Odes funambulesques/1874/La Tristesse d’Oscar

AUTRES GUITARES
Odes funambulesquesAlphonse Lemerre (p. 149-153).


 
Jadis le bel Oscar, ce rival de Lauzun,
Du temps que son habit vert pomme était dans un
      État difficile à décrire,
Et qu’enfin ses souliers, vainqueurs du pantalon,
Laissant à chaque pas des morceaux de talon,
      Poussaient de grands éclats de rire ;

Du temps que son coachman, pâle comme un navet,
Se recourbait en plis tortueux, et n’avait
      Plus de collet d’aucune sorte,
Aucun collet, pas même un collet... né Révoil,
Et que son vieux chapeau, tout dépourvu de poil,
      Prenait des tons de colle-forte ;


O misère ! du temps que, tournant au lasting,
Son pantalon, pareil aux tableaux de Drolling,
      Avait ce vernis dont tu lustres
Le gilet fabuleux de Fontbonne et son frac,
Le bel Oscar disait à Paulin Limayrac,
      Publiciste âgé de deux lustres :

« Dieu ! que ne suis-je assis dans le Palais-Bourbon !
Quand pourrai-je appeler Ledru-Rollin : Mon bon !
      Et dire en voyant Buloz : Qu’est-ce ?
Et puis n’entendre plus dans quelque affreux recoin
Ce monstre me crier : Tu n’iras pas plus loin !
      Quand je veux passer à la caisse.

Paulin ! si je payais le cens, ah ! tu le sens,
Je connaîtrais aussi ces billets de cinq cents
      Qui sont les pommes de nos Èves,
J’aurais le rameau d’or qui dompte les tailleurs,
Et je verrais enfin des chemises ailleurs
      Que parmi l’azur de mes rêves !


Oui ! je ferais remettre un verre à mon lorgnon !
Paulin, j’échangerais ma panne et mon guignon
      Contre l’aisance fantastique
Du baron de Rothschild, et, gagnant à ce troc,
Je peignerais alors mes moustaches en croc
      Et j’y mettrais du cosmétique !

Je dînerais chez Douix ! J’aurais des gants serins
Pour poser au balcon des théâtres forains,
      Et, profitant de son extase,
J’abreuverais de luxe et de verres de rhum
Une divinité, reine des Délass-Com,
      De Montmartre ou du Petit-Laze ! »

Ainsi parlait Oscar, l’âme et les sens aigris,
Du temps qu’il arborait ces vastes chapeaux gris
      Empruntés à d’anciens fumistes,
Et que, plein d’amertume, il nettoyait ses gants
Avec ces procédés beaux, mais extravagants,
      Qui sont la gloire des chimistes.


Il parlait, et ses yeux imitaient des poignards.
Aujourd’hui, grâce aux voix de cinq cents montagnards,
      Le voilà sorti de l’ornière
Et Bignan le célèbre en d’officiels chants ;
C’est la rosette rouge et non la fleur des champs
      Qui fleurit à sa boutonnière.

Il rayonne, il est mis comme un notaire en deuil.
Et cependant toujours parmi l’or de son œil
      Brille une perle lacrymale ;
Il erre, les regards cloués sur les frontons,
Triste comme un bonnet, ou comme ces croûtons
      De pain que nous cache une malle !

Quel rêve peut troubler ce moderne Samson,
Qui sur le nez des siens pose, comme l’ourson,
      Des discours carrés par la base,
Qui d’un pantalon vert couvre ses tibias,
Et qui dans les divers patois charabias
      Éclipse Charamaule et Baze ?


Ah ! quelque fiel toujours gâte notre hydromel !
Oui, quelque chose encore attriste ce Brummel
      Qui, mettant chaque Amour en cage,
Effaçait les exploits du chevalier d’Éon !
Voilà ce qui l’agace : hier à l’Odéon
      Un voyou l’a pris pour Bocage !


Juin 1848.