Odes et Poèmes (Laprade)/Horoscope

Alphonse Lemerre, éditeur (Œuvres poétiques de Victor de Lapradep. 259-263).

V

HOROSCOPE



Sur le chevet des jeunes filles,
Si les Péris venaient encor
Toucher leurs filleules gentilles
Avec une baguette d’or ;

Le soir, dans la flamme bleuâtre,
Si les Follets et les Lutins

Dansaient sur les chenets de l’âtre,
Au son des grelots argentins ;

Si l’on voyait sortir Morgane
Du lis et du camélia,
Et sur les branches de liane
Se balancer Titania ;

Si de l’air les joyeuses reines,
Aux yeux des pères fortunés,
Se penchaient encor, les mains pleines,
Sur le berceau des nouveau-nés ;

Enfant ! vous auriez des corbeilles
D’émeraudes et de rubis ;
Vous auriez des robes vermeilles
Faites pour vous par les Trylbis ;

Des oiseaux d’or et d’écarlate
Pour vous endormir chanteraient,
Et dans une conque d’agate
Les Sylphides vous berceraient !

Hélas ! les Péris étouffées
Sont mortes depuis six cents ans,
Et l’on n’invite plus les fées
Pour le baptême des enfants !

Mais il est d’amoureux génies,
Parlant un langage inappris,
Qui soumet à leurs voix bénies
Le peuple immense des esprits.


Ils ont le secret des puissances ;
Les astres sont leurs familiers :
Ils vont dérober les essences
Au fond des divins ateliers.

Ils moissonnent partout en maîtres
La terre s’émeut sous leurs mains :
Ils se mêlent avec les êtres
En de mystérieux hymens.

Ils montent avec la fumée
Dans l’air diaphane et vermeil ;
Sous la mer de forêts semée,
Ils plongent avec le soleil.

Ils se bercent avec l’écume
Sur les lacs et les océans ;
Ils s’étendent avec la brume
Sur la crête des monts géants.

Ils circulent avec les sèves
Dans les fentes et les sillons ;
Avec les brises sur les grèves,
Dans l’éther avec les rayons.

Ils enchaînent avec leurs charmes
L’âme des fleurs et des oiseaux ;
Ils font germer les blanches larmes
Sur la tombe et sur les berceaux !

Ils vous aiment, petite fille !
À vous les présents les meilleurs :

Car vous êtes de la famille,
Et votre père est un des leurs.

Enfant ! toutes les créatures
Auront des sourires pour vous ;
Toutes les sources seront pures,
Et tous les hommes seront doux.

Les boutons d’or naîtront dans l’herbe
Des prés que vous aurez foulés ;
Si vous dormez sur une gerbe,
Les épis seront centuplés.

L’eau des marais sera limpide
Si vous y trempez votre main ;
Si vous pleurez sur un nid vide,
L’amour le peuplera demain.

Les fleurs braveront les gelées
Dans les jardins par vous plantés ;
Avec les brises des vallées
Vos airs vivront si vous chantez.

Le soleil dorera vos tresses ;
Enivrant vos sens ingénus,
Le vent vous fera des caresses :
L’onde baisera vos pieds nus.

Vous aurez, la nuit, sans mystère,
Des entretiens pleins de douceur ;
Vous direz au bouvreuil : « Mon frère ! »
Le rosier vous dira : « Ma sœur I »


Aux êtres vous serez unie
Par des liens doux et puissants,
Aux oiseaux par leur harmonie,
Comme aux plantes par leur encens ;

À l’azur par la transparence,
Au jour par la tiède clarté,
Aux bons anges par l’innocence,
Aux hommes par la charité !

Car sur votre tête rosée
Un poète, écartant le lin,
Aura secoué la rosée
Avec le rameau sibyllin !