes parents. Un jour que j’étais gêné pour un paiement, je leur ai demandé une avance de 1,000 francs qu’ils auraient pu me faire… Ils me l’ont refusée. Est-ce que je me suis fâché ? Pas du tout. Il faut être plus accommodant, tu sais. Tu es jeune et tu en verras bien d’autres dans la vie. Tu as l’air de t’ennuyer depuis quelques jours ! Hein ! tu ne réponds pas ? Ah ! c’est que le Billot, n’est pas comme Paris ! Va, tranquillise-toi, tu y retourneras !… Mais, tu ne fais plus de peinture ? Et le paysage ?…

Jean n’osa pas répondre qu’il avait trouvé mieux.

Chaque soir, avant de se coucher, Jean, seul dans sa chambre, lisait un des livres, que son ami Varée, retourné à Saint-Pierre-sur-Dives et resté fidèle dans le malheur, lui envoyait par l’entremise des domestiques.

Jean s’en cachait un peu. Sa mère n’avait-elle pas dit : « Ce sont les lectures qui l’ont perdu ! » Le père Regallard n’aurait qu’à être pris de la même idée, lui qui n’aimait pas les livres, disant que le bon sens et la réflexion remplacent toute science, et que jamais un roman ne l’avait intéressé. Comment lui avouer que l’ancien peintre voulait se livrer à la littérature ?

Jean, que l’aventure du portrait de M. Darel, avait momentanément aplati, rebondissait depuis quelques jours.

Il était forcé de s’avouer que les études premières de la peinture lui faisaient défaut, et le long travail des débuts l’effrayait trop pour qu’il s’y livrât.

Mais si sa main avait été malhabile, le cerveau fonctionnait toujours ! Parce qu’il n’avait pas de métier, en était-il moins artiste ? N’en avait-il pas moins la compréhension du beau ? Il était paysagiste, comme il l’avait affirmé récemment. Mais le pinceau est-il seul capable de reproduire la nature ? Non, le pinceau est même inférieur à la plume. Témoin, Fromentin, qui, après avoir jeté sur cent toiles les aspects du désert, désespéra de jamais rendre ses sensations et ses visions exactes sur un tableau, et écrivit son chef-d’œuvre : le Sahara.

Jean n’avait-il pas de merveilleuses dispositions ? Ses premiers essais poétiques en faisaient foi. Il allait se mettre à bûcher ferme. Il fallait qu’avant six mois son volume parût chez un éditeur quelconque, à Paris : Paysages normands. Et le titre flamboierait dans la vitrine des marchands de journaux de Saint-Pierre-sur-Dives. Les railleurs et les envieux auraient le bec fermé.

— Le tableau, c’est bien, mais le livre, c’est mieux, se disait-il.

Quand une toile a été exposée au Salon annuel dans les expositions de cercle ou chez les marchands des boulevards, quelques personnes seulement l’ont pu voir. Mille, deux mille, vingt mille. Alors le tableau acheté par un négociant américain est relégué dans une galerie ou dans un cabinet de dentiste. Parfois, l’État l’enverra orner un musée lointain de la province. Et puis c’est tout. La gloire du peintre est toute factice.

Tout le monde a beau connaître le nom de Praxitèle, qui donc s’intéresse à ce Grec dont les œuvres sont détruites depuis des milliers d’années ! Qui saurait même qu’il exista, si les littérateurs n’avaient loué ses œuvres ? Et la gloire de l’homme de lettres a ce caractère d’intimité charmante qui la rend bien supérieure à celle des autres célébrités.

Le livre va partout. Ceux qui frissonnèrent au rhythme d’une belle phrase, se pâmeront avec reconnaissance au nom de son auteur.

Et Jean, qui avait trouvé ces bonnes raisons pour se faire homme de lettres, avait décidé de lancer avant six mois, son premier volume.

Les Paysages normands seraient vite écrits ; mais Jean voulait frapper un gros coup. Il mettrait dans son œuvre tant de sincérité qu’il était sûr du succès. Pour mieux connaître le sujet à traiter, il résolut, avant de se mettre au travail, de parcourir du matin au soir, pendant un bon mois, tout le canton. Le livre se diviserait en quatre parties : les saisons. Il décrirait la campagne sous ses divers aspects. Et il allait commencer par l’été, bien que la fin en approchât.

Le lendemain, Jean, au lieu de faire la grasse matinée, se leva en même temps que les domestiques. Par malheur, dès qu’il eut mis le pied dehors, une pluie commençait à tomber, qui le força à rentrer à la maison.

— Bah ! se dit-il, je vais attendre que ça soit fini.

— Oh ! il y en a pour une petite demi-heure, lui dit un domestique dont on écoutait toujours les prévisions météorologiques.

La pluie fine se fit averse et tomba pendant cinq jours.

— Ah ! que la campagne est monotone pendant la pluie ! se dit Jean.

Et il ne lui vint pas l’idée de la décrire sous cet aspect. Il la voulait toujours belle et ne la comprenait qu’ainsi. Voudrait-on qu’un amant, orgueilleux de sa maîtresse, la montrât sous un jour et dans un moment défavorables ?

Et Jean passa ces cinq journées à manger, à boire, fumer, lire et faire des parties de domino avec l’oncle Regallard, qui souffrait un peu de ses rhumatismes, pendant les temps humides.

La pluie fouettait les vitres, les brouillant et empêchant la clarté de pénétrer dans la grande pièce qui servait à la fois de cuisine et de salle à manger.

De temps en temps, la lourde porte s’ouvrait.

Un des valets de ferme entrait, apportant avec lui toute la tristesse, le vent et l’eau du dehors, mouillant les pavés et laissant, par places, la boue collée à ses sabots. Le feu clair jetait une note rouge dans cette grisaille.

Jean, pour passer le temps, continuait, après le repas, à prendre, à petites tasses, son café arrosé d’eau-de-vie de cidre, et au bout de quelques verrées, lui revenait un peu de gaîté qui se traduisait par des récits d’aventures imaginaires survenues à Paris. Les valets de la ferme l’écoutaient avec presque de l’admiration.

— Qu’y cauge ben ! Qu’il cauge ben !

Enfin, le beau temps revint. Le soleil brillait sur les arbres, dont les feuilles mouillées étaient plus vertes. Tout l’oisillage piaillait dans les pommiers. Jean alla se promener à travers les cours, puis, enfila un chemin encaissé, qui montait entre des talus hauts de deux mètres, surmontés de haies de saules et de coudriers. D’un tétard de chêne dépouillé partit un gros corbeau qui croassait.

— Senestra, dit Jean, c’est signe de malheur, à ce que prétendaient les anciens.

Et il continua sa route. Des grenouilles cachées sous les pierres, sautaient dans les ornières profondes où coulait une eau claire. Et Jean se sentait grandir, aspirait fortement l’air chaud, un peu humide.

Arrivé au haut de la côte, devant une large avenue d’ormes qui conduisait au château, Jean aperçut tout au bout un cavalier et une amazone qui, au trot, venaient au devant de lui.

— Tiens ! pensa-t-il, c’est de l’Octave Feuillet !

Il avait la mauvaise habitude de coller des étiquettes à toutes choses et de ne rien voir qu’à travers ses lectures.

Les deux cavaliers passèrent, c’était le châtelain et sa fille. Jean les salua et continua sa route. Il revint à la ferme le soir.

II

Le lendemain, Jean, dès le réveil, partit à travers les cours, gagna le petit chemin et fit la course de la veille. Espérait-il la rencontre faite déjà ? Peut-être. Il se rappelait la grosse tête du châtelain — un ancien officier de dragons — lourd sur un grand cheval, et la figure fine de la jeune fille. Un joli tableau à coller dans les Paysages normands. Et puis, il ne voyait que des physionomies grossières, au Billot… cette tête charmante de vierge espiègle avait ensoleillé le chemin.

D’abord, par espoir, puis par habitude, cette promenade fut celle qu’il fit tous les matins avant le déjeuner.

Quand il arrivait au haut de la côte, Jean s’arrêtait toujours au coude du chemin et, par la trouée d’une barrière, regardait la vallée.

À la descente, des terres cultivées, en bas, des prés baignés par un ruisseau. Le fond était toujours vert, mais la pente tantôt en labours, jaune, tantôt verte, aux premières pousses, puis dorée à la moisson.

Jean contemplait tous les jours ce paysage changeant. Et quand ils l’apercevaient, les paysans, occupés au travail, le regardaient :

— Tiens, voilà M. Jean qui passe ! Il est dix heures… c’est le temps de déjeuner !

Après le repas, il allait au village s’asseoir dans l’unique salle où dormait un vieux billard à blouses et faisait d’interminables parties avec le patron de l’établissement et le beau-père de l’huissier, un vieux forgeron retiré chez son gendre.

Le père Regallard l’y rejoignait parfois et l’emmenait dîner. Le soir, il revenait après le repas. La société s’augmentait des clercs de notaire et de l’employé du pharmacien qui restaient jusqu’à la fermeture.

Jean revenait à la ferme, seul, ayant alors un kilomètre à faire.

Surexcité par l’alcool, il sentait son cerveau bien disposé au travail.

— Sacrédié ! c’est ce soir que je vais faire un bon chapitre, en rentrant ! Ah ! mes vieux, vous vous fichez de moi ! On me nargue ! attendez donc, et l’artiste va vous montrer qu’il l’est, et un peu !

Dans le village on s’étonnait de le voir vivre en rentier, à son âge, et un soir, dans une discussion, à la fin d’une partie, son adversaire l’avait traité de feignant !

— En voilà un qui est heureux que son oncle soit né avant lui, disaient les commères.

Jean rentrait à onze heures chez le père Regallard, et parfois, faisant du bruit dans l’escalier, réveillait le vieux rentier endormi :

— Ohé ! l’artiste ! c’est toi ?

— Bonsoir, mon oncle, répondit-il. Je viens de rouler Baptiste en cinquante points.

Regallard n’aimait point Baptiste, un des clercs de notaire, et le succès de Jean le ravissait :

— T’as bien fait ! Mais tu sais, tu vas t’abîmer la santé à rentrer à cette heure-là !

Jean montait dans sa chambre en se disant : « Je rentre tard, c’est vrai, mais je ne sortirai plus le soir. » Et il songeait à sa bonté : ce qu’on obtiendrait de lui avec de la douceur c’était surprenant ! Ainsi, son oncle lui faisait un reproche, il en sentait tout le bien fondé, et ne lui en voulait pas. Autrefois, à Saint-Pierre-sur-Dives, son père ne lui disait rien de plus, mais le faisait sur un tel ton qu’il était tenté de rentrer une heure plus tard le lendemain.

Il se surprenait alors à penser à ses parents qu’il n’avait pas vus depuis l’aventure du portrait de M. Darel, n’ayant pas osé retourner à la ville. Mais son oncle qui allait au marché tous les lundis lui en rapportait des nouvelles.

— Ton père va bien et ta mère t’embrasse, disait le vieux en rentrant.

Et c’était tout. Ce qu’il ne disait pas c’est qu’à chaque fois, les parents de Jean accablaient de scènes à n’en plus finir le père Regallard.

— Voyons, qu’est-ce que vous voulez en faire ?

— L’héritier ? Mais ça ne vous regarde pas !

— Il reste là tous les jours à se promener la canne à la main. Il ne fait rien ! Est-ce une occupation pour un jeune homme ?

Le vieux ne répondait pas. Il ne pouvait plus se passer de Jean dont la société l’amusait. Sans son neveu, il était seul au Billot. Bah ! ses moyens pouvaient lui permettre cela. Jean était comme son garçon. Quant à l’avenir, Jean n’avait pas à s’en inquiéter. Est-ce qu’il n’était pas l’héritier ?

Il ne voulait pas dire aux Picot que son intention était de léguer directement à Jean sa fortune, en la faisant sauter par-dessus leur tête. — Elle devait revenir à la femme du marchand de porcelaine. — Le vieux Regallard se vengerait ainsi du refus d’un billet de mille francs qui lui avait été fait autrefois et qu’il n’avait pas oublié.

Jean connaissait les intentions de son oncle. Et c’est ce qui le faisait rester au Billot. Sans cela ! comme il serait retourné à Paris ! Car il commençait à être repris de ses idées de grandeur. Et que faire au Billot ?

Travailler ? Impossible ! Il s’en apercevait. Venir en province, c’est excellent pour amasser des documents. Mais pour les coucher sur le papier, il lui fallait, pensait-il, la fièvre du boulevard, la certitude d’être imprimé le lendemain, les discussions avec les gens du métier, les lectures des journaux et des revues. Tout cela lui manquait. Et puis, le volume paraissant, en recevrait-il tout le profit, au fond de sa province : Les compliments des amis, les sourires des femmes, la menue monnaie de la célébrité ?

Il avait son plan : vivre d’abord ; amasser des documents et, quand il viendrait à Paris, tout serait bien. Alors, il écrirait.

Quelque crainte le prenait d’être retenu longtemps chez son oncle, qui était encore solide, mais il s’en consolait en se rappelant que Jean-Jacques, pour ne citer que lui, débuta fort tard dans la littérature.

Et les journées et les mois s’écoulaient, uniformément.

Le dimanche, Jean et son oncle qui ne fréquentaient pas les offices, allaient aux fêtes paroissiales des villages voisins.

III

— Ah ! ça, pourquoi donc le Billot n’aurait-il pas de fête ? dit Jean, un jour, au cabaret.

— Mais, c’est une idée ça, répondit le patron qui vit de suite de quel profit lui serait cette innovation.

Comment cette idée-là n’était-elle venue à personne ? Vite, il fallait s’en occuper. Et Jean, n’ayant rien à faire, disait-on, fut chargé par le cabaretier, les clercs du notaire et quelques petits boutiquiers de chercher les moyens d’organiser la fête qui devrait avoir lieu avant la fin des beaux jours.

Jean avait commission pour demander au château la subvention indispensable.

Les hôtes n’étaient pas encore repartis pour Paris, ça tombait à merveille.

Jean se rappela aussitôt l’apparition du chemin creux : l’amazone, avec son père au fond de la grande avenue. Il se décida à y aller. Qui sait, peut-être reverrait-il la jeune fille. Il charmerait le père et se ferait peut-être inviter au château. Peut-être était-ce la Béatrix qui lui était destinée. On a vu plus fort que ça !

Et sans qu’il s’y arrêtât, ces suppositions trottaient dans sa cervelle.

Il arriva à la grille du parc, le lendemain, après le déjeuner. Il s’attendait à trouver la famille sur la pelouse, où les châtelains jouaient souvent au crocket, ou bien on le recevrait au salon. Peut-être le maître l’inviterait-il à une partie de billard, n’étant pas fâché, sans doute, de rencontrer un garçon intelligent dans ce coin de pays.

Jean sonna et demanda au jardinier, qu’il connaissait, à parler à son maître.

— Tenez, monsieur Jean, il est juste dans la serre. Venez-y.

Son cœur battait la chamade. Il allait probablement trouver la jeune fille, au milieu des fleurs, grisée de leur odeur chaude, — il avait lu que les femmes, dans une serre, ont toujours les yeux plus doux. — Il entra.

— Monsieur, dit-il en saluant.

Jean se trouva un peu timide devant l’ancien officier. Cette demande d’argent l’ennuyait à faire et il ne s’était décidé que dans l’espoir de rencontrer la jeune amazone à l’Octave Feuillet.

Elle n’était pas là, son aplomb tombait. Et la crainte lui venait d’être gauche en présence du gros gentilhomme qui ne le recevait pas à bras ouverts.

Enfin, il expliqua le motif de sa visite.

— Ah ! c’est une riche idée qu’on a eue là, répondit le châtelain. Le pays était tranquille, et vous allez l’emplir d’orgues de barbarie, de mendiants et de saltimbanques ! Quand donc se fera la fête ? Dites-le moi pour que je retourne à Paris la veille !

Et en parlant, il sortit un louis de son gousset, le donna à Jean qui, rougissant, remercia en s’inclinant par trois fois.

Quel échec ! Les organisateurs s’attendaient à recevoir du château, au moins cent francs et il leur rapportait un louis. Et donné de quelle façon ! Certainement, on dirait qu’il s’y était mal pris. Et, du coup, il venait de se fermer les portes de la tour où résidait sa belle ! Car, il ne pourrait plus s’y présenter maintenant. Etait-il assez bête ! Il lui aurait été plus facile de faire connaissance avec le châtelain dans quelque partie de chasse où l’on est plus aimable avec les inconnus, où tous sont égaux devant le coup de fusil ? Comment n’avait-il pas songé à cela ! Maintenant, c’était fini !

Avant de retourner au cabaret, Jean alla voir son oncle et lui raconta sa visite au château.

— Ah ! c’est comme ça, dit le vieux rentier ? Eh bien, nous allons lui montrer que les gens du pays peuvent se passer de lui !

Et il donna cinq louis pour sa cotisation. Le comité nomma Regallard président. Et on parla beaucoup de cette affaire dans le village, où la fête devait avoir lieu le premier dimanche du mois suivant.

IV

Jean sortit le lendemain matin pour faire sa promenade habituelle, mais, après sa tournée dans les bois, au lieu d’enfiler le petit chemin, il prit la grand’route, ne voulant pas s’exposer à rencontrer le châtelain dans l’avenue.

Ce jour-là les paysans qui réglaient leurs travaux d’après le passage de Jean, au haut de la côte, ratèrent l’heure du déjeuner.

V

Des tables et des bancs de bois blanc à la porte du cabaret, quelques drapeaux aux fenêtres ; un mât de cocagne sur la place, devant l’église ; des lanternes vénitiennes suspendues à des fils de fer traversant la route, accrochés d’une maison à l’autre ; des baraques de joueurs de quilles et de tourniquets, deux voitures de sorcières dont les chevaux maigres paissaient, sur le talus, une herbe rare, à l’entrée du bourg ; voilà ce qui indiquait que Le Billot était en fête.

Pendant tout le jour, les paysans des villages voisins avaient erré par familles, à petits pas, dans l’unique rue du Billot. Les buveurs seuls mettaient un peu de gaîté dans l’assemblée.

Jean, qui avait quitté la ferme depuis le matin et déjeuné au cabaret, rencontra son oncle au pied du mât de cocagne, où montaient les gamins, pour décrocher une montre en argent, une culotte et trois mouchoirs.

— Ohé, l’artiste ! tu sais qu’à quatre heures, il y a la louée ?

Le jour de la fête, en Normandie, les domestiques des deux sexes qui cherchent une place se réunissent dans chaque village, sur la place, devant l’église, à la sortie des vêpres ; les fermiers viennent les embaucher, les louer.

Comme c’était la première fois qu’une louée avait lieu au Billot, jusque-là, on se rendait aux villages voisins, il y avait affluence.

— Oui, reprit le père Regallard, sais-tu ce que j’ai envie de faire, notre vieille servante est malade depuis quelque temps, je vais en prendre une qui l’aidera. Attends la louée avec moi.

Jean resta près de son oncle, et, quand sonna la sortie des vêpres, tous deux se joignirent aux groupes formés sur la place.

— Tu sais que j’en veux une gentille ! disait en riant le père Regallard.

— C’est ça qui m’est égal, répondit Jean, belle ou pas !

Après des pourparlers avec deux ou trois paysannes à qui Jean trouvait un air bête dont il se réjouissait, Regallard s’aboucha avec une solide gaillarde d’une vingtaine d’années, au teint fleuri et ornée d’un agréable embonpoint.

— C’est entendu, disait l’oncle, vous ne serez pas malheureuse chez nous. Vous ne vous occuperez que du ménage, et surtout, vous ferez des petits plats à mon neveu que voilà.

Et Regallard, avec un clignement de l’œil, dit à Jean :

— Voyons, te plaît-elle ?

Jean ne répondit pas, mais sourit avec un air d’indifférence.

— C’est bon, murmurait Regallard à voix basse… tu verras ça !

Le vieux rentier s’inquiétait que Jean n’eût aucune amourette dans le pays.

VI

Mme Picot était enfin venue au Billot après avoir boudé Jean pendant plus d’une année. Quant à son mari, il ne s’était pas dérangé, ne pouvant laisser seul le magasin.

— Hé bien, dit-elle à Jean, tu ne veux pas revenir avec nous ? Tu dois t’ennuyer à ne rien faire ! Va, il n’y a encore que de travailler ! Viens ! ton père serait bien content si tu prenais le magasin !

Jean souriait avec une vague intention de mépris. On osait lui proposer de vendre des assiettes, lui qui, tout le jour, vivait avec les purs génies dont il lisait les œuvres et avec la nature dont il pénétrait les secrets !

— Que ce soit fini, une fois pour toutes, dit-il à sa mère. D’ailleurs je ne quitterai le Billot, entends-tu, que pour retourner à Paris !

Il vit de suite l’effet de cette menace. Sa mère en était attristée. Elle l’aimait bien, malgré tout, et, sans l’inquiétude qu’elle avait de l’avenir…, elle eût été enchantée, au fond, de voir que son fils était bien un monsieur, comme autrefois elle l’avait tant désiré.

Et Jean continuait sa vie de rentier, se promenant, lisant, dînant longuement, mais il ne sortait plus le soir pour aller au cabaret, ce qui n’étonna pas du tout l’oncle dont les prévisions s’étaient accomplies et qui fermait les yeux sur ce qui se passait chez lui.

Ah ! c’était du propre ! à ce que disaient les commères du Billot.

— Avez-vous vu les bonnets à rubans de la servante de chez Regallard ?

— D’où qu’é sort ?

— De Vimoutiers ! où ses maîtres l’ont mise à la porte pour son inconduite !

— C’est pas étonnant ! elle a l’air de ce qu’elle est !

La belle fille avait chassé les rêves poétiques de Jean qui n’attendait plus l’Elvire rêvée.

VII

— Oublies-tu, Jean, que dans deux mois, tu vas tirer au sort, dit un matin Regallard. Sais-tu ce que m’a dit ton père hier à Saint-Pierre-sur-Dives ? Que tu n’avais qu’une chose à faire étant donnés tes goûts… T’engager tout de suite et faire ta carrière militaire. On ne te laisserait manquer de rien. Tu arriverais assez promptement à être gradé. Un officier a des loisirs, et combien d’entre eux pourraient envier la position que tu auras ! Ton service ne t’empêchera pas de faire de la littérature.

Jean refusa tout net les propositions de son oncle. Il tirerait au sort, il pouvait espérer la chance de mettre la main sur un bon numéro et alors, de ne faire qu’une année de service, ce qui serait vite passé. Mais être soldat ! Il avait trop l’amour de l’indépendance pour penser un seul instant à vivre dans une obéissance passive et continuelle, sous la domination de vieilles culottes de peau. Vienne une guerre et on le verrait !

La place du poète n’est pas en tête des bataillons, se disait-il, mais à l’arrière, avec la musique. Il ferait, en pareil cas, des chants qui enflammeraient les troupes. Tyrtée est aussi connu qu’Annibal et fit remporter autant de victoires !

Il n’eut pas à s’inquiéter du service militaire, car, la veille du tirage au sort, Picot mourut d’une bronchite mal soignée, Jean devenait fils de veuve et était exempté.

Il pleura un peu son père, oubliant toutes les tracasseries qu’il lui avait fait subir pour ne songer qu’à ses vertus modestes et ignorées.

Mme Picot ne pouvant vivre seule à Saint-Pierre-sur-Dives, il fut décidé qu’elle vendrait son fonds de porcelaines et ustensiles de ménage et habiterait au Billot avec son frère Regallard et son fils Jean.

Comme elle avait été mariée sous le régime de la communauté, Jean ne recevait pas l’héritage de son père qui passait à la survivante.

Alors, débarrassée des soucis matériels, Mme Picot, qui remettait ses rentes régulièrement à Regallard, pour sa nourriture et son entretien, ne parla plus à Jean de son inaction ; son genre de vie était admis et elle commençait à trouver naturel que ce fils heureux vécût en rentier, puisqu’il devait l’être un jour.

Mme Picot n’avait qu’un souci, étant dévote, Jean n’accomplissait pas ses devoirs religieux, et elle découvrait des preuves de ses relations coupables avec la servante qui, alors, était la cinquième de la série, — Regallard avait soin de renvoyer les maîtresses de son neveu lorsqu’elles prenaient trop d’autorité dans la maison.

VIII

Jean vieillissait. Depuis dix ans, il habitait le Billot. Il lisait de moins en moins, mais toujours marchait dans les bois. Il allait peu à la ville où, par dérision, ses anciens camarades d’école l’abordaient en criant :

— Ohé ! l’artiste !

Ils avaient raison, ces crétins ! Et pouvaient se moquer de lui, ma foi ! Mais à tout bien prendre, il vivait, au moins, n’ayant pas le cerveau troublé par leurs préoccupations de la pièce de cent sous à couler dans le bas de laine ! Ces pensées le consolaient de leurs railleries. Et l’oncle Regallard, toujours plus solide et plus vert, dirigeait les travaux de la ferme, en gentilhomme campagnard, fier de la situation qu’il avait acquise dans la contrée où tout le monde le respectait et l’aimait.

— Dis donc, l’héritier, ça ne durera pas toujours comme ça, dit un soir l’oncle à son neveu, j’approche de soixante-dix ans, un rien du tout et ce sera fini. Je veux te faire ma recommandation : Tu sais ce que je t’ai toujours promis ; tout ce que j’ai te reviendra. Mais, je compte bien que, si tu retournes à Paris, tu ne laisseras pas ta mère toute seule avec ses malheureux 1,000 francs de rentes, et que tu la garderas avec toi.

— Mais, mon oncle, reprit Jean troublé, pourquoi me parlez-vous de ça ! nous avons bien le temps…

— On ne sait jamais… J’aurais dû prendre mes précautions depuis longtemps, je ferai demain mon testament.

Un matin, en entrant dans la chambre de son oncle, Jean trouva le vieillard, roide, dans son lit. Il était mort subitement, d’un transport au cerveau…

Jean héritait.


LA FIN D’UN BEAU RÊVE


Dix ans ! Il était resté dix ans, dans ce pays perdu, se laissant vivre, et ne vivant qu’avec ce seul espoir de rentrer un jour à Paris ! Paris ! ville qu’il avait voulu conquérir alors que, jeune, il se sentait la force de le faire. Et que lui aurait-il fallu pour cela ! Rien ! Presque rien ! Jeter sur la toile ou sur le papier, ses rêves et ses chimères. Il rencontrait partout en revenant après dix ans, sur le boulevard, célèbres et riches, ceux qu’il avait vus, jeunes, à l’école des Beaux-Arts. Et qu’avaient-ils pondu ? Des barbouillages qui ne tiendraient pas une seule minute debout, à côté des œuvres qu’il aurait faites si sa destinée ne l’en avait empêché.

On l’avait exilé de Paris, le jetant dans la vie contemplative, loin des concurrents qui stimulent. Et il s’était laissé aller, doucement, se livrant à son tempérament contre lequel il aurait eu la volonté de réagir, le connaissant, s’il était resté au milieu de la mêlée.

Il rejetait sur ses parents les fautes de ses débuts. Il revenait après dix ans à Paris, assez intelligent pour comprendre qu’il ne serait jamais plus dans le mouvement. L’art avait fait, pendant son absence, un pas de géant. Ce qu’il chérissait était raillé et il comprenait bien qu’il en fût ainsi.

Il revenait à Paris avec des rentes — ayant laissé sa mère au Billot, malgré les recommandations de l’oncle. Et au moment où, dégagé des soucis quotidiens qui talonnent les artistes et les dérangent dans leur travail, il aurait pu se mettre à bûcher, il sentait bien qu’il ne pourrait rattraper le temps perdu.

Quel livre pourrait-il bien écrire ? Les Paysages normands ?

Depuis dix ans, vingt littérateurs avaient décrit la Normandie, et de telle façon qu’il ne pouvait espérer égaler leur verve et leur science. D’ailleurs, une paresse invincible l’avait pris et quelquefois, en face d’une feuille de papier blanc, il s’était avoué vaincu devant l’impossibilité d’exprimer sa pensée. Artiste ? il l’était certes mais non artisan ; la partie matérielle de l’art le rebutait.

La gloire valait-elle la peine qu’on se donne pour la conquérir ? Il connaissait des littérateurs célèbres, depuis son retour à Paris et que leur entendait-il dire à tout moment ?

Celui-ci désirait se retirer à la campagne, fatigué de la copie quotidienne. Tel autre souffrait de voir sa gloire éclipsée par celle d’un chef d’école nouvelle.

Et c’étaient de grands hommes, tous ces gens-là ! Celui-ci aurait un jour sa statue, qui faisait des calembours, en buvant des bocks à la brasserie que fréquentait Jean et passait son temps à débiner ses confrères !

Et Jean qui, par un reste de son éducation première, se refusait à approcher les bourgeois, passait son temps dans les cafés littéraires, fêté par une bande de débutants qu’il abreuvait, rapins et poètes chevelus.

Peu à peu, il se grisa des théories qu’il entendait soutenir dans son entourage. Il devint un orateur de café.

Le soir, dans une brasserie où la bande se donnait rendez-vous, Jean pérorait :

— Taisez-vous, galopins ! Vous vous dites peintres ! Vous ne savez pas ce que c’est que la peinture ! J’ai débuté par un tableau qui fit sensation au Salon : Tamerlan guidant les Tartares à la conquête du Khoraçan ! Mais j’ai compris d’abord que la peinture d’histoire était finie ! Je me suis arrêté ! Plus tard, j’ai vu que toute peinture était inutile, dans un siècle qui est celui de la photographie :

L’art, a-t-on dit, est la reproduction de la nature vue à travers un tempérament. Tout le monde peut arriver à dessiner un peu proprement ; tout le monde a un tempérament.

Mais la perfection du dessin ne sera jamais absolue, le tempérament de tel ou tel l’empêchera de voir exactement l’objet ou la chose à reproduire.

Avec la photographie, rien de plus simple. Vous me reproduirez exactement la nature. Et, comme il est hors de doute que la photographie, un jour, reproduira les couleurs avec autant d’exactitude que les lignes, une bonne épreuve vaudra cent fois mieux que la meilleure étude du plus habile peintre.

L’art sera scientifique. Le rôle de l’artiste se bornera à choisir avec soin la scène, le lieu, l’objet à reproduire et ce sera encore bien difficile. Si peu de gens ont le goût nécessaire. Là n’agira plus l’artiste, c’est-à-dire le manouvrier, mais le poète. Et n’est-ce pas la qualité supérieure de l’homme. Qu’un peintre soit habile et sache guider sa main ! La belle foutaise !

Un peintre n’aurait donc plus droit à notre admiration respectueuse le jour où ses bras seraient paralysés ? Ne lui resterait-il donc pas son cerveau merveilleux ?

La photographie des couleurs tuera le peintre tel qu’il a été jusqu’alors compris.

Les efforts des artistes étant uniquement tendus vers la recherche du beau, vers l’éducation intellectuelle, les années qu’ils auraient passées à faire des copies, à tailler des crayons et à laver des pinceaux étant employées à une gymnastique cérébrale, nous aurons de véritables amants de la nature, qui la comprendront et la chériront d’autant mieux, qu’ils sauront, ayant découvert un de ses secrets, ne pas l’exposer à une déformation ridicule en la reproduisant.

Des applaudissements éclataient ; Jean, ravi, faisait servir une nouvelle tournée de bocks. Et il reprenait :

— Vous autres, poètes et romanciers, croyez-vous que vos phrases creuses puissent m’intéresser, moi, profane ! Pas du tout ! Vous chantez des maîtresses que vous n’avez pas eues et des passions que vous n’avez pas connues, vous me racontez des histoires à dormir debout et me décrivez un palais chinois quand vous n’avez jamais vu que Charenton ! Sous prétexte d’études de mœurs, vous me dites des choses que tout le monde sait aussi bien que vous, que les ouvriers se soûlent et que les paysans ne prennent pas de bains, que les commerçants sont avares et que les amoureux sont idiots ! qu’est-ce que cela peut me faire, à moi qui, dépaysé du monde extérieur, vis avec mes chimères ?

Travailler ! Travailler ? Pourquoi cela ? quand on peut si bien ne rien faire. La paresse est au rêveur, a dit le poète, soyons paresseux et c’est déjà un travail que de penser ! ne pensons pas, si cela est possible ! Fumons, cela abrutit ! Buvons, cela saoûle !

Et dans le choc bruyant des verres et le bruit des rires, Jean parfois s’accoudait sur la table et songeait.

— Ohé ! l’artiste ! es-tu malade ? lui criait-on.

Il souffrait de sa vie ratée.

Sa mère était là-bas à Saint-Pierre-sur-Dives, où elle vivait assez maigrement de son revenu de mille francs, ayant dû quitter la ferme du Billot que Jean avait vendue. Elle ne l’avait pas revu depuis. La reverrait-il jamais ! Il y avait eu brouille lorsqu’il avait voulu revenir à Paris.

— Tu y mangeras tout ce que tu as, lui avait dit sa mère, mais quand tu n’auras plus le sou, tu reviendras me trouver.

De fait, Jean dépensait un peu plus que, ses revenus. Le capital était chaque année entamé de quelques titres vendus pour attendre le jour du paiement des coupons.

Mais, tant pis ! Ça irait tant que ça pourrait : Au bout du fossé la culbute.

Et chaque soir, il pérorait dans la brasserie où se réunissaient ses jeunes compagnons.

— Qu’est-ce que c’est que ce Picot ? demanda un rapin que l’on venait de présenter à la bande.

— C’est un type très curieux, lui répondit-on. Il a été peintre et littérateur.

— Il a des tableaux connus ?

— Oh ! il a quitté la peinture depuis dix ans.

— Est-ce qu’il a un bouquin ?

— Non.

— Il a l’air toqué. Est-ce un imbécile ?

— Pas du tout, répondit un poète à qui Jean avait raconté sa vie, en un soir d’expansion, il est très artiste et s’il avait travaillé, il aurait fait quelque chose…