Ode en dialogue des yeux et de son cœur

Ode en dialogue des yeux et de son cœur
Les Odes, Texte établi par Hugues VaganayGarnier3 (p. 265-266).

ODE XXXI.

J’avoy les yeux et le cœur
Malade d’une langueur
L’une à l’autre différente :
Tousjours une fièvre ardente
T-e pauvre cœur me brusloit.
Et tousjours l’œil distilloit
Une pluye catarreuse.
Qui s’escoulant dangereuse
Tout le cerveau m’espuisoit.
Lors mon cœur aux yeux disoit :

Le cœur.

C’est bien raison que sans cesse
L’ne pluye vangeresse
Lave le mal qu’avez fait :
Par vous seule entra le trait
Qui m’a la fièvre causée.
Lors mes yeux pleins de rosée,
En distillant mon souci
Au cœur respondoient ainsi.
 

Les yeux.

Mais c’est vous qui fustes cause
Du premier mal, qui nous cause
A vous l’ardente chaleur,
Et à nous l’humide pleur.
Il est bien vray que nous iusmes
Autheurs du mal, qui receusmes
Le trait qui nous a blessé :
Mais il fut si tost passé.
Qu’à peine tiré le vismes
Que ja dans nous le sentismes.
Vous deviez comme plus fort.
Contre son premier effort
Faire un peu de résistance :
Mais vous prinstes accointance
Tout soudain avecques luy

Pour nous donner tout l’ennuy.

O la belle emprise vaine !
Puis que vous souffrez la peine
Aussi bien que nous, d’avoir
Voulu seuls nous décevoir.
» La chose est bien raisonnable,
» Que le trompeur misérable
» Reçoive le mal sur luy
» Qu’il machinoit contre autruy,
» Et que pour sa fraude il meure.

Ainsi mes yeux à toute heure.
Et mon cœur contre mes yeux
Querelloient séditieux :
Quand vous, ma douce Maistresse,
Ayant soin de ma destresse
Et de mon tourment nouveau.
Me fistes présent d’une eau
Qui la lumière perdue
A mes deux yeux a rendue.

Reste plus à secourir
Le cœur qui s’en-va mourir.
S’il ne vous plaist qu’on luy face
Ainsi qu’aux yeux quelque grâce.
Or pour esteindre le chaut
Qui le consomme, il ne faut
Sinon qu’une fois je touche
De la mienne vostre bouche,
A fin que le doux baiser
Aille du tout appaiser
Par le vent de son haleine
La flame trop inhumaine.
Que de ses ailes Amour
M’esvente tout à l’entour.
Depuis l’heure que la flèche
De voz yeux luy fist la brèche
Si avant, qu’il ne pourroit
En guarir s’il ne mouroit.
Ou si vostre douce haleine
Ne le tiroit hors de peine.